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PREFAC E.

TITUS reginam Berenicen, cui etiam nuptias polli

citus ferebatur, ftatim ab urbe dimifit invitus invitam. C'eft-à-dire, que Titus, qui aimoit paffionnément Bérénice, & qui même, à ce qu'on croyoit, lui avoit promis de l'époufer, la renvoya de Rome, malgré lai & malgré elle, dès les premiers jours de fon Empire. Cette action est très-fameufe dans l'hiftoire ; & je l'ai trouvée très-propre pour le Théâtre, par la violence des paffions qu'elle y pouvoit exciter. En effet, nous n'avons rien de plus touchant dans tous les Poëtes, que la féparation d'Enée & de Didon, dans Virgile. Et qui doute que ce qui a pû fournir affez de matiere pour tout un chant d'un Poëme héroïque, où l'action dure plusieurs jours, ne puiffe fuffire pour le sujet d'une Tragédie, dont la durée ne doit être que de quelques heures? Il est vrai que je n'ai point pouffé Bérénice jusqu'à se tuer comme Didon; parce que Bérénice n'ayant pas ici avec Titus les derniers engagemens que Didon avoit avec Enée, elle n'est pas obligée, comme elle, de renoncer à la vie. A cela près, le dernier adieu qu'elle dit à Titus, & l'effort qu'elle fe fait pour s'en féparer, n'eft pas le moins tragique de la Pièce ; & j'ofe dire qu'il renouvelle affez bien, dans le cœur des fpectateurs, l'émotion que le refte y avoit pû exciter, Ce n'est point une nécessité qu'il y ait du fang &

des morts dans une Tragédie; il fuffit que l'action en foit grande, que les Acteurs en foient héroïques, que les paffions y foient excitées, & que tout s'y reffente de cette trifteffe majestueuse qui fait tout le plaifir de la Tragédie.

Je crus que je pourrois rencontrer toutes ces parties 'dans mon fujet : mais ce qui m'en plut davantage, c'eft que je le trouvai extrêmement simple. Il y avoit longtemps que je voulois effayer fi je pourrois faire une Tragédie avec cette fimplicité d'action qui a été fi fort du goût des Anciens. Car c'est un des premiers préceptes qu'ils nous ont laiffés. » Que ce que vous ferez, » dit Horace, foit toujours fimple, & ne foit qu'un. «‹ Ils ont admiré l'Ajax de Sophocle, qui n'est autre chofe qu'Ajax qui fe tue de regret, à cause de la fureur où il étoit tombé, après le refus qu'on lui avoit fait des armes d'Achille. Ils ont admiré le Philoctete, dont tout le fujet eft Ulysse, qui vient pour surprendre les flèches d'Hercule. L'Edipe même, quoique tout plein de reconnoiffances, eft moins chargé de matière la plus fimple Tragédie de nos jours. Nous voyons enfin que les partifans de Térence, qui l'élèvent avec raison au-deffus de tous les Poëtes comiques, pour l'élégance de fa diction, & pour la vraisemblance de fes mœurs ne laiffent pas de confeffer que Plaute a un grand avantage fur lui, par la fimplicité qui est dans la plupart des fujets de Plaute; & c'eft, fans doute, cette fimplicité merveilleuse qui a attiré à ce dernier toutes les louan

que

ges que les Anciens lui ont données. Combien Ménandre étoit-il encore plus fimple, puifque Térence eft obl gé de prendre deux Comédies de ce Poëte, pour en fire une des fiennes ?

Et il ne faut point croire que cette règle ne foit fondée que sur la fantaisie de ceux qui l'ont faite. Il n'y a que le vraisemblable qui touche dans la Tragédie. Et quelle vraisemblance y a-t-il qu'il arrive en un jour une multitude de chofes qui pourroient à peine arriver en plufieurs femaines? Il y en a qui penfent que cette fimplicité eft une marque de peu d'invention. Ils ne fongent pas qu'au contraire toute l'invention confiste à faire quelque chofe de rien, & que tout ce grand nom bre d'incidens a toujours été le refuge des Poëtes qui ne fentoient, dans leur génie ni affez d'abondance, ni affez de force, pour attacher durant cinq Actes leurs fpectateurs, par une action fimple, foutenue de la violence des paffions, de la beauté des fentimens, & de l'élégance de l'expreffion. Je fuis bien éloigné de croire que toutes ces choses se rencontrent dans mon ouvrage. Mais auffi je ne puis croire que le Public me fache mauvais gré de lui avoir donné une Tragédie, qui a été honorée de tant de larmes, & dont la trentième représentation a été auffi fuivie que la première.

Ce n'eft pas que quelques perfonnes ne m'aient reproché cette même fimplicité que j'avois recherchée avec tant de foin, Ils ont cru qu'une Tragédie, qui étoit fi peu chargée d'intrigues, ne pouvoit être felon

les règles du Théâtre. Je m'informai s'ils fe plaignoient qu'elle les eût ennuyés. On me dit qu'ils avouoient tous qu'elle n'ennuyoit point, qu'elle les touchoit mê- ' me en plufieurs endroits, & qu'ils la verroient encore avec plaifir. Que veulent-ils davantage? Je les conjure d'avoir affez bonne opinion d'eux-mêmes, pour ne pas croire qu'une Pièce qui les touche, & qui leur donne' du plaifir, puiffe être abfolument contre les règles. La principale règle eft de plaire & de toucher. Toutes les autres ne font faites que pour parvenir à cette première. Mais toutes ces règles font d'un long détail, dont je ne leur confeille de s'embarraffer. Ils ont des occupa→ tions plus importantes. Qu'ils fe repofent fur nous de la fatigue d'éclaircir les difficultés de la Poëtique' d'Ariftote. Qu'ils fe réfervent le plaifir de pleurer & d'être attendris, & qu'ils me permettent de leur dire ce qu'un Muficien difoit à Philippe, Roi de Macédoine, qui prétendoit qu'une Chanfon n'étoit pas felon les règles : » A Dieu ne plaise, Seigneur, que vous foyez » jamais fi malheureux que de favoir ces chofes-là >> mieux que moi ! «<<

pas

Voilà tout ce que j'ai à dire à ces perfonnes, à qui je ferai toujours gloire de plaire; car pour le Libelle que l'on a fait contre moi, je crois que les Lecteurs me dif penseront volontiers d'y répondre. Et que répondroisje à un homme qui ne penfe rien, & qui ne fait pas même conftruire ce qu'il penfe? Il parle de Protafe comme s'il entendoit ce mot, & veut que cette pre

mière des quatre parties de la Tragédie foit toujours la plus proche de la dernière, qui eft la catastrophe. Il fe plaint que la trop grande connoissance des règles l'empêche de fe divertir à la Comédie. Certainement fi l'on en juge par fa differtation, il n'y eut jamais de plainte plus mal fondée. Il paroît bien qu'il n'a jamais lû Sophocle, qu'il loue très-injuftement d'une grande multiplicité d'incidens ; & qu'il n'a même jamais rien lû de la Poëtique, que dans quelques Préfaces de Tragédies. Mais je lui pardonne de ne pas savoir les règles du Théâtre, puifqu'heureusement pour le Public il ne s'applique pas à ce genre d'écrire. Ce que je ne lui pardonne pas, c'est de savoir si peu les règles de la bonne plaifanterie, lui qui ne veut pas dire un mot fans plaifanter. Croit-il réjouir beaucoup les honnêtes gens par ces hélas de poches, ces mefdemoiselles mes Règles, & quantité d'autres baffes affectations qu'il trouvera condamnées dans tous les bons Auteurs, s'il fe mêle jamais de les lire ?

Toutes ces critiques font le partage de quatre ou cinq petits Auteurs infortunés, qui n'ont jamais pû par eux-mêmes exciter la curiofité du Public. Ils attendent toujours l'occafion de quelque ouvrage qui réuffiffe, pour l'attaquer: non point par jaloufie; car fur quel fondement feroient-ils jaloux? mais dans l'efpérance qu'on fe donnera la peine de leur répondre, & qu'on les tirera de l'obscurité où leurs propres ouvrages les auroient laiffés toute leur vie,

A Y

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