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On fe fert vulgairement du mot cibe ou cible pour défigner le but contre lequel on fait tirer les foldats pour les exercer à tirer jufte.

Il y a deux efpèces de cibles, les cibles en bois, les cibles en toile.

La cible en bois confifte en deux ou trois planches de douze à quinze pieds de longueur, fur huit ou dix pouces de largeur, & un pouce d'épaiffeur. Ces planches font affemblées par deux ou trois traverses; elles font ordinairement portées par trois gros pieux de cinq à fix pieds de longueur ces pieux font aiguifes à l'une de leurs extrémités, afin de pouvoir entrer dans la terre avec facilité. Au lieu de ne donner que cinq ou fix pieds de longueur aux pieux qui doivent porter la cible, il faudroit leur en donner huit ou dix au lieu de fixer conftamment la cible à la même hauteur, il faudroit, au moyen d'un mécanisme bien fimple, qu'il fût poflible de lui faire parcourir toute la hauteur des pieux; ainsi on pourroit fuppofer que l'ennemi eft tantôt dans une cavité, & tantôt fur un monticule.

La cible eft communément peinte en blanc; dans fon milieu on trace avec du noir plufieurs cercles concentriques; le dernier de ces cercles n'a communément que deux ou trois pouces de diamètre. On tire auffi dans la longueur de la cible deux lignes noires qui comprennent entre elles un efpace d'un pied. Après chaque exercice on bouche avec de petites chevilles de bois les trous que les balles ont faits à la cible.

Les cibles en toile ne diffèrent point des cibles en bois. La toile remplace les planches. Les cibles en toile ont cet avantage, qu'elles font plus aifées à transporter & à réparer.

On doit avoir le foin de placer les cibles dans un endroit ifolé & couvert, afin que les balles ne puiffent bleffer les paffans ou les gens répandus dans les campagnes : les foffés de nos villes de guerre peuvent être utiles à cet objet. On doit avoir l'attention de faire placer un tas de fagots derrière la longueur entière de la cible; ainfi on conferve la plupart des balles, & on fe met à l'abri des rifques que l'on court avec les cibles adoffées à des murailles.

Pour exercer avec fruit les foldats à tirer à la cible, il faut changer fouvent la diftance du but; our faire parcourir tout l'efpace compris entre vingt & cent quatre-vingts toifes; placer la cible tantôt rez-de- terre & tantôt à dix pieds; leur donner quelquefois le temps de bien ajufter, quelquefois les obliger de faire feu dès qu'ils ont mis en joue; les faire tirer quelquefois un à un, & quelquefois par peloton. Mais nous examinons ici comment il faut exercer les foldats à la cible, & cependant un écrivain militaire dont la réputation eft très-folidement

établie, prétend que cet exercice eft abfolument inutile. Entendons M. de Mauvillon lui-même.

«Que prétend-t-on, dit-il, d'une arme de jet, fi ce n'eft d'attrapper le but que l'on a en vue; ce qui, à moins que l'arme ne foit mauvaise, dépend toujours de l'adreffe de celui qui tire? Ainfi l'exercice principal de celui qui veut se fervir d'une arme pareille, devroit être d'en lancer le trait avec fa jufteffe. Aufli étoit-ce là à quoi s'exercoient tous les gens de trait des anciens; mais nous qui avons dû faire des armes de jet la base de tout notre art militaire, chez qui elles forment l'armure univerfelle de toute l'infanterie, nous excrçons le foldat à tirer vite, & nullement à tirer jufte. Cela ne femble-t-il abfurde » ?

Effectivement cela le paroît fi bien au premier coup d'oeil, que prefque tout le monde le penie ainfi; fur-tout lorfqu'on confidère le peu d'effet de notre feu rapide, en comparaifon de la multitude innomparable de coups que l'on tire. Tous nos auteurs militaires veulent qu'on exerce le foldat à tirer jufte, en le faifant tirer à la cible ou à un but quelconque. L'auteur de l'efai général de tactique prouvant très-bien par le mecanitine du fufil, que lorfque l'objet eft éloigné, il faut vifer plus haut que le but; que lorfqu'il eft à une moyenne portée, il faut y vifer tout droit, & que lorfqu'il eft proche, il faut baiffer l'arme; veut que l'on enteigne au foldat à fe fervir de fon are en conféquence de ces notions & fuivant l'exigence du cas. Tous s'accordent à foutenir que co n'eft pas un feu rapide, ma's un feu meurtrier qui procure la victoire, & que les batailles ne fe gagnent pas par le bruit. Je ne nierai pas cette dernière affertion, dont la vérité faute aux yeux; mais je n'en oferai pas moins foutenir que nous ne pouvons guères faire fur ce point que ce que nous faifons; & l'on s'en convaincra ailement pour peu qu'on y refléchiffe.

D'abord, pour tirer vraiment jufte, il faut un ufage affez continuel. Dix ou douze coups tites par an ne fuffient pas pour cela. A-t-on bien calculé ce que des exercices à la cible ou aux toiles tendues couteroient à un fouverain, s'il vouloit par · ce moyen apprendre à bien tirer à toute fon infanterie cela ne coutera pas trop, me dira t-on, si c'est un moyen affuré d'obtenir victoire. Je l'a voue; mais fi l'on avoit fujet de douter quel en feroit le fruit, cette défente mériteroit bien d'y réfléchir avant que de l'eflayer au hafard. Et fi au contraire il étoit vraisemblable qu'on n'en retireroit aucun avantage, on auroit fans doute grand tort de l'entreprendre; or voilà, felon moi, le cas où nous nous trouvons.

Il ne faut pas nous comparer fur ce point aux anciens; chez ceux-ci, les gens de trait fe trouvoient tout exercés, tout formés; on faifoit que les lever & les enrégimenter. Che

ne

nous il faudroit entièrement y dreffer le foldat, qui communément n'a pas brûlé une amorce avant d'être dans les troupes. Les caufes de cette différence font manifeftes. L'emploi de nos armes eft couteux. Chez les anciens, celui des leurs n'exigeoit aucun frais. Un fufil en lui-même coute une fomme pour un homme du peuple, au lieu que chacun peut fe faire une fronde & même un arc lui-même. Nos balles font fi petites, leur portée fi longue, qu'on les perd prefque toutes en tirant, & la poudre entièrement confumée; tout cela rend un coup feul affez cher; mais les flèches & les javelots ne pouvoient pas fe perdre, étant bien plus grands, & l'œil pouvant les fuivre dans toute leur portée ; & quant à la perte des pierres lancées par la fronde on fent bien qu'elle ne ruinoit pas fon homme. D'un autre côté, la chaffe étoit libre chez les anciens, & l'exercice de tirer jufte rapportoit par conféquent un avantage fenfible, de forte que quand même Pufage des armes de jet leur auroit couté quelque chofe, ils en auroient été payés. voyons-nous encore que dans les pays où la chaffe eft libre, le peuple fe fournit d'armes & apprend à tirer jufte; mais ces pays font fort Europe. Dans la plupart on a fait de Pation de tirer un animal nuifible, un crime à peu près capital. De plus, il n'y en a prefque aucun où on fouffrit feulement que le peuple fe procurát des armes, quand fa pauvreté le lui permettroit, & quand l'inutilité de ce meuble pourroit lui en laiffer concevoir l'envie. Par ces raifons & par bien d'autres, notre foldat eft prefque toujours tout-à-fait ignorant dans l'emploi de fon arme lorfqu'il entre au fervice; ce qui augmenteroit de beaucoup les frais qu'il faudroit pour le rendre bon tireur.

Auffi

rares en

en

cher en joue. Chez les anciens il n'y avoit point cette fumée, & les gens de trait n'étoient pas placés fur plufieurs rangs. Ils combattoient à la débandade, de forte qu'aucun ne gênoit l'autre dans fes mouvemens, & ne lui ôtoit la pleine vue de l'ennemi. Ce dernier défaut eft encore augmenté par notre façon particulière, & j'ofe dire déraisonnable, de ranger les foldats, plaçant les plus grands hommes au premier rang. Cela empêche encore plus les autres de voir l'ennemi & d'ajufter leur coup quand ils le verroient, Outre cela, les files & les rangs font fi ferrés chez nous, que je défie le plus habile tireur de tirer jufte dans cette fituation. En effet, comment le peut-il, lorfqu'il fe fent preffer & pouffer de tous côtés; tout ce qu'il peut faire, c'eft de fe hâter de titer, pour ne pas attraper un coup de fufil fur la tête par celui qui eft derrière lui, ou dans la phyfionomie parce lui qui charge & qui apprête fes armes à fes côtés.

Mais, ces confidérations mifes à part, la nature de nos armes & les circonftances qui accompagnent l'ufage que nous en faifons dans le combat, rendent l'acquifition de cette adreffe tout-à-fait inutile au lieu que rien de pareil n'empêchoit les gens de trait des anciens d'employer contre l'ennemi celle qu'ils avoient acquile dès leur jeuneffe. D'abord nos armes occafionnent une fumée épaiffe & pefante, qui ne fe diffipe qu'avec peine. A la troisième décharge, une troupe fe trouve enveloppée dans une atmosphère fi opaque, qu'elle ne voit plus Pennemi & n'en eft plus vue. Comment diriger fes coups contre lui quand on ne le voit pas, & qu'on fe trouve, ainfi que lui, dans un tourbillon de fumée qui dérobe tous les objets à la vue encore n'y auroit-il jamais que le premier rang de capable d'ajufter fon coup, parce qu'il n'y a que lui qui voie l'ennemi, & qui foit à peu près le maître de tenir fon fufil comme il & qu'il barre la vue autant qu'il eft incommode aux autres, lorfqu'ils veulent cou

le

vent,

On conviendra bien enfuite que pour peu qu'on veuille tirer jufte, il faut connoître fon arme; il faut charger également, il faut bourrer également fa charge. Rien de tout cela exifte-t-il, peut-il exifter dans les combats? A la guerre, où la confommation des armes eft très-grande, le foldat a à tout moment une autre arme qu'il ne connoît pas. En fuppofant que toutes les cartouches font également faites, le foldat, en l'ouvrant & en amorçant, répand toujours de la poudre; il en répand tantôt plus, tantôt moins; tantôt il apuie mal fon arme, tantôt il la bourre mal, d'autres fois il oublie entièrement de fe fervir de la baguette. Je demande à ceux qui favent tirer, fi dans pareilles circonftances le plus habile tireur peut faire le moindre ufage de fon adreffe.

occa

D'un autre côté encore nos fufils font trop longs & trop pefans, pour qu'on puifle s'en fervir comme il faut, fur-tout dans ces fions de tumulte. Soit l'idée où l'on eft que la longueur de l'arme augmente fa portée, foit le défir de faire du fufil une meilleure arme de main; il est sûr qu'on lui donne une longueur, & par conféquent un poids énorme dans la plupart des fervices. C'eft en cela que l'on a tort, fi je ne me trompe. Il eft vrai en foimême que plus une arme à feu eft longue plus elle porte loin; mais il y a d'autres moyens d'augmenter la portée, indépendamment de la longueur. Je veux pourtant que ces moyens n'exiftent pas, ou qu'ils foient trop couteux & fujets à d'autres inconvéniens; il me femble encore qu'il eft affez indifférent qu'un fufil porte cinquante pas plus loin, dès que fon poids le faifant baiffer, le coup donne en terre avant d'avoir parcouru le quart de la portée. Quant à l'autre point, je ne pense pas qu'on puiffe

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jamais faire du fufil une bonne arme de main, capable de porter fon coup affez loin, pour que deux corps d'infanterie fe joignent à la pointe de la bayonnette, & donnent ce choc redoutable dont on parle tant, & qui n'a jamais lieu; & encore moins capable de repouffer la cavalerie qui, en chargeant, s'avanceroit jufqu'à cette pointe-1. L'arme du foldat devroit être légère, parce qu'il s'en fert, pendant le temps du combat, rapidement & fans intervalle de repos, portant encore communément une charge confidérable fur le dos. Dans ces circonstances, avec un fufil pefant, il tirera toujours en l'air ou à terre.

Je ne finirois pas fi je voulois détailler tous les inconvéniens de nos armes telles qu'elles font, & dans la fituation du fantallin de ligne dans le combat, pour en ajufter le coup. Mais quand la plupart de ces inconvéniens n'exifteroient pas, a-t-on fongé à la fituation d'efprit où fe trouve le foldat dans le feu? & penfe-t-on que le plus habile tireur foit dans une affiette à faire ufage de fon adreffe? Il y a une grande différence entre tirer à la cible, que l'on fait qui ne tire pas, ou contre un ennemi avec une arme femblable à la nôtre. Pourquoi dans tant de combats finguliers au piftolet, aucun coup ne porte-t-il, même entre gens qui tirent bien? c'eft que l'idée que l'autre tirera à fon tour, ne rend pas la main bien ferme. Cependant on tire communément l'un après l'autre, & fe feroit encore bien pis fi c'étoit à qui tireroit le premier. Mais puifque dans une bataille ce n'eft pas un adverfaire que l'on a, mais des centaines, & qui affurément n'attendent pas que leur tour vienne pour tirer; que l'on fe figure l'anxiété & la précipitation qui doit naître de l'idée, que fi on ne fe hâte de tuer ces gens-là, on en fera tué. On m'objecera peut-être que, s'il en eft ainsi, Padreffe des gens de trait des anciens auroit dû leur être autfi inutile, puifque apparemment ils ne tiroient pas fans qu'on ne tirat auifi fur eux. Je penfe bien fans doute que les archers & les frondeurs anciens tiroient bien mieux dans leurs exercices que dans le combat; cela n'empêche pourtant pas que la différence ne foit fort grande. Les armes des anciens ne faifoient pas ce grand fracas, capable de bouleverfer des têtes bien organifees, leurs coups n'étoient ni fi rapides ni fi multipliés, ni fi dangereux; & même on en pouvoit éviter un grand nombre, rien ne gênant les mouvemens des armés à la légère, qui combattoient à la débandade; d'ailleurs les gens de trait des anciens tiroient plutôt, & par plus d'une raifon, fur l'infanterie de ligne, que les uns fur les autres; mais chez nous, où tout tire, où il n'y a pas moyen de parer un trait mortel, & tout au moins exceffivement dangereux & douloureux , qui vient frapper le foldat nu, comme la foudre & qui ne fauroit l'éviter

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quand même on le verroit venir, parce qu'on eft ferré de tous côtés à ne pouvoir fe remuer: dans cette fituation, dis-je, on fent bien que le foldat eft mille fois moins dans l'affiette ordinaire pour vifer & pour tirer jufte, que nɛ l'étoient anciennement les gens de trait.

Je conclus de ceci, non fans fondement je penfe, que s'il y a parmi nous une espèce de troupe pour qui l'art de tirer jufte foit réellement utile, c'eft notre infanterie légère. Elle combat à la débandade, & elle eft communément poftée de manière à être couverte ou cachée contre le feu de l'ennemi. Cela laiffe au foldat de la liberté dans fes mouvemens, à chacun de voir l'ennemi; le garantit de la grande fumée; rend le danger beaucoup moindre, & ne le prive par conféquent pas tant de réflexion & de fang froid, que le fantailin de ligne, qui, par le fracas de l'artillerie & du nombre incroyable de coups de feu, dont il entend les balles lui fiffler autour des oreilles, et toujours comme hors de foi.

En revanche, d'après ce qu'on vient de lire, j'en appelle à tous les officiers qui ont de l'expérience; je crois pouvoir foutenir que quand on formetoit des régimens entiers de purs chatfeurs, ils ne tireroient guères mieux que nos troupes de ligne, fuppofe qu'on les armât, qu'on les rangeât & qu'on les fît combattre comme celles-ci. Je n'ai point d'expériences à alléguer fur ce fujet, parce que par tout où on a formé des corps de gens habiles à tirer, on en a fait des troupes légères; mais cela même prouve le fentiment qu'on a eu en tout temps de la vérité de mon opinion.

Les coups tirés par nos troupes de ligne ne peuvent donc jamais être des coups ajustes, & par conféquent on raifonne jufte en les multipliant, parce qu'il n'y a que la multitude qui puiffe réparer ce qui leur manque du côté de la jufteffe. Nous trouvons d'abord cette multitude dans le nombre de nos foldats, qui étant tous armés de fufils, & pouvant tirer tous, font partir un très-grand nombre de coups à la fois. Nous la trouvons encore dans la rapidité de notre feu. Dix mille hommes peuvent fans trop fe preffer, tirer quarante mille coups de fufils dans une minute. On fait fort bien d'exercer le foldat à ce feu rapide, parce qu'un feu plus lent n'en feroit pas plus sûr dans les cir conftances où il fe trouve, & ne feroit qu'ef frayer celui qui le feroit, & qui feroit attaqué par un feu mieux nourri que le fien.

On ne fauroit pourtant nier que l'effet de nos armes à feu, au moins du fufil, ne foit trop peu de chofe en comparaifon de la multitude des coups qu'on tire. On peut compter que de cent coups qui fe tire dans une bataille, à peine y en a t-il un feul qui porte. On doit par con

Léquent

féquent fonger à la rendre plus efficace; maisce n'eft point en apprenant aux foldats à tirer, comme le prétendent prefque tous les auteurs militaires. Il y a pour cela des moyens plus analogues à la nature des chofes, & par conféquent plus réels à employer.

Si nous confidérons d'abord nos armes & l'objet que le foldat a devant foi, nous verrons bien qu'il n'eft pas befoin d'en faire un habile tireur, pour rendre fon feu meurtrier. L'objet a entre trois & quatre cents pieds de large fur cinq de haut. Le fur forme une ligne à peu près droite, & dès qu'on eft placé devant un pareil objet, il n'eft prefque pas poflible de le manquer autrement qu'en tirant trop haut ou trop bas. Il ne s'agit pas même d'être grand tireur pour cela, il ne faut que tenir fon fufil dans le plan horizontal de l'objet, parce que la balle décrit une ligne qui ne s'écarte fenfiblement de la droite qu'au commencement ou vers la fin de la portée.

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D'après ces notions, on voit bien qu'il ne s'agit pour rendre notre feu très-meurtrier, que de trouver une manière de tenir le fufil, moyen de laquelle la balle parcoure toute fa portée fans s'élever nulle part à plus de cinq pieds au deffus de l'horizon & d'obliger le foldat à tenir toujours le fufil dans cette pofition; alors les coups ne pourront manquer de donner dans un objet tel que nous venons de le décrire, à quelque diftance qu'il fe trouve en deçà de la portée des armes : voilà ce qu'il faut, & non pas apprendre au foldat à tirer comme un chaffeur. C'est une idée chimérique. Le chaffeur tire contre un objet ifolé, à une diftance très-grande c'est une chofe qui demande beaucoup d'adreffe, & par conféquent d'exercice. L'objet du fantaflin de ligne eft toute autre chofe; & quant à la diftance, quelque variation qu'elle puiffe aporter à la manière de tenir le fufil, il ne faut jamais y avoir égard, parce que la fumée la cache au foldat, & que le tumulte du combat l'empêchera toujours de l'apprécier & d'arranger la façon de coucher en joue en conféquence, quoi qu'on lui apprenne à ce fujet. Il faut trouver la meilleure manière de tenir le fufil pour en diriger le coup dans toute fa portée contre un objet tel que celui que je viens de décrire, & rendre cette manière de le tenir abfolument machinale au foldat. Il est à croire qu'en exerçant beaucoup les troupes à charger, & en apportant la plus grande attention & même févérité à ce qu'aucun foldat ne couche autrement en joue que de la façon qu'on lui aura montrée, on reufira à empêcher que la plupart ne tirent mal, car il n'y a que ce qui eft machinal qui D'abandonne pas les hommes dans les occafions An. Milit. Suppl. Tome IV.

où le danger leur ôte la puiffance de réfléchir. Voyez l'article JOUE en Jove.

Quoique nous adoptions la plus grande partie des réflexions de M. Mauvillon; quoique nous penfions avec ce favant militaire qu'il eft prefque impoffible de rendre les foldats adroits comme un chaffeur, & qu'il eft prefque inutile de le tenter, nous n'en recommanderons pas moins de faire, pendant la paix, tirer le foldat à balle, & même quelquefois à poudre feule, foit pour l'habituer à charger fon fufil avec foin, foit pour l'accoutumer au fifflement des balles, foit enfin pour lui faire contracter l'ufage d'appuyer fortement fon arme à l'épaule. Mais ferons-nous tirer annuellement le foldat à la cible, ou attendrons-, nous pour l'exercer à tirer à balle que la guerre foit réfolue & prête à commencer? L'une & l'autre de ces opinions a des partifans; je n'héfite point à me ranger parmi ceux qui ne veulent qu'on brûle de la poudre qu'au moment où la guerre paroît inévitable.

La quantité de munitions de guerre que les troupes françoifes ont confumée pour leurs exercices depuis la paix de 1763, eft effrayante par fon immenfité; elle s'élève en effet à plus de quatre millions de livres de poudre, & à près de deux millions de livres de plomb. Qu'estil réfulté de cette dépenfe énorme? rien. La plupart des hommes qui l'ont faite n'exiftent plus dans nos contrôles, & ceux qui font encore dans nos régimens, ont bien peu profité des leçons qu'ils ont reçues. Le foldat ne tire en effet que vingt-cinq ou trente coups par campagne, il les tire à volonté & fans principes. Si l'art de bien tirer étoit auffi néceffaire au fantaflin qu'à l'artilleur, & auffi difficile pour le premier que pour le fecond, peut-être faudroit-il, faifant abftraction de la dépenfe, exercer le fantaflin annuellement à la cible; il faudroit encore l'exercer conftamment à tirer à balle, fi la guerre fe montroit en Europe avec la rapidité de la foudre; mais comme les tempêtes guerrières font aujourd'hui précédées par un grand nombre de nuages; comme on entend venir de très-loin l'orage qui va fondre, & comme il ne faut que cent cinquante ou deux cents bonnes leçons données de fuite pour habituer des foldats, déja formés aux exercices militaires, à bien charger, à bien tirer, je me crois fondé à dire qu'on peut fe difpenfer de leur diftribuer annuellement la quantité de poudre qu'on leur donne, & par conféquent de les faire tirer à la cible.

CLARINETTE. Inftrument de mufique employé dans les mufiques militaires modernes. Voyez MUSIQUE.

CLASSE. Les foldats font diftribués en deux grandes claffes : les hommes admis au bataillon; les hommes qui n'y ont point été admis:

S

chacune de ces deux claffes devroit être fubdivifée en un certain nombre de claffes plus petites. La première pourroit être fubdivifée en cinq claffes: l'adreffe de chaque foldat dans le maniement des armes, la connoiffance qu'il auroit des confignes, fon habileté dans l'exécution du refte de fes devoirs détermineroient la claffe dans laquelle il feroit admis. Il feroit heureux qu'on pût, à l'exemple des Romains, diftinguer ces différentes classes antrement que par des mots; je veux dire, qu'il fût poffible d'accorder à la première des prérogatives & des droits dont la feconde ne jouiroit pas, &c. Voyez, relativement aux prérogatives qu'on pourroit accorder à chacune de ces cinq claffes, notre article EXERCICE, tom. 2, page 340.

La feconde grande claffe peut être auffi fubdivifée en cinq claffes plus petites : la première feroit compofée des hommes à qui on enfeigneroit à prendre la pofition militaire; la feconde, de ceux à qui on apprendroit à former leurs pas; la troifième, de ceux qui en feroient au maniement des armes, la quatrième, de ceux qui feroient réunis en file; la cinquième, des hommes réunis en peloton & prêts à paffer à la dernière classe du bataillon.

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CLEF DE MOUSQUET. On donne ce nom, fuivant l'auteur du dictionnaire portatif, à un inftrument de fer, qui eft fait en espèce de manivelle & qui fert à bander le reffort d'un mousquet. Clef de rouet de piftolet: c'eft un petit inftrument qui n'a qu'un trou quarré, qui eft fait en espèce de manivelle, & qui fert à bander le reffort d'un piftolet ou d'une carabine, &c.

CLEF DES VILLES. Les clefs des villes de guerre font toujours entre les mains du commandant de la place; celles des poternes, des éclufes qui ne peuvent point donner entrée dans la place, ainfi que celles des bâtimens du roi dépendans de la fortification, reftent entre celles de l'ingénieur en chef.

Une demi-heure avant le moment où l'on doit fermer les portes des places, voyez PORTES & CLOCHE, il part de chaque porte deux foldats armés qui fe rendent chez le commandant de la place pour fervir d'efcorte aux clefs: lorfque tous les foldats destinés à escorter les clefs font arrivés, & que le moment de la fermeture des un des aide - major de la portes approche, place diftribue les clefs aux différens portiers; ceux-ci, efcortés chacun par deux fufiliers, fe rendent à la porte à laquelle ils font attachés ; voyez PORTIERS: les portes fermées, on rapporte, dans le même ordre, les clefs chez le commandant de la place. Une demi-heure avant l'ouverture des portes, on va chercher les clefs de la même maniere que la veille, & on les rapporte de même.

Dans les villes où il n'y a point de portier, un des deux foldats dont nous avons parlé dans l'alinéa

précédent eft fans armes, il eft destiné à porter ies clefs. Cette manière de fuppléer aux portiers n'offrant aucun inconvénient, étant économique, & paroiffant sûre, devroit, ce me femble, devenir générale.

On a mis la préfentation des clefs au rang des honneurs militaires : quand le roi arrive dans une ville, le gouverneur, le commandant & les autres officiers de l'état major de la place fe trouvent fur le glacis, en dehors de la première barrière, pour préfenter les clefs à sa majesté.

CLÉMENCE. (Supp.) Nous allons confidérer la clémence comme la vertu qui engage les militaires à modérer les châtimens que leurs inférieurs ont mérités : nous nous bornons à l'exa miner fous ce feul afpect, parce que les guerriers peuvent apprendre dans l'article CLEMENCE (page 681 du dictionnaire de l'art militaire) que la clémence envers les vaincus eft la vertu des grands hommes; parce qu'ils verront dans cet article qu'il eft d'autant plus affreux d'exercer fur des troupes défarmées, fur un peuple fans défenfe, ces cruautés atroces qui ont été tranfformées en droit par un ufage barbáre qu'elles ne font rien pour la victoire, & quelles éloignent la paix au lieu de la rapprocher : nous nous bornerons à ce feul afpect, parce que le diationnaire de morale prouvera aux militaires que l'homme qui, étant revétu de quelque autorité, punit loriqu'il a été perfonnellement offenfé, n'eft plus l'organe des lois, mais de fes paffions.

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Je fais bien loin de faire un crime à mon fiècle des vertus douces qui le caractérisent; je les chéris ces vertus, & j'en fais gloire, j'ai même fouvent effayé de les faire naître dans le cœur des militaires, de leur donner de la folidité, de la force; mais je n'en dirai pas moins qu'il eft des bornes au-delà defquelles elles fe tranfforment en vices: la clémence, par exemple, ceffe d'être une vertu, quand elle n'eft point d'accord avec le bien général, avec le but du gouvernement avec les moyens néceffaires pour maintenir l'ordre & la régularité parmi les hommes; & cependant telle eft la clémence donc des militaires ufent avec leurs fubordonnés. Il ne

faut recourir à l'épée que lorsque le báton ne fuffic point, je le fais; mais quand l'épée eft néceffaire, c'eft un crime de ne punir qu'avec le báton. C'est au fouverain, au fouverain feul qu'il appartient de faire grâce; ainfi tout militaire qui prend fur lui d'adoucir la févérité des lois, ou de difpenfer de leur obfervation, fait plus qu'il ne doit, plus qu'il ne peut; eft-il au confeil de guerre, il doit juger fi l'accufé a violé la loi, & prononcer ce qu'elle décide; remplit - il quelque autre fonction, il doit empêcher qu'on ne fe difpenfe d'obferver la loi, & c'eft lui cependant qui permet qu'on la viole. Quoi, dira-t-on, vous ne voulez point qu'un chef de

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