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Oui, maître Simon.

— Dans ce cas, seigneur Canzolini, bonne nuit; il est à présumer que vous ne dormirez pas, et que les prêtres trépassés qui viennent dire des messes au grand autel, aussitôt que l'horloge sonne douze fois, vous effraieront de telle sorte, que demain vous coucherez dans votre lit.

Le sonneur sortit à ces mots; la grande porte cria sur ses gonds, et Canzolini se trouva seul dans la vaste basilique. Sans perdre un moment, il alluma un flambeau, franchit l'escalier qui conduisait à l'orgue, et s'assit dans le vieux fauteuil d'Eustache Florentin. Un enfant enveloppé dans un large manteau s'approcha et lui dit à voix basse:

Seigneur Canzolini, me voici.

C'est bien, Nicolas; j'attendais; le temps presse; à ton poste souffle-moi des grands airs comme au vieux Florentin;

Et de fameux airs, Monsieur; vous entendrez, monsieur; mes soufflets lutteraient avec avantage contre Eole, le roi des vents. Monsieur Eustache me l'a dit souvent.

Canzolini s'approcha du clavier, et quelques instans après, les gémissemens de l'orgue retentirent sous les voûtes auparavant silencieuses. L'italien ne discontinua pas, et le lendemain lorsque Simon entra dans la basilique pour sonner l'Angelus, Forganiste prêtait encore l'oreille aux accords multipliés qui s'échappaient de sous ses doigts.

Dieu me pardonne, dit le sonneur, je crois que l'Italien a remplacé maître Eustache; quelle bizarrerie! Quel concert nocturne! ne dirait-on pas que ce jeune Italien prend plaisir à réveiller les bonnes âmes qui dorment dans la paix du Seigneur. Mais pourquoi l'interrompre? Je suis payé pour me taire.

Cependant les premiers rayons du jour éclairaient déja les vitraux de la cathédrale, et Canzolini averti

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par Nicolas regagna son logis, accablé de lassitude et le cœur ivre de joie.

Je serai organiste, se disait-il à chaque instant ; j'obtiendrai la main d'Agathe.

Pendant quinze jours il préluda ainsi au concours dont les préparatifs avaient été confiés au zèle du plus jeune des chanoines de Sainte-Cécile. Rassuré par Eustache Florentin qui lui promettait une victoire facile, Canzolini résolut de mettre tout en œuvre pour déterminer Agathe à venir l'entendre. Chaque, jour il voyait la nièce du chanoine Boisredon dans une des chapelles de la vieille église de Saint-Salvi. Là était le tombeau de sa mère, et un capucin y célébrait chaque matin la messe des morts. Orpheline depuis sa première enfance, Agathe avait voué une sorte de culte au souvenir de sa mère; elle passait la plus grande partie de la journée, agenouillée sur sa tombe. Plus tard, Saint-Salvi devint pour elle un lieu de rendez-vous; la piété filiale et l'amour dominaient le cœur de la jeune fille de leur puissante influence.

Par une belle matinée du mois de mai, Canzolini après avoir passé la nuit dans la cathédrale, dirigea ses pas selon l'habitude qu'il avait contractée, vers l'église de Saint-Salvi. Il trouva Agathe sur le seuil; elle sortait.

Seigneur Canzolini, lui dit-elle, vous arrivez trop tard; Claire est venue me chercher; mon oncle m'appelle.

- Vous lirez ce billet, Mademoiselle.

Un billet, répondit Agathe... Mon oncle ne veut pas...

Isidore Canzolini disparut au même instant au détour de la rue, et la nièce du chanoine Boisredon après quelques instans d'hésitation lut d'une voix tremblante:

« Trouvez-vous à onze heures du soir dans la cathé» drale; je serai à l'orgue, vous m'entendrez, et si >> vous m'aimez encore, vous ne craindez pas les obsta>>cles que votre oncle oppose à notre bonheur commun. » Je serai organiste; Eustache Florentin ne doute pas » de mon succès. J'ai travaillé nuit et jour, l'amour » m'a fait vaincre des difficultés qui me paraissaient >> insurmontables. Vous récompenserez mes efforts » si vous êtes la première à applaudir lorsque j'aurai >> vaincu mes rivaux.

>> Isidore CANZOLINI. »

Il sera organiste, dit Agathe en cachant le billet dans son livre des prières.

Elle passa la journée dans une cruelle inquiétude elle ne savait si elle devait se rendre à Sainte-Cécile à l'heure indiquée, ou prévenir son oncle de ce qui se passait. Mais elle n'osa rien dire au chanoine, et quand le soir fut venu elle feignit une indisposition subite et se retira dans sa chambre. Le chanoine persuadé qu'elle était couchée, congédia Claire qui dormait dans un coin de la cheminée, et entra dans son appartement pour réciter son bréviaire. Agathe aussitôt qu'elle n'entendit plus aucun bruit dans la maison, jeta sur ses épaules une longue cape brune, ouvrit et ferma la porte avec précaution, de manière à n'être pas entendue, et courut à Sainte-Cécile. Elle se tint cachée derrière une colonne, et lorsqu'elle vit la grande porte se fermer der

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Isidore était déja aux pieds d'Agathe; il pressait ses deux mains de ses lèvres brûlantes, et lorsque les premiers transports de cette entrevue inespérée se furent calmés, il fit asseoir Agathe à côté de lui, et recommença son chant d'amour. La ténébreuse majesté de la basilique, les échos qui répétaient les sons de l'orgue, rendaient cette scène presque effrayante. La jeune fille se rapprochait de son fiancé dont l'imagination exaltée par la présence de son ange inspirateur, créait à chaque instant de petits chefs-d'œuvres de mélodie. La nuit s'écoula rapidement, et Isidore en entendant la voix de Simon, dit avec douleur :

Agathe j'ai fait un beau rêve...
Il se réalisera.

Tu crois, ma bien-aimée !..

Après demain le concours.

— Agathe tu y assisteras, ta présence me donnera du courage...

A ces mots, Isidore Canzolini se sépara de la nièce du chanoine Boisredon qui sortit de l'église sans être reconnue par Simon le sonneur. Son oncle, la vieille Claire, ne remarquerent pas son absence, et en rentrant, elle dit qu'elle venait de Saint-Salvi.

Le lendemain il n'était question dans la ville d'Albi que du concours pour la place d'organiste. Les chanoines avaient invité plusieurs gentilshommes du voisinage, et la céremonie qui précéda la lutte des concurrens, fut des plus brillantes. Gaspard de Lautrec, Laurencine sa sœur, Guillaume d'Hautpoul, Antoine de Laguépie prirent place parmi les juges, et à neuf heures du matin, le chanoine Boisredon proclama les noms des quatre concurrens. La lutte fut longue et à midi les juges étaient encore à délibérer; on attendait avec une sorte d'impatience. et les nombreux spectateurs gardèrent le plus profond silence, lorsque le chanoine Boisredon parut tenant dans ses mains la décision des juges du

concours.

« Après avoir invoqué l'Esprit saint, s'écria le cha» noine, nous juges du concours avons arrêté et arrê» tons ce qui suit : - Les quatre concurrens ont bien » mérité du chapitre de Sainte-Cécile qui pour leur » témoigner sa satisfaction, leur accorde à chacun une >> gratification de trois cents livres. Proclamé vainqueur » de ses rivaux, Isidore Canzolini est nommé dès ce >> jour organiste de cette cathédrale. »

Je suis vainqueur! j'obtiendrai la main d'Agathe, dit Isidore à voix basse, et les yeux fixés sur Agathe, il vit que la jeune fille était fortement émue.

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Je reconnais ces armoiries, dit le chanoine; vous êtes le maître de la destinée d'Agathe.

Avant de quitter Albi, je la marierai avec le chovalier de Saint-Géran qui arrive demain; telle est ma volonté, tels sont les ordres des puissantes personnes qui, des ce jour, protégeront Agathe.

La nièce du chanoine muette de surprise et de douleur, ne put proférer une seule parole; et pour cacher ses pleurs, elle pria les convives de lui permettre de se retirer dans sa chambre. Isidore Canzolini stupéfait d'un dénouement si imprévu, se hâta de sortir de la maison du chanoine, et revint à Sainte-Cécile se consoler, en confiant a l'orgue ses soupirs et ses sanglots. Plusieurs jours se passerent ainsi, et le chanoine Boisredon fit garder à vue sa nièce Agathe pour la mettre dans l'impossibilité de revoir l'organiste. Le chevalier de Saint-Géran, gentilhomme à la fleur de l'âge, élevé au milieu du faste et de la royale galanterie de Versailles, n'eut pas de peine à se faire aimer d'une jeune fille qui n'était jamais sortie de la ville d'Albi, qui n'avait eu d'autres relations qu'avec Isidore Canzolini. On fixa le jour de la célébration du mariage, et le chapitre de Sainte-Cécile résolut de déployer toute la pompe de la cathédrale, persuadé que l'amour-propre du chanoine Boisredon en serait flatté. Canzolini reçut ordre de jouer les beaux airs qui lui avaient mérité la victoire sur ses rivaux, et un grand concours de peuple et de bourgeois circulait dès le matin dans les chapelles, derrière le jubé, dans les vastes galeries. Le cortége nuptial franchit enfin le seuil de la cathédrale. On eut de la peine à reconnaître dans Agathe la nièce du chanoine Boisredon, tant était riche et brillante sa parure de mariée.

Isidore Canzolini seul et debout à l'une des extré

mités de l'orgue, ne reconnut pas d'abord Agathe sa bien-aimée. Il ne pouvait en croire ses yeux. Mais enfin ne pouvant plus résister à l'évidence, il poussa un cri, et disparut.

suis si malheureux !

Je ne jouerai pas, se dit-il, en se frappant le front.... je ne jouerai pas! que dis-je, insensé! messieurs du chapitre m'y forceront.... Un dernier moyen me reste encore.... Mon Dieu! mon Dieu ! pardonnezLa foule sortit de la basilique; le chanoine Boisre-moi! Je vais mourir coupable d'un suicide, mais je redon fit appeler Canzolini, et le pria de prendre part à la fête qu'il donnait aux seigneurs de Lautrec et d'Hautpoul. Cette invitation qui le mettait à même de parler à sa bien-aimée, et de rappeler au chanoine la promesse qu'il lui avait faite, fut acceptée par Isidore Ceci se passait à l'insçu de tous les assistans qui avec joie et reconnaissance. A la fin du repas, le jeune furent long-temps à remarquer que l'orgue n'accompa organiste jugeant le moment propice, se leva et dignait par le chant des enfans de choeur. Le chanoine d'une voix tremblante : Boisredon ne sachant à quoi attribuer l'absence de Canzolini, chargéa un sacristain d'aller s'assurer si l'organiste était à son poste.

Monsieur Boisredon, vous avez promis la main de votre uièce à celui qui serait jugé digne de succéder à Eustache Florentin; les juges m'ont proclamé vainqueur, je vous demande mademoiselle Agathe en ma riage.

J'ai promis, répondit le chanoine....

A ces mots il s'assit sur son fauteuil d'organiste, tira de sa poche un petit poignard qu'il avait apporté d'Italie, et le plongea dans son cœur.

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Isidore Canzolini est mort! s'écria le sacristain, en revenant à toutes jambes ; je l'ai trouvé baigné dans

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le secret de cette fin tragique. Le cortège nuptial regagna la maison du chanoine Boisredon; et la noce fut si triste, que le chevalier de Saint-Gerand partit le lendemain pour rejoindre son régiment. On apprit deux mois après qu'il était mort, les armes à la main,

à

la bataille de Fontenoi. Agathe, inconsolable, n'eut pas plutôt fermé les yeux au chanoine son oncle, qu'elle fit au monde un éternel adieu, et s'ensevelit dans un couvent de carmelites! Théodore DELPY.

LOUIS XIII DEVANT MONTAUBAN,

1621.

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La sanglante catastrophe de la Saint-Barthélemy les longues guerres de la ligue, avaient envenimé les haines des catholiques et des protestans. L'avènement d'Henri IV au trône de France, la sage conduite de ce prince n'avaient qu'amorti la flamme de l'incendie qui était à la veille de se rallumer. Dès les premières années du règne de Louis XIII, les réformés mécontens de la régence de Marie de Médicis firent des préparatifs de guerre, et la cour de son côté ne négligea rien de ce qui pouvait lui faciliter de nouvelles victoires sur les huguenots. Persécutés, formant pour ainsi dire une nation à part au milieu de la nation française, les calvinistes ne se dissimulèrent pas les dangers dont ils étaient menacés. Leurs chefs formèrent des plans de défense, persuadés que le jour de l'attaque n'était pas éloigné. Le Midi de la France fut le point central de leurs préparatifs; là se trouvaient leurs deux places principales, la Rochelle et Montauban. La Rochelle avec son port dans lequel pouvaient librement entrer les troupes auxiliaires des protestans d'outre-mer; Montauban avec ses fortifications, derrières lesquelles se retrancheraient au besoin l'élite de la noblesse du Midi presque toute dévouée à la réforme.

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Aussi, les seigneurs catholiques placés par Marie de Médicis auprès de Louis XIII en qualité de conseillers, s'empressèrent de persuader au jeune monarque qu'il était de son honneur et de sa gloire d'enlever aux protestans les places qu'ils possédaient dans le Midi. On se mit en campagne tout céda d'abord à l'impétuosité des troupes royales; Saint-Jean-d'Angeli, Nérac, et les autres villes de la Guienne furent emportées d'assaut. Le 16 août 1621, Louis XIII arriva à Moissac, et le lendemain, il se rendit au château de Piquecos. Le comte d'Orval chargé du commandement de Montauban en l'absence du duc de Rohan, n'avait rien négligé, rien oublié de ce qui pouvait mettre la ville en état de soutenir un long siège. Pendant que les habitans travaillaient sans relâche aux fortifications, on reçut du

« Montauban fut aussi bravement d'fendu >> qu'il le pouvait être : de tous les s'éges que j'ai » vus en ma vie, je puis dire qu'il n'y a pas dé >> gens au monde quí les aient mieux soutenus. >> Les femmes fesaient aussi bien que les soldats, >> elles combattaient avec un courage incroyable.» DE PUYSÉGUR, Relation du siége de Montauban.

maréchal de Thémines la lettre suivante qui fut lue en plein conseil :

« Le maréchal de Thémines aux habitans de Montauban.

>> Messieurs,

>> Vous éprouverez à ce coup que le bon amour chasse » la crainte. Je me dispense à une liberté grande, que » dans vos obstinations, qui me sont connues, je veuille » vous écrire. Les mouvemens en sont tous miens. Je ne » sais si je fais ce que je ne devrais pas sans congé du » roi. Mais si les volontés qui ne peuvent pas être sus>>pectes à sa majesté sont excusables, je mets sur moi >> le hasard du reproche. C'est donc l'affection que j'ai » pour vous, qui dans vos nécessités me force à vous >> plaindre, étant bien marri qu'elle ne soit en cette » condition, qui m'a fait, pour vos intérêts, autrefois »eutreprendre votre défense, en une saison si péril>> leuse. Si lors j'avais pu avoir quelque part à la gloire >> de vos bonnes actions, pour le service du roi, j'aurais » un extrême regret que votre changement soit aujour>> d'hui de vous trouver dans la désobéissance, et ex» posés au courroux du roi. Je ne veux pas, Messieurs, >> vous en dire davantage, je sais qu'il est plus mal >> aisé de persuader que de vaincre. Mais, sur le besoin qui nous presse, j'ai voulu vous témoigner ma passion » de vous servir envers sa majesté, autant qu'il me » sera possible, jusques à me laisser courroucer pour >> vous, et me charger de ce que peut-être on réprouvera >> mes soins que j'emploierai pour vos avantages avec >> la même franchise qu'après vos refus je tiendrai ma » fin heureuse, suivant les commandemens que j'aurai >> contre vous, elle servira à condamner votre ingrati» tude, et la créance où je vous aurai attachés d'es>> time, que je suis votre très humble et à vous faire >> service. »

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La lettre du maréchal renfermait plusieurs proposi tions insidieuses; les membres du conseil après une

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longue délibération, répondirent à Thémines que les habitans de Montauban lui savaient gré de son affection pour eux, mais qu'ils étaient prêts à mourir pour leur religion et la conservation de leurs priviléges. Le messager chargé de porter cette lettre à Cahors, fit de longs détours pour échapper aux poursuites des cathoques qui fesaient déja des courses jusques aux portes de Montauban. Après une journée de marche, il se hasarda à entrer dans la petite ville de Caylus alors occupée par une compagnie du régiment de Picardie. Il frappa à la porte d'une auberge, située à l'extrémité de la rue où on voit encore de nos jours quelques maisons gothiques.

Plusieurs soldats catholiques assis autour d'une table rende, répétaient en chœur des chansons composées

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