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permettoit de se promener quelquefois à la pointe du Serrail fur le canal de la Mer noire. M. le Comte de Cézy difoit que c'étoit un Prince de bonne mine. Il a écrit depuis les circonftances de fa mort; & il y a encore plufieurs perfonnes de qualité qui fe fouviennent de lui en avoir entendu faire le récit lorsqu'il fut de retour en France.

Quelques Lecteurs pourront s'étonner qu'on ait ofé mettre fur la Scène une histoire fi récente ; mais je n'ai rien vu dans les règles du Poëme dramatique qui dût me détourner de mon entreprise. A la vérité, je ne confeillerois pas à un Auteur de prendre pour fujet d'une Tragédie une action auffi moderne que celle-ci, fi elle s'étoit paffée dans le pays où il veut faire repréfenter fa Tragédie, ni de mettre fur le Théâtre des Héros, qui auroient été connus de la plupart des Spectateurs. Les Perfonnages tragiques doivent être regardés d'un autre ceil que nous ne regardons d'ordinaire les Perfonnages que nous avons vus de fi près. On peut dire que le refpect que l'on a pour les Héros s'augmente à mesure qu'ils s'éloignent de nous, major è longinquo reverentia. L'éloignement des pays répare en quelque forte la trop grande proximité des temps; car le Peuple ne met guères de différence entre ce qui eft, fi j'ofe ainfi parler, à mille ans de lui, & ce qui en eft à mille lieues. C'est ce qui fait, par exemple, que les Perfonnages Turcs, quelques modernes qu'ils foient, ont de la dignité fur notre Théâtre. On les regarde

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de bonne heure commé anciens. Ce font des mœurs & des coutumes toutes différenres. Nous avons fi peu de commerce avec les Princes, & les autres perfonnes qui vivent dans le Serrail, que nous les confidérons pour ainfi dire, comme des gens qui vivent dans un autre fiècle que le nôtre.

C'étoit à peu près de cette manière que les Perfans étoient anciennement confidérés des Athéniens. Auffi le Poëte Eschyle ne fit point de difficulté d'introduire dans une Tragédie la mere de Xerxès, qui étoit peut être encore vivante, & de faire repréfenter fur le Théâtre d'Athènes la défolation de la Cour de Perfe, après la déroute de ce Prince. Cependant ce même EFchyle s'étoit trouvé en perfonne à la bataille de Salamine où Xerxès avoit été vaincu ; & il s'étoit trouvé encore à la défaite des Lieutenans de Darius, père de Xerxès, dans la plaine de Marathon; car Efchyle étoit homme de guerre, & il étoit frère de ce fameux Cynégire, dont il eft tant parlé dans l'Antiquité, & qui mourut fi glorieufement en attaquant un des vaisseaux du Roi de Perfe.

2

ACTEURS.

BAJAZET, frère du Sultan Amurat.

ROXANE, Sultane favorite du Sultan Amurat.

ATALIDE, fille du Sang Ottoman.

ACOMAT, Grand Vifir.

OSMIN, Confident du Grand Visir.

ZATIME, Efclave de la Sultane.

ZAÏRE, Esclave d'Atalide.

GARDES.

La Scene eft à Conftantinople, autrement dite Byfance, dans le Serrail du Grand-Seigneur.

* *

BAJAZET,

TRAGÉDI E.

*

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ACTE PREMIER. SCENE PREMIERE.

V1

A COMAT, OS MIN.

A COMA T.

IENS, fuis-moi. La Sultane en ce lieu fe doit rendre. Je pourrai, cependant, te parler & t'entendre.

OSMIN.

Et depuis quand, Seigneur, entre-t-on dans ces lieux,
Dont l'accès étoit même interdit à nos yeux?
Jadis une mort prompte eût fuivi cette audace.

A COMA T.

Quand tu feras inftruit de tout ce qui se passe;
Mon entrée en ces lieux ne te furprendra plus.
Mais, laiffons, cher Ofmin, les difcours fuperflus.

Que ton retour tardoit à mon impatience!

Et que, d'un œil content, je te vois dans Byfance!
Inftruis-moi des fecrets que peut t'avoir appris
Un voyage fi long pour moi feul entrepris.

De ce qu'ont vu tes yeux, parle en témoin sincère,
Songe que du récit, Osmin, que tu vas faire,
Dépendent les deftins de l'Empire Ottoman.
Qu'as-tu vu dans l'armée, & que fait le Sultan?

OSMIN.

Babylone, Seigneur, à fon Prince fidelle,
Voyoit, fans s'étonner, notre armée autour d'elle ;
Les Perfans raffemblés marchoient à son secours,
Et du camp d'Amurat s'approchoient tous les jours.
Lui-même, fatigué d'un long fiége inutile,
Sembloit vouloir laiffer Babylone tranquille;
Et fans renouveller fes affauts impuiffans,
Réfolu de combattre, attendoit les Perfans.
Mais, comme vous favez, malgré ma diligence,
Un long chemin fépare & le camp & Byfance,
Mille obftacles divers m'ont même traversé;
Et je puis ignorer tout ce qui s'eft paffé.

АСОМА Т.

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Que faifoient cependant nos braves Janiffaires? Rendent-ils au Sultan des hommages fincères ? Dans le fecret des cœurs, Ofmin, n'as-tu rien lu? Amurat jouit-il d'un pouvoir abfolu?

OSMIN.

Amurat eft content, fi nous le voulons croire,

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