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de paroître plus prédicateur qu'historien, quand vous dirois qu'il n'avoit eu la moitié de sa vie que du mépris pour le talent des vers, et pour la gloire que ce talent lui avoit acquise. Mais maintenant qu'à ces Mémoires je suis en état d'ajouter un recueil de ses lettres, et qu'au lieu de vous parler de lui, je puis vous le faire parler lui-même, j'espère que cet ouvrage, que j'ai fait pour vous, produira en vous les fruits que j'en attends, par les instructions que vous y donnera celui qui doit faire sur vous une si grande impression.

Vous n'êtes pas encore en état de goûter les lettres de Cicéron, qui étoient les compagnes de tous ses voyages; mais il vous est d'autant plus aisé de goûter les siennes, que vous pouvez les regarder comme adressées à vous-même. Je parle de celles qui composent le troisième recueil.

Ne jetez les yeux sur les lettres de sa jeunesse que pour y apprendre l'éloignement que l'amour de l'étude lui donnoit du monde, et les progrès qu'il avoit déjà faits, puisqu'à dix-sept ou dix-huit ans il étoit rempli des auteurs grecs, latins, italiens, espagnols, et en même temps possédoit si bien sa langue, quoiqu'il se plaigne de n'en avoir qu'une petite teinture, que ces lettres, écrites sans travail, sont dans un style toujours pur et naturel.

Vous ne pourrez sentir que dans quelque temps le mérite de ses lettres à Boileau, et de celles de Boileau ne soyez donc occupé aujourd'hui que de ses dernières lettres, qui, quoique simplement

écrites, sont plus capables que toute autre lecture de former votre cœur, parce qu'elles vous dévoileront le sien. C'est un père qui écrit à son fils comme à son ami. Quelle attention, sans qu'elle ait rien d'affecté, pour le rappeler toujours à ce qu'il doit à Dieu, à sa mère et à ses sœurs! Avec quelle douceur il fait des réprimandes, quand il est obligé d'en faire! Avec qu'elle modestie il donne des avis! Avec quelle franchise il lui parle de la médiocrité de sa fortune! Avec quelle simplicité il lui rend compte de tout ce qui se passe dans son ménage! Et gardez-vous bien de rougir quand vous l'entendrez répéter souvent les noms de Babet, Fanchon, Madelon, Nanette, mes sœurs: apprenez au contraire en quoi il est estimable. Quand vous l'aurez connu dans sa famille, vous le goûterez mieux lorsque vous viendrez à le connoître sur le Parnasse; vous saurez pourquoi ses vers sont toujours pleins de sentimens.

Plutarque a déjà pu vous apprendre que Caton l'ancien préféroit la gloire d'être bon mari à celle d'être grand sénateur, et qu'il quittoit les affaires les plus importantes pour aller voir sa femme remuer et emmailloter son enfant. Cette sensibilité antique n'est-elle donc plus dans nos mœurs, et trouvons-nous qu'il soit honteux d'avoir un cœur? L'humanité toujours belle, se plaît surtout dans les belles âmes; et les choses qui paroissent des foiblesses puériles aux yeux d'un bel esprit, sont les vrais plaisirs d'un grand homme. Celui dont on

vous a dit tant de fois, et trop souvent peut-être, que vous deviez ressusciter le nom, n'étoit jamais si content que quand, libre de quitter la cour, où il trouva dans les premières années de si grands agrémens, il pouvoit venir passer quelques jours avec nous. En présence même d'étrangers, il osoit être père il étoit de tous nos jeux; et je me souviens (je le puis écrire, puisque c'est à vous que j'écris); je me souviens de processions dans lesquelles mes sœurs étoient le clergé, j'étois le curé, et l'auteur d'Athalie, chantant avec nous, portoit la croix.

C'est une simplicité de mœurs si admirable, dans un homme tout sentiment et tout cœur, qui est cause qu'en copiant pour vous ses lettres, je verse à tous momens des larmes, parce qu'il me communique la tendresse dont il étoit rempli.

Oui, mon fils, il étoit né tendre, et vous l'entendrez assez dire; mais il fut tendre pour Dieu lorsqu'il revint à lui; et du jour qu'il revint à ceux qui dans son enfance lui avoient appris à le connoître, il le fut pour eux sans réserve; il le fut pour ce roi dont il avoit tant de plaisir à écrire l'histoire; il le fut toute sa vie pour ses amis; il le fut depuis son mariage et jusqu'à la fin de ses jours pour sa femme, et pour tous ses enfans sans prédilection; il l'étoit pour moi-même, qui ne faisois guère que de naître quand il mourut, et à qui ma mémoire ne peut rappeler que ses caresses.

Attachez-vous donc uniquement à ses dernières

lettres, et aux endroits de la seconde partie de ces
Mémoires où il parle à un fils qu'il vouloit éloi-
gner de la passion des vers, que je n'ai que trop
écoutée, parce que je n'ai pas eu les mêmes le-
çons. Il lui faisoit bien connoître que les succès
les plus heureux ne rendent pas le poète heureux,
lorsqu'il lui avouoit que la plus mauvaise critique
lui avoit toujours causé plus de chagrin, que les
plus grands applaudissemens ne lui avoient fait de
plaisir. Retenez surtout ces paroles remarquables,
qu'il lui disoit dans l'épanchement d'un cœur pa-
ternel: « Ne croyez pas que ce soient mes pièces
» qui m'attirent les caresses des grands. Corneille
» fait des vers cent fois plus beaux que les miens
>> et cependant personne ne le regarde; on ne
>> l'aime que dans la bouche de ses acteurs. Au lieu
» que sans fatiguer les gens du monde du récit de
» mes ouvrages, dont je ne leur parle jamais, je
» les entretiens de choses qui leur plaisent. Mon
» talent avec eux n'est pas de leur faire sentir que
j'ai de l'esprit, mais de leur apprendre qu'ils en

>> ont. >>>

Vous ne connoissez pas encore le monde, vous ne pouvez qu'y paroître quelquefois, et vous n'y avez jamais paru sans vous entendre répéter que vous portiez le nom d'un poète fameux, qui avoit été fort aimé à la cour. Qui peut mieux que ce même homme vous instruire des dangers de la poésie et de la cour? La fortune qu'il y a faite vous sera connue, et vous verrez dans ces Mémoires ses jours

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abrégés par un chagrin, pris à la vérité trop vivement, mais sur des raisons capables d'en donner.. Vous verrez aussi que la passion des vers égara sa jeunesse, quoique nourrie de tant de principes de religion, et que la même passion éteignit pour un temps, dans ce cœur si éloigné de l'ingratitude, les sentimens de reconnoissance pour ses premiers maîtres.

Il revint à lui-même : et sentant alors combien ce qu'il avoit regardé comme bonheur étoit frivole, il n'en chercha plus d'autre que dans les douceurs de l'amitié, et dans la satisfaction à remplir tous les devoirs de chrétien et de père de famille. Enfin ce poète, qu'on vous a dépeint comme environné des applaudissemens du monde, et accablé des caresses des grands, n'a trouvé de consolation que dans les sentimens de religion dont il étoit pénétré. C'est en cela, mon fils, qu'il doit être votre modèle; et c'est en l'imitant dans sa piété et dans les aimables qualités de son cœur, que vous serez l'héritier de sa véritable gloire, et que son nom que je vous ai transmis vous appartiendra.

Le desir que j'en ai, m'a empêché de vous témoigner le desir que j'aurois encore de vous voir embrasser l'étude avec la même ardeur. Je vous ai montré des livres tout grecs, dont les marges sont couvertes de ses apostilles, lorsqu'il n'avoit que quinze ans. Cette vue, qui vous aura peut-être effrayé, doit vous faire sentir combien il est utile de se nourrir de bonne heure d'excellentes choses. Platon, Plutarque,

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