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SUR LE POEME EPIQUE, RELATIVEMENT A LA HENRIADE.

J'AI été fur le point, Monfieur, de vous manquer de parole, & de ne point travailler à l'examen de la Henriade, que je vous avois promis; je m'en étois détourné

moi-même par deux ou trois réflexions qui vous paroîtront fans doute fort fenfées.

Autant je m'étois fenti d'ardeur & de courage à foutenir, dans mes Lettres précédentes, la caufe de nos meilleurs Ecrivains, fi maltraités par vous ; & fur-tout

à

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venger le grand Corneille de toutes vos injustices; autant je me fentois de répugnance à vous entreprendre vous-même fur vos propres Ouvrages, quoique mon but fût feulement de prouver que, fi vous aviez conjuré l'abaiffement de nos Maîtres, c'étoit par un défefpoir fecret de vous fentir au-deffous d'eux, & pour les faire defcendre à votre niveau; & que vous n'aviez pas moins contribué à la corruption du goût par vos exemples que par vos principes.

En vain je me difois, pour m'encourager, qu'il eft très permis d'attaquer, avec la raifon, un homme qui a fans ceffe & fans raifon, attaqué ce qu'il y a de plus parfait ; j'avois beau être fûr de moi-même & de mon impartialité à diftinguer les beautés véritables, comme à démêler celles qui

n'ont qu'un faux éclat; je me représentois en vain que je pouvois mettre dans mes intérêts les efprits les plus prévenus, en ufant de certains ménagemens, en recourant à ces détours adroits qui n'ajoutent rien à la vérité ni à la raifon, qui fouvent même les affoibliffent, mais qui les font admettre, en les offrant dans un demi-jour, où les yeux foibles & trop délicats peuvent les fixer au moins fans en être bleffés. Ces raifons & d'autres encore ne me perfuadoient point.

n'aiment

A quoi bon, difois - je, propofer mes doutes & mes réflexions fur un Poëme déjà prefque réduit à fa jufte valeur, par ce petit nombre de bons Juges à qui Horace vouloit qu'on foumît fes Ouvrages? Pourquoi choquer la prévention de tant de gens qui pas à revenir d'une admiration même exceffive & qui défendent, par amour-propre, ce qu'ils ont approuvé fans réflexion? Pourquoi déplaire à plusieurs autres qui prennent le parti d'un Auteur, parce qu'il eft vivant, qui vous blâment tout haut dans le monde, & qui vous difent tout bas: nous vous l'abandonnerons quand il ne fera plus? A quoi bon exciter encore contre moi

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toutes les haines, toutes les clameurs d'une cabale qui fe foucie auffi peu du bon goût que de la vraie Philosophie, mais qui veut acquérir de la célébrité à quelque prix que ce foit, & la conferver à toute force, par toutes fortes de moyens ? Quel intérêt n'ontils pas, étant fi fort au-deffous de leur Chef, que ce Chef ne foit pas lui-même fi inférieur aux grands hommes du fiècle der

nier?

Enfin, tout bien pesé, je m'étois déterminé à garder un filence qu'on auroit interprété comme on auroit voulu, & à ne point prévenir le jugement que la postérité doit bientôt prononcer fur vos productions, lorfque je reçus la vifite d'un de vos admirateurs, qui ne laisse pas, en vous louant beaucoup, de confeffer vos torts, & qui est fâché de ce que j'ai trop souvent raison contre vous; ce font fes termes. Après m'avoir félicité de la maniere victorieufe dont j'ai réfuté vos Commentaires fur Corneille; car il eft pénétré auffi d'admiration pour ce grand Poëte, même un peu plus que pour vous ; ce qui vous étonnera: il me demanda où en étoit la guerre contre la Henriade, &

fi ma campagne étoit bientôt finie. Je lui répondis qu'elle n'étoit pas commencée. Tant mieux, me dit-il, je fuis bienaife de vous guérir auparavant de quelques préventions que vous pouvez avoir contre ce Poëme, & fi vous voulez bien que je brise avec vous une lance en fa faveur, je fuis fûr de vous faire avouer que la Henriade ne le cède pas en beauté à toutes les Epopées de l'univers. Cette bravade me fit oublier à l'instant tous mes projets de paix, & j'acceptai le défi de votre Paladin. Ce font, Monfieur, les détails de notre joûte littéraire que je vais retracer fous vos yeux. Soyez vous-même l'arbitre du combat, & jugez les coups.

Pour mettre un peu d'ordre & de fuite dans nos entretiens; pour éviter les redites & les écarts où le défordre de la converfation entraîne nécessairement, nous convînmes d'abord de la marche que nous fuivrions; nous diftribuâmes d'avance les différentes parties de notre difcuffion, pour les débattre l'une après l'autre; car j'avois à faire à un homme qui aime la méthode & la clarté.

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