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Ceux-mêmes dont ma gloire aigrit l'ambition,
Réveilleront leur brigue & leur prétention;

M'arracheront peut-être un pouvoir qui les bleffe....
Va, dis-je, sauve-la de ma propre foiblesse.
Mais sur-tout ne va point, par un zèle indiscret,
Découvrir à ses yeux mon funefte secret.
Que, s'il fe peut, ma fille, à jamais abusée,
Ignore à quel péril je l'avois exposée.
D'une mère en fureur épargne-moi les cris ;
Et que ta voix s'accorde avec ce que j'écris.
Pour renvoyer la fille, & la mère offensée,
Je leur écris qu'Achille a changé de pensée ;
Et qu'il veut déformais, jufques à fon retour,
Différer cet hymen que preffoit fon amour.
Ajoute, tu le peux, que des froideurs d'Achille,
On accufe en fecret cette jeune Eriphile,
Que lui-même captive amena de Lesbos,
Et qu'auprès de ma fille on garde dans Argos.
C'eft leur en dire affez. Le refte, il le faut taire.
Déjà le jour plus grand nous frappe & nous éclaire.
Déja même l'on entre, & j'entends quelque bruit.
C'est Achille. Va, parts. Dieux, Ulysse le fuit!

SCENE I I.

AGAMEMNON, ACHILLE, ULYSSE

Qu

AGAMEMNON.

UOI, Seigneur, fe peut-il que d'un cours fi rapide La victoire vous ait ramené dans l'Aulide ? D'un courage naiffant font-ce là les effais? Quels triomphes suivront de fi nobles succès ! La Theffalie entière, ou vaincue ou calmée, Lefbos même conquife en attendant l'armée, De toute autre valeur éternels monumens, Ne font d'Achille oifif que les amusemens.

A CHILLE.

Seigneur, honorez moins une foible conquête ;
Et que puiffe bientôt le Ciel, qui nous arrête,
Ouvrir un champ plus noble à ce cœur excité
Par le prix glorieux dont vous l'avez flatté.
Mais cependant, Seigneur, que faut-il que je crois
D'un bruit qui me furprend, & me comble de joie?
Daignez-vous avancer le succès de mes vœux?
Et bientôt des Mortels fuis-je le plus heureux ?
On dit qu'Iphigénie, en ces lieux amenée,
Doit bientôt à son sort unir ma destinée.

AGAMEMNON.

Ma fille ? Qui vous dit qu'on la doit amener ?

A CHILL E.

Seigneur, qu'a donc ce bruit qui vous doive étonner?

AGAMEMNON à Ulysse:

- Jufte Ciel! Sauroit-il mon funefte artifice ?

ULYSSE.

Seigneur, Agamemnon s'étonne avec juftice.
Songez-vous aux malheurs qui nous menacent tous?
O Ciel ! Pour un hymen, quel temps choififfez-vous?
Tandis qu'à nos vaiffeaux la mer toujours fermée
Trouble toute la Grèce, & confume l'armée ;
Tandis que, pour fléchir l'inclémence des Dieux,
Il faut du fang peut-être, & du plus précieux,
Achille feul, Achille à fon amour s'applique ?
Voudroit-il infulter à la crainte publique ?
Et que le Chef des Grecs, irritant les deftins,
Préparât d'un hymen la pompe & les festins?
Ah, Seigneur! Eft-ce ainfi que votre ame attendrie
Plaint le malheur des Grecs, & chérit la patrie ?

A CHILL E.

Dans les champs Phrygiens les effets feront foi
Qui la chérit le plus ou d'Ulysse ou de moi,
Jufques-là je vous laiffe étaler votre zèle.
Vous pouvez à loifir faire des vœux pour elle.
Rempliffez les Autels d'offrandes & de fang,
Des victimes vous-même interrogez le flanc,
Du filence des vents demandez-leur la cause ;
Mais moi, qui de ce foin fur Calchas me repose,
Souffrez, Seigneur, fouffrez que je coure hâter
Un hymen, dont les Dieux ne fauroient s'irriter.
Transporté d'une ardeur qui ne peut être oifive

Je rejoindrai bientôt les Grecs fur cette rive.
J'aurois trop de regret, fi quelqu'autre guerrier
Au rivage Troyen descendoit le premier.

AGAMEMNON.

O Ciel! Pourquoi faut-il que ta fecrette envie
Ferme à de tels Héros le chemin de l'Afie?
N'aurai-je vu briller cette noble chaleur,
Que pour m'en retourner avec plus de douleur ?

ULYSSE.

Dieux! Qu'eft-ce que j'entends?

A CHILL E.

Seigneur, qu'ofez-vous dire?

AGAMEMNON.

Qu'il faut, Princes, qu'il faut que chacun fe retire;
Que d'un crédule efpoir, trop long-temps abusés,
Nous attendons les vents, qui nous sont refufés.
Le Ciel protége Troye ; &, par trop de préfages,
Son courroux nous défend d'en chercher les passages.

HACHILLE.

Quels préfages affreux nous marquent fon courroux?

AGAMEMNON.

Vous-même confultez ce qu'il prédit de vous.
Que fert de fe flatter? On fait qu'à votre tête
Les Dieux ont d'Ilion attaché la conquête.
Mais on fait que, pour prix d'un triomphe fi beau,
Ils ont aux champs Troyens marqué votre tombeau;
Que votre vie ailleurs, & longue & fortunée,
Devant Troye, en fa fleur, doit être moiffonnée.

A CHILLE.

Ainfi, pour vous venger, tant de Rois affemblés,
D'un opprobre éternel retourneront comblés,
Et Pâris, couronnant son infolente flamme,
Retiendra fans péril la fœur de votre femme,
AGAMEMNON.

Hé quoi ! Votre valeur, qui nous a devancés,
N'a-t-elle pas pris foin de nous venger affez?
Les malheurs de Lefbos par vos mains ravagée
Épouvantent encor toute la mer Egée:

Troye en a vu la flamme; &, jufques dans fes ports,
Les flots en ont pouffé les débris & les morts.
Que dis-je ? Les Troyens pleurent une autre Hélène
Que vous avez captive envoyée à Mycène.
Car je n'en doute point, cette jeune beauté
Garde en vain un fecret que trahit fa fierté;
Et fon filence même, accufant fa nobleffe,
Nous dit qu'elle nous cache une illuftre Princeffe.

A CHILL E.

Non, non, tous ces détours font trop ingénieux.
Vous lifez de trop loin dans les fecrets des Dieux.
Moi, je m'arrêterois à de vaines menaces!
Et je fuirois l'honneur qui m'attend fur vos traces!
Les Parques à ma mère, il eft vrai, l'ont prédit,
Lorsqu'un époux mortel fut reçu dans fon lit.

Je puis choifir, dit-on, ou beaucoup d'ans fans gloire
Ou peu de jours fuivis d'une longue mémoire.
Mais, puifqu'il faut enfin que j'arrive au tombeau

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