HELAS,je cherche en vain. Rien ne s'offre à ma vue;
Malheureuse! Comment puis-je l'avoir perdue? Ciel, aurois-tu permis que mon funeste amour Exposât mon amant tant de fois en un jour ? Que, pour dernier malheur, cette lettre fatale Fût encor parvenue aux yeux de ma rivale ? J'étois en ce lieu même ; & ma timide main, Quand Roxane a paru, l'a cachée en mon fein. Sa préfence a furpris mon ame désolée.
Ses menaces, fa voix, un ordre m'a troublée. J'ai fenti défaillir ma force & mes efprits. Ses femmes m'entouroient quand je les ai repris; A mes yeux étonnés leur troupe eft disparue. Ah, trop cruelles mains, qui m'avez fecourue! Vous m'avez vendu cher vos fecours inhumains; Et, par vous, cette lettre a paffé dans ses mains. Quels deffeins maintenant occupent fa pensée ? Sur qui fera d'abord fa vengeance exercée ? Quel fang pourra fuffire à fon reffentiment? Ah, Bajazet eft mort, ou meurt en ce moment; Cependant on m'arrête, on me tient enfermée, On ouvre. De fon fort je vais être informée.
Retirez-vous, vous dis-je, & ne répliquez pas. Gardes, qu'on la retienne.
SCENE I I I.
ROXANE, ZATIME..
OUI, tout eft prêt, Zatime;
Orcan & les muets attendent leur victime. Je fuis pourtant toujours maîtreffe de fon fort. Je puis le retenir. Mais s'il fort, il est mort. Vient-il ?
Oui, fur mes pas un Esclave l'amène à Et, loin de foupçonner fa difgrace prochaine, Il m'a paru, Madame, avec empreffement
Sortir, pour vous chercher, de fon appartement.
'Ame lâche, & trop digne enfin d'être déçue, Peux-tu fouffrir encor qu'il paroiffe à ta vue? Crois-tu, par tes difcours, le vaincre ou l'étonner? Quand même il fe rendroit, peux-tu lui pardonner? Quoi, ne devrois-tu pas être déja vengée ? Ne crois-tu pas encore être affez outragée? Sans perdre tant d'efforts fur ce cœur endurci, Que ne le laiffons-nous périr?... Mais le voici.
E ne vous ferai point de reproches frivoles. Les momens font trop chers pour les perdre en paroles. Mes foins vous font connus. En un mot, vous vivez; Et je ne vous dirois que ce que vous savez. Malgré tout mon amour, fi je n'ai pu vous plaire, Je n'en murmure point. Quoiqu'à ne vous rien taire, Ce même amour, peut-être, & ces mêmes bienfaits, 'Auroient dû fuppléer à mes foibles attraits.
Mais je m'étonne enfin que, pour reconnoissance, Pour prix de tant d'amour, de tant de confiance, Vous ayez fi long-temps, par des détours fi bas, Feint un amour pour moi que vous ne sentiez pas.
Oui, toi. Voudrois-tu point encore Me nier un mépris que tu crois que j'ignore ? Ne prétendrois-tu point, par tes fauffes couleurs Déguiser un amour qui te retient ailleurs ; Et me jurer enfin, d'une bouche perfide, Tout ce que tu ne fens que pour ton Atalide?
Atalide, Madame! O Ciel ! Qui vous a dit....
Tiens, perfide, regarde, & démens cet écrit.
BAJAZE T après avoir regardé la lettre. Je ne vous dis plus rien. Cette lettre fincère D'un malheureux amour contient tout le mystère. Vous favez un fecret que tout prêt à s'ouvrir, Mon cœur a mille fois voulu vous découvrir, J'aime, je le confeffe. Et devant que votre ame; Prévenant mon espoir, m'eût déclaré fa flamme, Déja plein d'un amour dès l'enfance formé, A tout autre defir mon cœur étoit fermé. Vous me vintes offrir & la vie & l'Empire; Et même votre amour, fi j'ose vous le dire, Confultant vos bienfaits, les crut, &, fur leur foi, De tous mes fentimens vous répondit pour moi. Je connus votre erreur. Mais que pouvois-je faire ? Je vis, en même temps, qu'elle vous étoit chère
Combien le trône tente un cœur ambitieux ! Un fi noble préfent me fit ouvrir les yeux. Je chéris, j'acceptai, fans tarder davantage, L'heureuse occafion de fortir d'esclavage; D'autant plus qu'il falloit l'accepter ou périr : D'autant plus que vous-même, ardente à me l'offrir; Vous ne craigniez rien tant que d'être refufée ; Que même mes refus vous auroient exposée ; Qu'après avoir ofé me voir & me parler, Il étoit dangereux pour vous de reculer. Cependant je n'en veux pour témoins que vos plaintes, 'Ai-je pu vous tromper par des promeffes feintes ? Songez combien de fois vous m'avez reproché Un filence, témoin de mon trouble caché.
Plus l'effet de vos foins, & ma gloire étoient proches, Plus mon cœur interdit se faifoit de reproches. Le Ciel, qui m'entendoit, fait bien qu'en même temps Je ne m'arrêtois pas à des vœux impuiffans.
Et fi l'effet enfin, fuivant mon espérance, Eût ouvert un champ libre à ma
J'aurois par tant d'honneurs, par tant de dignités, Contenté votre orgueil, & payé vos bontés. Que vous même peut-être....
Et que pourrois-tu faire?
Sans l'offre de ton cœur par où peux-tu me plaire ? Quels feroient de tes vœux les inutiles fruits? Ne te fouvient-il plus de tout ce que je fuis?
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