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se leva sur sa tête, et le sang commençait à couler, lorsqu'un homme sortit des rangs, qui couvrit de son corps celui qu'on allait immoler et reçut les coups qu'on lui portait. Ce ne fut qu'en le foulant aux pieds, qu'on pénétra dans l'hôtel, dont les portes fermées volèrent en éclats. Alors les cris de mort s'élevèrent de nouveau. Celui contre lequel ils se dirigeaient cette fois avec plus. de force, était le procureur-général syndic Verdier. Chargé de provoquer les mesures nécessaires à la sûreté du département et d'en diriger l'exécution, Verdier avait d'abord accueilli avec douceur tes demandes populaires; mais vif et impatient, il ne sut pas retenir jusqu'au bout l'indignation qui le dévorait. L'insulte fut sa dernière réponse au peuple. Celui-ci ne pardonna pas. Verdier n'échappa que par la fuite à une mort immédiate; heureux s'il avait eu la force de profiter du temps qui lui restait, pendant que ses ennemis s'acharnaient à poursuivre leur première victime. Ils la cherchèrent vainement dans la maison où elle s'était réfugiée, et comme leur vengeance avait besoin d'un crime, ils se livrèrent au pillage. « Pourquoi s'imposer en effet des privations au sein de l'abondance? Voici du pain! c'est >> ce que nous cherchions. De l'or! il nous en faut. Du » vin! l'atmosphère est brûlante et la soif brûle notre >> bouche! Des vêtemens! les nôtres sont vieux et dé» chirés. » Tout le reste fut mis en pièces. Plusieurs années après l'évènement que je raconte, on trouvait épars, de commune en commune, quelques débris enlevés ce jour-là. Le propriétaire était mort pauvre et malheureux.

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Cependant une partie des insurgés se rendait à l'Hôtel-de-Ville à la suite de Berlioz. Attaché lui-même à l'administration, ce dernier avait compris qu'il ne s'agissait plus que de diminuer autant que possible le mal qu'on ne pouvait empêcher. Fort de son influence et de son énergie naturelle, il offrit aux insurgés d'être leur chef, dans le but de leur faire abandonner l'hôtel de l'administration départementale. « Ih bien! oui, vous » avez raison, leur cria-t-il, il nous faut des armes et » du pain. Allons en demander! »

il en

La foule le suivit à travers les rues, mêlant aux cris de sang les refrains révolutionnaires et les mots babituels d'aristocrate et de liberté. A sa grande taille, à ses formes athlétiques, à sa voix forte et retentissante, on distinguait Chanart, destiné à jouer un grand rôle dans ces tristes événemens. La main armée d'un coutelas, nommé ganive, dans la langue du pays, marquait, comme d'un signe d'extermination, toutes les portes qui se fermaient à son passage: «< car, disait-il, c'est celle d'un aristocrate. » Lorsque la troupe conduite par Berlioz eut obtenu tout ce qu'elle venait demander à l'Hôtel-de-Ville, tandis que ses compagnons défilaient devant lui sur deux lignes, Chanart aiguisait paisiblement sa ganive sur le grès de la fontaine voisine, et suivant avec complaisance les reflets de la lame, sur laquelle tombait un rayon du soleil, se répétait en souriant d'une façon horrible : « Allons! courage! il y a du travail aujourd'hui. »

Berlioz ne laissa qu'aux portes de la ville la troupe qu'il avait guidée jusques là, pour aller ramener aussi les insurgés qui restaient encore en arrière. Il parcourut de nouveau la ville avec eux, leur promit de la viande et du pain, ne sortit enfin de Carcassonne

qu'avec une charrette remplie de vivres. Il croyait accomplir ainsi en entier la tâche que son dévouement lui avait tracée, oubliant que l'insurrection, à son début, avait demandé du pain, des armes et du sang, et qu'elle n'avait encore obtenu que du pain et des

armes.

Ivres, en effet, de pillage et de vin, les insurgés, ayant trouvé cette fois des chefs dans Chanart et dans Jeanne-la-Noire, marchaient, exhalant en menaces les restes d'une fureur qui commençait à se lasser. Un enfant vint au-devant d'eux : « Ne cherchez-vous pas » un homme? dit-il à Jeanne; il est là, il m'a offert » des bijoux et de l'or si je voulais consentir à me >> taire; voyez, il fuit là-bas. » Et du doigt il désignait un homme fuyant dans la campagne; c'était Verdier. De l'asile où il était caché, il avait entendu des cris de fureur retentir jusqu'à lui, et, quittant sa retraite, il avait vu au loin s'amonceler l'orage, et près de lui rien qu'un enfant. Le malheureux avait compté sur la pitié de cet âge; il ignorait sans doute qu'il semble se plaire au désordre, qu'il s'y place toujours au premier rang, et que, s'il y périt, ce n'est jamais sans faire des victimes.

Une lutte s'établit alors entre les insurgés; il s'agissait de porter le premier coup. Atteint déja par une balle, Verdier essayait encore de fuir, quand Chanart le saisit et le renversa. En tombant, le malheureux se retourna vers lui; il le priait, il lui demandait grâce : << Laissez-moi vivre, disait-il : tout ce que vous exige» rez, je vous le donnerai; mais laissez-moi la vie! >> Oh! la vie pour mes enfans et pour ma femme ! » — << Non! rien ! tu es assez coupable. » — Et les coups s'unissaient aux injures, et le couteau se balançait sur sa tête, et on lui répétait avec rage: « Tu ne veux pas » mourir? » C'était pitié que de l'entendre supplier ainsi, cet homme si fier le matin. Pâle maintenant, la boue au visage, brisé, haletant sous les coups, il implorait la vie, se relevait, puis tombait abattu, cherchant de sa main défaillante à éloigner la ganive qu'il ne put arrêter car la lame baissée se releva teinte de sang, tandis qu'à l'empressement curieux de la foule étonnée, Jeanne, toujours la même, répondait avec une tranquillité féroce : « Imbécilles, que voulez-vous? » ce n'est qu'un chien mort. »><

Puis, les assassins laissèrent la victime sur le lieu même où ils l'avaient immolée, et traînant après eux, comme en trophée de conquête, les canons qu'on leur avait livrés, ils allèrent rendre compte de leur mission à ceux qui les avaient envoyés. Leur retour fut une fète; des cris de joie les acceuillirent, l'enivrement durait encore. Il ne tarda pas à se dissiper la mort de Verdier, par l'effet qu'elle produisit sur les masses devint le coup le plus funeste porté à l'insurrection; chacun craignit de voir retomber sur sa tête le crime auquel tous avaient plus ou moins participé, et n'attendit point pour se séparer des autres le résultat des mesures que se hata de prendre l'administration départementale. Rendue à elle-même, elle comprit que le désordre ne cesserait réellement que si l'on détruisait les causes qui l'avaient produit, et s'occupa d'abord des moyens de ramener l'abondance: la tranquillité devait reparaître avec elle.

Le 17 août avait été la journée de l'émeute, le 18

ramena le règne de la loi. Un député spécial, mandataire de l'administration, vint dire à la barre de l'assemblée législative la conduite de la population et celle du pouvoir. Le 31 août, l'assemblée décréta que Verdier avait bien mérité de la patrie. Elle vota des remercimens à Berlioz; et, par le même décret, en assurant la circulation des grains dans les départemens méridionaux, ordonna que des poursuites seraient faites immédiatement, et que le résultat lui en serait transmis tous les quinze jours.

L'émeute avait accompli jusqu'au bout et dans tous ses détails le rôle qu'elle s'était tracé à elle-même : destruction, meurtre, incendie, pillage, rien n'avait manqué de ce qui devait rendre le drame terrible. C'était à la justice de le compléter. Dans la foule immense venue de si loin et de tant de lieux différens pour prendre sa part du désordre, il était difficile de choisir et de marquer les tètes sur lesquelles la vengeance devait tomber.

Les plus coupables fournirent les premières indications pour guider la marche du juge. Tout le monde connaissait Jeanne; habitant la même ville depuis trente ans, on l'y avait plusieurs fois entendue exciter à la révolte; chacun se souvenait de l'avoir vue, dans la journée du 17, parcourir les rues de Carcassonne, armée de son énorme bâton, la menace au poing et la bouche retentissante du çà ira démagogique. Elle s'était même fait gloire d'avoir, elle, seule femme, rougi ses mains du sang de Verdier. Le lendemain du meurtre, le jardinier Boyer avait traversé le village de Barbeiran, un pain au bout d'une pique, la tête ceinte d'une branche de laurier, tout fier de la victoire qu'il avait, d'après lui, contribué à remporter la veille. Quant à Chanart, il avait cru tout simple, disait-il, de venir prendre des vivres là où il espérait en trouver. « J'avais faim, il fallait manger; on ne me donnait pas, j'ai pris. » Les preuves ne manquerent pas. Le premier décembre 1792, le juri répondit qu'il y avait lieu à accusation; accuser c'était condamner; une nouvelle affirmation déclara les accusés coupables. La loi s'était chargée de compléter la sentence; elle jugea qu'il n'était pas trop de trois têtes pour expier le crime de dix mille hommes.

Quelques jours se passèrent à des formalités, après les condamnations de Jeanne et de ses complices. La capitale de la France continuait à être agitée pas les mouvemens populaires, inséparables d'une grande révolution. La royauté n'existait plus; tombée victime, moins de ses propres fautes que de la nécessité fatale qu'on retrouve entraînant les sujets et les rois dans les grandes époques historiques. Cependant l'ordre avait reparu dans nos provinces: l'ouvrier était revenu demander à l'industrie du travail et du pain; car, voyezvous, il est facile au peuple de se lever quelquefois, d'essayer de briser cette aristocratie sociale, dont le caractère est de résister à toutes les formes d'une société quelle qu'elle soit; mais le besoin le ramène bientôt à la tranquillité première; enfant qui, voulant rompre ses liens, ne touche au but qu'alors que ses forces épuisées permettent de les resserr r d'avantage; malade qui semble se ranimer sous l'influence de la fièvre, et que chaque paroxysme laisse dans un abattement profond et rapproche du moment fatal. Tout était

calme; seulement, par une de ces belles journées de décembre, où le soleil semble briller d'un éclat plus vif, par cela même qu'il doit demeurer moins de temps sur notre horizon, la foule se pressait sur les principales places de Carcassonne. Les bancs de pierre qui en dessinent encore aujourd'hui l'enceinte, la fontaine monumentale qui la déccore, les vieilles maisons qui l'entouraient alors, tout s'était animé sous des milliers de têtes où l'âge, le caractère, les passions imprimaient des sentimens divers. Vainement eussiez-vous, dans les yeux de tant de femmes, cherché quelque chose de cette grâce voluptueuse qu'on aime à retrouver, vive et douce à la fois, sous le soleil méridional. Dans les regards fixés alternativement sur une des avenues de la place et sur le nouvel instrument de mort, qui s'élevait au centre, il n'y avait plus qu'une impatiente curiosité; et certes personne ne devait être surpris d'un empressement semblable, car le spectacle était grand, car il apportait avec lui tous les attraits de la nouveauté.

C'était la première fois que l'échafaud se dressait dans la ville; jusque-là elle n'avait point connu ce perfectionnement du supplice, qui, selon l'heureuse et philanthropique expression de son auteur, devait rendre la mort presque insensible à la victime. Aussi, dans le couteau pesant, vierge encore de sang humain; dans les deux poutres parallèles dont l'élévation assure la vitesse et la force du coup; sur ces planches prêtes à devenir le théâtre d'une scène affreuse; dans ce mécanisme ingénieux que chacun essayait d'expliquer à luimême ou aux autres, il y avait pour tous une étude à faire, pour tous une chose à apprendre. Mais l'appareil horrible ne suffit plus bientôt à satisfaire le désir de sensations violentes qui avait amené là tout ce peuple. Oh! il fallait bien autre chose alors pour répondre au besoin de tant d'imaginations ardentes et cruelles. Une agitation plus vive aunonça l'approche des condamnés. C'était bien eux; nul ne manquait au rendez-vous donné. Bourreaux, victimes, spectateurs, chacun avait été d'une effrayante exactitude.

Dans ce moment affreux qui précède la mort de l'homme et surtout la mort violente imposée par la justice humaine, il y a quelque chose de douloureux et de terrible qui domine tous les sentimens, qui maîtrise toutes les émotions. La foule elle-même ne sait point échapper à cette impression solennelle. Quelques instans d'un silence morne et profond, annoncent toujours celui qui sera le dernier et devancent au pied de l'échafaud le coupable qui va mourir. Deux hommes et une femme s'y rencontrèrent ce jour-là, unis pour le supplice, comme ils l'avaient été pour le pillage et pour le meurtre; tous trois portaient le costume fatal que le sang ne devait point tacher; la même main avait présidé à cette toilette dernière. Tous trois impassibles et calmes promenaient leurs regards sur les rangs pressés de la foule, où leurs yeux semblaient chercher encore des complices. Plus d'un front s'inclina peut-être.

Et maintenant les paroles qu'ils laissèrent s'échapper de leurs bouches au moment de mourir, les sentimens de chaque homme, attentif à recueillir le moindre murmure, à traduire jusqu'aux sons inarticulés, afin de pouvoir, messager exact et fidèle, conter les détails de la fête à ceux qui ne l'avaient pas vue; tout cela, laissez

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moi ne point vous le dire, c'est l'histoire de chaque jour. Jeanne monta la dernière sur l'échafaud; son énergie farouche ne s'était pas démentie un instant. Elle vit sans s'émouvoir rouler les deux tétes qui ne devaient que précéder la sienne; elle était morte, que ses traits conservaient tout leur caractère d'audace et de cruauté.

Le peuple s'écoula lentement. Quelques-uns suivirent les corps des suppliciés jusqu'au bord de la fosse qui allait se fermer sur eux. Désireux de tout savoir, illeur restait sans doute à étudier quelques palpitations

cadavériques, dernière lutte de la vie paraissant ne s'ar racher qu'avec peine de ce qu'elle animait naguère. Le lendemain, les rues étaient redevenues silencieuses; la main du tisserand avait repris la trame; l'étoffe se polissait de nouveau sous le peigne et sous le ciseau. Seulement, de temps en temps, on voyait quelques curieux venir chercher la place où s'élevait la veille l'échafaud. Quatre dalles de grès et quelques gouttes de sang tachant encore le pavé, suffisaient bien à leur répondre. Il ne restait pas autre chose de l'émeute du mois d'août 1'792 Adr. GENIE.

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Patience, monsieur le chanoine, je ne puis allumer la chandelle; on a oublié de fermer les fenêtres du corridor.

Sainte-Cécile, veillez sur nous! s'écria le chanoine impatienté.

Les servantes des chanoines sont des créatures si bizarres; tantôt elles vous accablent de soins, tantôt leur coupable négligence met vos jours en danger.

Boisredon ne cessait de soulever le lourd marteau de fer qui retombait à chaque instant de manière à éveiller les habitans du quartier. La vieille servante parvint enfin à allumer une petite lampe, et la tenant cachée dans les replis de son tablier, elle ouvrit la porte et fit une très humble révérence à son maître. Pardonnez-moi, monsieur le chanoine, dit-elle d'une voix tremblante; je n'ai pu venir plus tôt. Voyez vous-même; le vent agite les volets.

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La place n'est pas tenable, répondit le chanoine; on pourrait y construire un moulin à vent.

Caché de la tête aux pieds dans l'ampleur de son manteau ouaté, il se dirigea d'un pas rapide vers la salle à manger, et s'assit devant un bon feu.

-Le bon vin réjouit le cœur de l'homme, à dit le grand apôtre, s'écria Boisredon en tendant les mains vers la flamme du foyer. Sije ne me trompe, S. Paul était tourmenté par la soif, et n'avait pas froid, quand il écrivit cette maxime si à trois heures après minuit, il eût été contraint à faire une longue halte dans les rues. d'Albi, je suis persuadé qu'il aurait modifié son texte et se serait écrié! un bon feu réjouit le cœur de l'homme quand il a froid.

Le chanoine plus calme, plus patient, depuis qu'il voyait ses gros tisons embrasés, dénoua les cordons de ses grosses bottines, chaussa ses larges pantoufles, demanda son bonnet de nuit, et dit en riant à sa servante :

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-Oui, Monsieur; la table est surchargée de confitures et de fruits secs.

Le chanoine prit un léger repas, récita ses prières, et demanda la clé de sa chambre à coucher. Claire alluma une chandelle et se dirigea vers une des portes du corridor.

-Et ma nièce Agathe, dit tout-à-coup Boisredon... est-elle couchée ?

Oui, Monsieur, il y a déja une demi-heure.
A-t-elle assisté à la messe de minuit ?

En doutez-vous, monsieur le chanoine? Mile Agathe est le modèle des jeunes filles d'Albi; si elle elle échappe aux dangereuses suggestions de l'amour,

mourra en odeur de sainteté.

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Vous serez content, monsieur le chanoine. La servante fit trois révérences et rentra dans la salle à manger où elle fit honneur aux débris du modeste repas de son maître.

Boisredon seul dans sa chambre à coucher, chercha long-temps à deviner le secret de la conduite de sa nièce, puis il s'écria:

Bah bah! c'est impossible. Agathe yit dans ma maison depuis l'âge de six ans; elle a grandi sous mes yeux; Agathe est une fille sage, sur le compte de laquelle les jeunes gens de la ville ne se permettent pas la moindre médisance.

Le chanoine pleinement rassuré s'endormit d'un paisible sommeil, et ne se réveilla qu'à sept heures du matin, en entendant la voix nasillarde de Simon le sonneur de cloches. Il courut à la cathédrale pour assister aux offices du matin et ne rentra qu'à midi. Sa nièce Agathe l'attendait sur le seuil de la porte. Elle était parée de sa plus belle robe, et Boisredon en embrassant cette jeune fille si pudique, si jolie, ne put se défendre d'un sentiment de vanité.

- Ma nièce est belle comme un ange, dit-il à voix basse. Ma chère Agathe, ajouta-t-il, en lui saisissant le bras gauche, c'est aujourd'hui la Noël, jour de fête et de réjouissance pour les bons chrétiens.... Tu dîne

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passée.

faire.

--

Non, monsieur le chanoine....

Tant pis pour vous; aujourd'hui Claire s'est sur

Monsieur le chanoine, j'ai une demande à vous

- Vous voulez qu'on augmente le prix de vos peintures à fresque..... je m'en charge..... je parlerai au Chapitre.

Il s'agit bien de peintures, monsieur le chanoine.... Je suis venu pour vous demander la main de mademoiselle Agathe, votre nièce.

-La main de ma nièce! fit le chanoine.... y pensez-vous, je marierais ma chère Agathe avec un peintre! non, non, par saint Jean-Baptiste, mon patron, il n'en sera pas ainsi.

- Vous refusez, monsieur le chanoine ?....

Vous vous y prenez un peu tard, seigneur Isidore Canzolini.... Je destine ma fille à celui qui obtiendra la place d'organiste de Sainte-Cécile au prochain concours. Vous êtes peintre, vous ne pouvez y prétendre.

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-Agathe, je serai organiste de Sainte-Cécile d'Albi. Isidore sortit au même instant, malgré les instances de Jean-Baptiste Boisredon qui le pressait de prendre place à sa table. Livrant son ame aux douces illusions de l'espérance, il parcourut à pas redoublés les rues tortueuses de la vieille cité, et s'arrêta devant la maison d'Eustache Florentin, organiste de Sainte-Cécile. Soyez le bien venu, s'écria le vieil Eustache, aussitôt qu'il aperçut Canzolini. Cuerpo de Dios! on a mis la poule au pot, et je sais que les peintres ne détestent pas les diners bien assortis.

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Soyez mon convive, seigneur Canzolini.

Je viens solliciter la faveur d'être mis au nomde vos disciples, seigneur Eustache.

Vous voulez être organiste, seigneur Canzolini?
Puis-je espérer ?

Espérer, oui, mais réussir est chose si incertaine. D'ailleurs, ce serait une folie pour vous d'abandonner vos pinceaux qui enfantent des écus de six livres. L'orgue de Sainte-Cécile est un trône fragile et périssable.... Songez-y bien, seigneur Canzolini.... Les musiciens sont tous pauvres comme des Carmes déchaussés. Depuis vingt ans je fais danser en cadence les touches de l'orgue de Sainte-Cécile; depuis vingt ans j'ai joué tous les grands airs du rituel Romain, toutes les ariettes qui nous viennent d'Italie. Qu'y ai-je gagné? Comme Job j'aurais la misère en perspective, si la générosité du Chapitre ne m'avait accordé une pension viagère de trois cents livres. Tel est le sort qui vous attend si vous persistez dans votre dessein; mais, croyez-moi, ne vous mettez point au nombre des concurrens qui, dans deux mois, se disputeront l'orgue de Sainte-Cécile. Vous êtes peintre, ça vaut infiniment mieux.

Vos conseils ne pourront me dissuader, maître Eustache, répondit Canzolini; je veux être organiste, je serai organiste.

- C'est un parti pris: seigneur Canzolini, puisque vous persistez dans votre résolution, je vous promets le secours de mes leçons et de mes conseils. Vous viendrez chaque jour à Sainte-Cécile, et je vous dirai bientôt si vous pouvez espérer de devenir un jour un organiste distingué.

Eustache Florentin, fidèle à sa promesse, admit au nombre de ses élèves Isidore Canzolini, qui mérita l'estime et l'affection de son maître par ses progrès rapides. Le vieil organiste lui prodigua les soins les plus assidus, et deux mois suffirent au jeune italien pour se mettre à même de se présenter au concours.

-Encore quinze jours de travail, seigneur Canzolini, lui dit Eustache Florentin, et au nom de SainteCécile, je vous promets que vous triompherez de tous

vos concurrens.

Merci, maître, merci, répondit Isidore... Il ne s'arrêta pas long-temps à causer avec l'organiste; il courut vers la cathédrale, craignant d'en trouver les portes fermées. Il parcourût d'un pas rapide la vaste basilique, cherchant des yeux Simon, le sonneur de cloches il aperçut enfin un des carillonneurs qui pasit comme un fantôme à quelques pas du jubé.

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