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Ne me fuffifoient pas pour mériter ses vœux.
J'entrepris le bonheur de mille malheureux.

On vit de toutes parts mes bontés fe répandre ;
Heureux, & plus heureux que tu ne peux comprendre,
Quand je pouvois paroître à ses yeux satisfaits,
Chargé de mille cœurs conquis par mes bienfaits!
Je lui dois tout, Paulin. Récompense cruelle !
Tout ce que je lui dois va retomber fur elle.
Pour prix de tant de gloire, & de tant de vertus,
Je lui dirai : Partez, & ne me voyez plus.

PAULIN.

Hé quoi, Seigneur, hé quoi ? Cette magnificence
Qui va jufqu'à l'Euphrate étendre fa puissance;
Tant d'honneurs, dont l'excès a furpris le Sénat,
Vous laiffent-ils encor craindre le nom d'ingrat?
Sur cent Peuples nouveaux Bérénice commande.

TITUS.

Foibles amusemens d'une douleur fi grande!
Je connois Bérénice, & ne fais que trop bien
Que fon cœur n'a jamais demandé que le mien.
Je l'aimai, je lui plùs. Depuis cette journée,
Dois-je dire funefte, hélas! ou fortunée
Sans avoir, en aimant, d'objet que fon amour,
Étrangere dans Rome, inconnue à la Cour,

Elle paffe fes jours, Paulin, fans rien prétendre

Que quelque heure à me voir, & le refle à m'attendre. Encor fi, quelquefois, un peu moins affidu,

Je paffe le moment où je suis attendu ;

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Je la revois bien-tôt de pleurs toute trempée;
Ma main à les fécher eft long-temps occupée.
Enfin, tout ce qu'amour a de nœuds plus puissans,
Doux reproches, transports fans ceffe renaiffans,
Soin de plaire fans art, crainte toujours nouvelle,
Beauté, gloire, vertu, je trouve tout en elle.
Depuis cinq ans entiers chaque jour je la vois,
Et crois toujours la voir pour la première fois.
N'y fongeons plus. Allons, cher Paulin, plus j'y pense,
Plus je fens chanceler ma cruelle conftance.
Quelle nouvelle, ô Ciel, je lui vais annoncer!
Encore un coup, allons, il n'y faut plus penser.
Je connois mon devoir, c'eft à moi de le fuivre ;
Je n'examine point fi j'y pourrai furvivre.

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Quoi, déja vous semblez reculer?

De vos nobles projets, Seigneur, qu'il vous fouvienne,

Voici le temps.

TITUS.

Hé bien, voyons-la. Qu'elle vienne.

SCENE IV.

BÉRÉNICE, TITUS, PAULIN,

NE YOU

PHÉNIC E.

BERENICE.

E vous offenfez pas, fi mon zèle indiscret:
De votre folitude interrompt le fecret.

Tandis qu'autour de moi votre Cour assemblée
Retentit des bienfaits dont vous m'avez comblée,
Eft-il jufte, Seigneur, que feule, en ce moment,
Je demeure fans voix & fans reffentiment ?
Mais, Seigneur, ( car je fai que cet ami fincère
Du fecret de nos cœurs connoît tout le mystère)
Votre deuil eft fini, rien n'arrète vos pas,
Vous êtes feul enfin, & ne me cherchez pas..
J'entens que vous m'offrez un nouveau diadême,
Et ne puis cependant vous entendre vous-même.
Hélas, plus de repos, Seigneur, & moins d'éclat !
Votre amour ne peut-il paroître qu'au Sénat?
Ah, Titus, (car enfin l'amour fuit la contrainte
De tous ces noms que fuit le refpect & la crainte)
De quel foin votre amour va-t-il s'importuner !
N'a-t-il que des États qu'il me puiffe donner?
Depuis quand croyez-vous que ma grandeur me touche
Un foupir, un regard, un mot de votre bouche
Voilà l'ambition d'un cœur comme le mien,

Voyez-moi plus fouvent, & ne me donnez rien.
Tous vos mcmens font-ils dévoués à l'Empire ?
Ce cœur, après huit jours, n'a-t-il rien à me dire ?
Qu'un mot va raffurer mes timides efprits!

Mais parliez-vous de moi, quand je vous ai furpris? -
Dans vos fecrets difcours étois-je intéreffée,
Seigneur ? Étois-je, au moins préfente à la pensée ?

TITUS.

N'en doutez point, Madame, & j'attefte les Dieux
Que toujours Bérénice eft préfente à mes yeux.
L'abfence, ni le temps, je vous le jure encore
Ne vous peuvent ravir ce cœur qui vous adore.
BERENICE.

Hé quoi, vous me jurez une éternelle ardeur,
Et vous me la jurez avec cette froideur !
Pourquoi même du Ciel attefter la puissance?
Faut-il par des fermens vaincre ma défiance ?
Mon cœur ne prétend point, Seigneur, vous démentir,
Et je vous en croirai fur un fimple foupir.

Madame...

TITUS.

BERENICE.

Hé bien, Seigneur ?Mais quoi, fans me répondre, Vous détournez les yeux, & femblez vous confondre? Ne m'offrirez-vous plus qu'un visage interdit? Toujours la mort d'un père occupe votre esprit :

Rien ne peut- charmer l'ennui qui yous dévore?

TITUS.

Plût aux Dieux que mon père, hélas, vécût encore! Que je vivrois heureux !

BÉRÉNICE.

Seigneur, tous ces regrets.

De votre piété font de juftes effets.

Mais vos pleurs ont affez honoré sa mémoire.
Vous devez d'autres foins à Rome, à votre gloire.
De mon propre intérêt je n'ofe vous parler.
Bérénice autrefois pouvoit vous confoler.
Avec plus de plaifir vous m'avez écoutée.
De combien de malheurs, pour vous perfécutée,
Vous ai-je, pour un mot, facrifié mes pleurs ?
Vous regrettez un père. Hélas, foibles douleurs!
Et moi (ce fouvenir me fait frémir encore)
On vouloit m'arracher de tout ce que j'adore,
Moi, dont vous connoissez le trouble & le tourment,
Quand vous ne me quittez que pour quelque moment :
Moi, qui mourrois le jour qu'on voudroit m'interdire
De vous....

TITUS.

Madame, hélas, que me venez-vous dire ? Quel temps choififfez-vous? Ah, de grace, arrêtéz! C'est trop, pour un ingrat, prodiguer vos bontés.

BERÉNICE.

Pour un ingrat, Seigneur ! Et le pouvez-vous être ? Ainfi donc mes bontés vous fatiguent peut-être 2

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