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AGAMEMNON.

Heureux qui, fatisfait de fon humble fortune,
Libre du joug fuperbe où je fuis attaché,

Vit dans l'état obfcur où les Dieux l'ont caché!

ARCA S.

Et depuis quand, Seigneur, tenez-vous ce langage?
Comblé de tant d'honneurs, par quel fecret outrage
Les Dieux, à vos défirs toujours fi complaisans,
Vous font-ils méconnoître & haïr leurs préfens?
Roi, père, époux heureux, fils du puissant Atrée,
Vous poffédez des Grecs la plus riche contrée.
Du fang de Jupiter iffu de tous côtés,

L'hymen vous lie encore aux Dieux dont vous sortez.
Le jeune Achille enfin, vanté par tant d'oracles,
Achille, à qui le Ciel promet tant de miracles,
Recherche votre fille, & d'un hymen fi beau,
Veut, dans Troye embrafée, allumer le flambeau.
Quelle gloire, Seigneur, quels triomphes égalent
Les fpectacles pompeux que ces bords vous étalent;
Tous ces mille vaiffeaux, qui, chargés de vingt Rois,
N'attendent que les vents pour partir fous vos loix?
Ce long calme, il est vrai, retarde vos conquêtes.
Ces vents, depuis trois mois, enchaînés fur nos têtes,
D'Ilion, trop long-temps, vous fernent le chemin.
Mais, parmi tant d'honneurs, vous êtes homme enfin,
Tandis que vous vivrez, le fort, qui toujours change,
Ne vous a point promis un bonheur fans mélange.
Bientôt.... Mais quels malheurs, dans ce billet tracés,

Vous arrachent, Seigneur, les pleurs que vous versez?
Votre Orefte, au berceau, va-t-il finir fa vie?
Pleurez-vous Clytemneftre, ou bien Iphigénie?
Qu'est-ce qu'on vous écrit? Daignez m'en avertir.

AGAMEMNON.

Non, tu ne mourras point, je n'y puis confentir!

Seigneur....

ARCAS.

AGAMEMNON.

Tu vois mon trouble, apprend ce qui le cause?
Et juge, s'il eft temps, ami, que je repose.
Tu te fouviens du jour qu'en Aulide affemblés
Nos vaisseaux, par les vents, fembloient être appellés
Nous partions. Et déja, par mille cris de joie,
Nous menacions, de loin, les rivages de Troye.
Un prodige étonnant fit taire ce transport.
Le vent, qui nous flattoit, nous laiffa dans le port.
Il fallut s'arrêter, & la rame inutile

Fatigua vainement une mer immobile.
Ce miracle inoui me fit tourner les yeux
Vers la Divinité qu'on adore en ces lieux.
Suivi de Ménélas, de Neftor, & d'Ulysse,
J'offris fur fes Autels un fecret facrifice.

Quelle fut fa réponse ! Et quel devins-je, Arcas, = Quand j'entendis ces mots prononcés par Calchas? armez contre Troye une puissance vaine;

Vous

Si, dans un facrifice augufte & folemnel,

Une fille du fang d'Hélène,

De Diane, en ces lieux, n'enfanglante l'Autel.

Pour obtenir les vents, que

le Ciel vous dénie

Votre fille !

Sacrifiez Iphigénie.

ARCA S.

AGAMEMNON.

Surpris, comme tu peux penser,

Je fentis dans mon corps, tout mon fang se glacer.
Je demeurai fans voix, & n'en repris l'ufage
Que par mille fanglots qui fe firent paffage.
Je condamnai les Dieux; &, fans plus rien ouir,
Fis vœu,
fur leurs Autels, de leur défobéir.
Que n'en croyois-je alors ma tendreffe allarmée!
Je voulois fur le champ congédier l'armée.
Ulyffe, en apparence, approuvant mes discours,
De ce premier torrent laissa paffer le cours.
Mais bientôt, rappellant fa cruelle industrie,
Il me représenta l'honneur & la patrie,
Tout ce peuple, ces Rois, à mes ordres foumis,
Et l'Empire d'Afie à la Grèce promis:
De quel front, immolant tout l'État à ma fille,
Roi fans gloire, j'irois vieillir dans ma famille.
Moi-même, je l'avoue avec quelque pudeur,
Charmé de mon pouvoir, & plein de ma grandeur,
Ces noms de Roi des Rois, & de chef de la Grèce,
Chatouilloient de mon cœur l'orgueilleufe foibleffe.
Pour comble de malheur, les Dieux, toutes les nuits,
Dès qu'un léger fommeil fufpendoit mes ennuis,

Vengeant de leurs Autels le fanglant privilége,
Me venoient reprocher ma pitié facrilege;
Et préfentant la foudre à mon efprit confus,
Le bras déja levé, menaçoient mes refus.
Je me rendis, Arcas; & vaincu par Ulyffe,
De ma fille, en pleurant, j'ordonnai le fupplice.
Mais des bras d'une mère il falloit l'arracher.
Quel funefte artifice il me fallut chercher !
D'Achille, qui l'aimoit, j'empruntai le langage.
J'écrivis en Argos pour hâter ce voyage,
Que ce guerrier, preffé de partir avec nous,
Vouloit revoir ma fille, & partir son époux.

ARCAS.

Et ne craignez-vous point l'impatient Achille ?
Avez-vous prétendu que, muet & tranquille,
Ce Héros, qu'armera l'amour & la raison,
Vous laiffe pour ce meurtre abuser de fon nom?
Verra-t-il à fes yeux fon amante immolée ?

AGAMEMNON.

Achille étoit abfent, & fon père Pélée,
D'un voisin ennemi redoutant les efforts,
L'avoit, tu t'en fouviens, rappellé de ces bords;
Et cette guerre, Arcas, felon toute apparence,
Auroit dû plus long-temps prolonger fon abfence.
Mais qui peut dans fa course arrêter ce torrent?
Achille va combattre, & triomphe en courant ;

Et

ce vainqueur, fuivant de près fa renommée Hier avec la nuit arriva dans l'armée.

Mais des nœuds plus puiffans me retiennent le bras.
Ma fille, qui s'approche & court à fon trépas,
Qui, loin de foupçonner un arrêt fi févère,
Peut-être s'applaudit des bontés de fon père;

Ma fille.... Ce nom feul, dont les droits font fi faints,
Sa jeunesse, mon fang, n'eft pas ce que je plains.
Je plains mille vertus, une amour mutuelle,
Sa piété pour moi, ma tendreffe pour elle,
Un refpect qu'en fon cœur rien ne peut balancer,
Et que j'avois promis de mieux récompenfer.
Non, je ne croirai point, ô Ciel, que ta justice
Approuve la fureur de ce noir facrifice!

Tes oracles, fans doute, ont voulu m'éprouver;
Et tu me punirois fi j'ofois l'achever.
Arcas, je t'ai choisi pour cette confidence ;
Il faut montrer ici ton zèle & ta prudence.
La Reine, qui dans Sparte avoit connu ta foi,
T'a placé dans le rang que tu tiens près de moi.
Prends cette lettre. Cours au-devant de la Reine;
Et fuis, fans t'arrêter, le chemin de Mycène.
Dès que tu la verras défends-lui d'avancer;
Et rends-lui ce billet que je viens de tracer.
Mais ne t'écarte point. Prends un fidèle guide.
Si ma fille une fois met le pied dans l'Aulide,
Elle eft morte. Calchas, qui l'attend en ces lieux,
Fera taire nos pleurs, fera parler les Dieux;
Et la Religion, contre nous irritée,

Par les timides Grecs fera feule écoutée.

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