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D'ailleurs, vous le favez, en banniffant fes Rois,
Rome, à ce nom fi noble & fi faint autrefois,
Attacha, pour jamais, une haine puiffante;
Et, quoiqu'à fes Céfars fidèle, obéiffante,
Cette haine, Seigneur, refte de fa fierté,
Survit dans tous les cœurs après la liberté.
Jules, qui le premier la foumit à fes armes,
Qui fit taire les loix dans le bruit des allarmes,
Brûla pour Cléopâtre, &, fans fe déclarer,
Seule dans l'Orient la laiffa foupirer.
Antoine, qui l'aima jusqu'à l'idolâtrie,
Oublia dans fon fein fa gloire & fa patrie,
Sans ofer toutefois fe nommer fon époux.
Rome l'alla chercher jufques à fes genoux;
Et ne défarma point fa fureur vengereffe,
Qu'elle n'eût accablé l'amant & la maîtreffe.
Depuis ce temps, Seigneur, Caligula, Néron,
Monftres, dont à regret je cite ici le nom,

Et qui, ne confervant que la figure d'homme,
Foulèrent à leurs pieds toutes les loix de Rome,
Ont craint cette loi feule, & n'ont point, à nos yeux,
Allumé le flambeau d'un hymen odieux.

Vous m'avez commandé fur-tout d'être fincère.
De l'affranchi Pallas nous avons vu le frère,
Des fers de Claudius Félix encor flétri,
De deux Reines, Seigneur, devenir le mari ;
Et, s'il faut jufqu'au bout que je vous obéiffe,
Ces deux Reines étoient du fang de Bérénice.

Et vous croiriez pouvoir, fans bleffer nos regards,
Faire entrer une Reine au lit de nos Céfars!
Tandis que l'Orient, dans le lit de fes Reines,
Voit paffer un efclave at fortir de nos chaînes ?
C'est ce que les Romains pensent de votre amour.
Et je ne répons pas, avant la fin du jour,

Que le Sénat, chargé des vœux de tout l'Empire,
Ne vous redise ici ce que je viens de dire;
Et que Rome, avec lui, tombant à vos genoux,
Ne vous demande un choix digne d'elle & de vous.
Vous pouvez préparer, Seigneur, votre réponse.

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Hélas, à quel amour on veut que je renonce!

PAULIN.

Cet amour eft ardent, il le faut confeffer.

TITUS.

Plus ardent mille fois que tu ne peux penfer,
Paulin. Je me fuis fait un plaifir néceffaire

De la voir chaque jour, de l'aimer, de lui plaire.
J'ai fait plus. Je n'ai rien de fecret à tes yeux.
J'ai pour elle, cent fois, rendu graces aux Dieux,
D'avoir choifi mon père au fond de l'Idumée,
D'avoir rangé fous lui l'Orient & l'armée ;
Et, foulevant encor le refte des humains,
Remis Rome fanglante en fes paisibles mains.
J'ai même souhaité la place de mon père;
Moi, Paulin, qui, cent fois, fi le fort moins févère
Eût voulu de fa vie étendre les liens,

Aurois donné mes jours pour prolonger les fiens;
Tout cela, qu'un amant fait mal ce qu'il desire !
Dans l'espoir d'élever Bérénice à l'Empire;
De reconnoître un jour fon amour & fa foi,
Et de voir à fes pieds tout le monde avec moi.
Malgré tout mon amour, Paulin, & tous ses charmes,
Après mille fermens appuyés de mes larmes,
Maintenant que je puis couronner tant d'attraits,
Maintenant que je l'aime encor plus que jamais;
Lorsqu'un heureux hymen, joignant nos destinées,
Peut payer, en un jour, les vœux de cinq années ;
Je vais, Paulin.... O Ciel ! Puis-je le déclarer ?

Quoi, Seigneur?

PAULIN.

TITUS.

Pour jamais je vais m'en séparer. Mon cœur, en ce moment, ne vient pas de se rendre. Si je t'ai fait parler, fi j'ai voulu t'entendre, Je voulois que ton zèle achevât en fecret De confondre un amour qui se taît à regret. Bérénice a long-temps balancé la victoire ; Et fi je penche enfin du côté de ma gloire, Crois qu'il m'en a coûté, pour vaincre tant d'amour, Des combats, dont mon cœur faignera plus d'un jour. J'aimois, je foupirois dans une paix profonde: Un autre étoit chargé de l'Empire du Monde. Maître de mon deftin, libre dans mes foupirs, Je ne rendois qu'à moi compte de mes defirs

Mais à peine le Ciel eut rappellé mon père ;
Dès que ma triste main eut fermé sa paupière,
De mon aimable erreur je fus désabusé ;
Je fentis le fardeau qui m'étoit impofé.

Je connus que bien-tôt, loin d'être à ce que j'aime,
Il falloit, cher Paulin, renoncer à moi-même ;
Et que le choix des Dieux, contraire à mes amours
Livroit à l'Univers le refte de mes jours.

Rome obferve aujourd'hui ma conduite nouvelle.
Quelle honte pour moi! Quel préfage pour elle,
Si, dès le premier pas, renverfant tous les droits,
Je fondo's mon bonheur fur le débris des loix ?
Réfolu d'accomplir ce cruel facrifice,
J'y voulus préparer la triste Bérénice.

Mais par où commencer? Vingt fois, depuis huit jours,
J'ai voulu devant elle en ouvrir le discours;
Et, dès le premier mot ma langue embarrassée,
Dans ma bouche, vingt fois, a demeuré glacée.
J'efpérois que, du moins, mon trouble & ma douleur
Lui feroient preffentir notre commun malheur.
Mais, fans me foupçonner, fenfible à mes allarmes
Elle m'offre fa main pour effuyer mes larmes ;
Et ne prévoit rien moins, dans cette obfcurité,
Que la fin d'un amour qu'elle a trop mérité.
Enfin, j'ai ce matin rappellé ma constance.
Il faut la voir, Paulin, & rompre le filence.
J'attens Antiochus, pour lui recommander
Ce dépôt précieux que je ne puis garder..

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Jufques dans l'Orient je veux qu'il la remène :
Demain Rome, avec lui, verra partir la Reine.
Elle en fera bientôt inftruite par ma voix;
Et je vais lui parler pour la dernière fois.

PAULIN.

Je n'attendois pas moins de cet amour de gloire,
Qui par-tout, après vous, attacha la victoire.
La Judée affervie, & fes remparts fumans",
De cette noble ardeur éternels monumens,
Me répondoient affez que votre grand courage
Ne voudroit pas, Seigneur, détruire fon ouyrage;
Et qu'un Héros, vainqueur de tant de nations,
Sauroit bien, tôt ou tard, vaincre fes paffions.

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Ah, que fous de beaux noms cette gloire et cruelle
Combien mes tristes yeux la trouveroient plus belle,
S'il ne falloit encor qu'affronter le trépas!

Que dis-je ? Cette ardeur que j'ai pour ses appas,
Bérénice en mon sein l'a jadis allumée.

Tu ne l'ignores pas: toujours la Renommée
Avec le même éclat n'a pas femé mon nom.
Ma jeuneffe, nourrie à la Cour de Néron,
S'égaroit, cher Paulin, par l'exemple abufée,
Et fuivoit du plaifir la pente trop aifée.
Bérénice me plut. Que ne fait point un cœur
Pour plaire à ce qu'il aime, & gagner fon vainqueur?
Je prodiguai mon fang. Tout fit place à mes armes :
Je revins triomphant. Mais le fang & les larmes

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