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Il envoya des commissaires pour juger les chefs de la rébellion, et la tête du chevalier Riambao tomba sous la hache du bourreau. Les émissaires du roi d'Aragon crièrent à l'injustice, et le premier consul de Perpignan, nommé Jean Blanca, n'eut pas honte de dire publiquement que le chevalier Riambao était mort martyr de la liberté nationale. Don Juan, instruit de cette agitation pupulaire, passa secrètement les Pyrénées; et, suivi de quelques troupes, il marcha à grandes journées vers Perpignan. Le premier février 1473, il arriva après minuit sous les murs de la place; aussitôt ses nombreux partisans parcoururent les rues en criant:

Aragon Aragon! mort aux français ! notre roi Don Juan vient nous délivrer du joug des étrangers.

Les Aragonais entrèrent dans la ville par la porte de Canets; les Français surpris dans leur sommeil eurent beaucoup de peine à se réfugier dans le château, et ceux qui ne purent parvenir à cet asile, tombèrent sous le fer des soldats aragonais. Don Juan, maître de Perpignan, mit tout en œuvre pour étendre l'insurrection dans le Roussillon et la Cerdagne. Il fut puissamment secondé dans ses projets par Bernard d'Onis, chevalier roussillonnais que Louis XI avait fait son sénéchal de Beaucaire, et qui, traître à la France, fit révolter la ville d'Elne, dont les habitans chassèrent la garnison française. Les circonstances vinrent encore en aide au perfide Don Juan. Louis XI était alors occupé à étouffer l'insurrection que Jean d'Armagnac avait excitée dans le midi de la France. La mort de ce fier vassal, cruellement assassiné dans Lectoure, permit enfin à Louis de diriger de nouveaux corps and troupes sur din al usiffen;, que confia de commandement au cardinal Jouffroy, qui se mit en route, persuadé qu'il pourrait facilement se jeter dans Perpignan, par le château qui était toujours occupé par les Français; mais plusieurs tentatives furent sans succès, et il se détermina à former le locus de la place. Le roi d'Aragon ne voulut pas abandonner les Perpignanais au moment du péril; ce vieux monarque, alors âgé de soixante et seize ans, déploya en cette oceasion un courage héroïque. Il réunit les consuls, les notables et le peuple dans la cathédrale, et la main droite tendue sur le calice, il s'écria:

"

:

- Consuls, notables, et vous autres bourgeois de » Perpignan, oyez tous le serment que je vais faire sur >> le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. Je » jure de ne pas sortir de cette ville, avant qu'elle » soit délivrée de toute crainte de la part des Français. Aragon! Aragon! répondit la foule.. vive notre » roi Don Juan! mort aux Français! >>

Dans un premier transport d'enthousiasme, toute la population commença les travaux qui devaient garantir la ville contre l'artillerie du château. Le roi lui-même mit la main à l'œuvre; on creusa des fossés, et en peu de jours les retranchemens présentèrent un aspect de défense formidable. La belliqueuse noblesse d'Aragon et des Deux Comtés, électrisée par l'exemple de Don Juan, se hâta de partager les périls que son roi allait courir dans la ville assiégée. Les portes de Perpignan s'ouvrirent à des chevaliers de grand renom. Don Alonze d'Aragon, second enfant naturel du roi; Pedre de Rocaberti, châtelain d'Amposta; le comte de Prades

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Le prince royal est à Talamanca, dit le comte de Prades; il arrivera dans trois jours.

Il lui sera impossible de pénétrer dans la place, ajouta le connétable de Navarre; les Français ont déja formé le blocus.

En effet, le corps d'armée envoyé par Louis XI, avait déja investi la ville de Perpignan, sous le commandement de Jean de Daillon, bailli de Coutentin, et l'un des favoris du roi de France. Le siége ne discontinuait pas; mais de part et d'autre, il n'y avait ni succès, ni résultats définitifs; les attaques des assiégeans se bornaient à quelques escarmouches contre les Perpignanais, qui fesaient de fréquentes sorties pour aller chercher des vivres à Elne. L'annonce de l'approche du roi de Sicile déconcerta subitement les Français qui, sous le commandement de Du Lau, gouverneur de Roussillon, et de Ruffée de Balzac, livrèrent un assaut général la tentative fut heureuse; les gendarmes parvinrent à se jeter dans la place, mais n'ayant pas été soutenus à temps, ils tombèrent tous entre les mains des Catalans. Du Lau, le sénéchal de Beaucaire, et quelques autres seigneurs furent aussi pris dans une sortie, et les Français commencèrent à perdre courage. Don Juan se livrait à la joie d'une victoire inespérée, lorsqu'un courrier apporta la nouvelle que le duc de Bourgogne avait conclu avec Louis XI une trève dans laquelle l'Arago, se trouvait compris, cele trei fos ratifiée à Canet, le 14 juillet suivant, et les hostilités cessèrent momentanément de part et d'autre. - Les Français profitèrent de la suspension d'armes pour travailler aux fortifications du château, et le rendre inexpugnable. Le roi de France qui n'avait pas renoncé à ses vues secrètes, feignit d'être fort mécontent du traité, et ordonna à Antoine de Châteauneuf, seigneur du Lude, de reprendre les opérations du siége.

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Emportez Perpignan d'assaut, écrivit-il au » général de ses troupes; le duc de Bourgogne, mon » implacable ennemi, est en ce moment occupé en Al» lemagne, et me laisse ainsi la libre disposition des >> troupes que j'ai sur pied. L'armée du Roussillon re>> cevra des renforts considérables, et j'enverrai, s'il le » faut, contre Perpignan, toutes les forces de mon

>> royaume. »

Antoine de Châteauneuf qui avait à venger la mort de son frère, tué dans une embuscade par des seigneurs Roussillonnais, s'empressa d'obéir aux ordres du roi de France. L'armée française se rapprocha de Perpignan, reprit ses positions autour de la place, et le blocus recommença. Le roi d'Aragon se repentit alors de s'être fié trop promptement aux promesses de Louis XI, d'avoir congédié les gens du roi de Sicile et de l'archevêque de Saragosse. Il était trop tard pour les rappeler, et ses deux fils ne pouvant entrer dans la ville, se retirèrent à Elne pour attendre les résultats des événemens. Les consuls et les notables de Perpignan supplièrent Don Juan de quitter leur ville, d'aller à Barcelonne, d'y réunir les cortès, et de prélever les

sommes nécessaires pour rembourser le prix de l'engagement fait à Louis XI: ce conseil était aussi sage que loyal; Don Juan aurait mis ainsi le bon droit de son côté, mais entèté, avare comme tous les vieillards, il s'écria : Qu'il sortirait de Perpignan le jour où la capitale du Roussillon serait délivrée des Français ; qu'il se souvenait de ses sermens et voulait les tenir.

Louis XI, dont le caractère était moins chevaleresque, mais beaucoup plus prompt à profiter des moindres occasions, tendit à son rival un piége, que celui-ci ne sut pas pressentir. Il envoya à Perpignan en qualité de plénipotentiaire, un chevalier catalan, nommé Rocaberti, qui, fait prisonnier par les Français, avait été emmené à la cour de Louis XI, et s'était laissé gagné par les belles promesses de ce prince. Rocaberti avait ordre de proposer à Don Juan le mariage du dauphin avec la petite-fille du roi d'Aragon. Don Juan fut séduit par des propositions en apparence si brillantes: le traité fut conclu à Perpignan le 17 septembre, et le monarque aragonnais se croyant à l'abri de nouvelles hostilités, quitta Perpignan pour se rendre à Barcelonne, dont les habitans décernèrent au vieux monarque une pompe triomphale. Il songea sérieusement à rembourser le montant de la somme, pour laquelle les Deux Comtés de Roussillon et de Cerdagne étaient engagés; mais l'état de ses finances ne pouvait lui en fournir les moyens, et il eut recours à Louis XI, comme auparavant aux fausses promesses, à la temporisation. Il envoya une ambassade à Louis XI; elle se composait de tout ce qu'il y avait de plus illustre à la cour d'Aragon.

« Si bien, dit l'historien Zurita (1), qu'on n'aurait >> pû faire mieux, s'il avait été question de conduire » en France l'infante elle-même, pour son mariage >> avec le dauphin. »

Les ambassadeurs furent accueillis magnifiquement par Louis XI, qui, pour éloigner l'occasion de parler d'affaires, imagina de les amuser par une parade des milices bourgeoises de la capitale. Le soir, il les emmena souper avec lui au château de Vincennes, et leur fit présent de deux coupes d'or, du poids de quarante marcs. Non coutent de gagner ainsi un temps précieux pour l'exécution de ses desseins, il fit partir cinq cents lances suivies de nombreux fantassins qui entrèrent en Roussillon et dévastèrent le pays. Les Catalans et les Aragonnais usèrent de représailles; chaque jour fut marqué par un combat sanglant, et les deux armées ne fesaient grâce à aucun prisonnier. Deux galères siciliennes échappèrent à la poursuite de deux galiotes provençales qui gardaient les côtes; en présence des Français on débarqua les vivres et la place fut ravitaillée. La nouvelle de la prise de Céret par les Aragonnais, causa une grande joie à Perpignan. Don Juan renoua avec les ministres des ducs de Bourgogne et de Bretagne, des intelligences dont le secret fut souvent découvert par les espions du roi de France. Don Juan et Louis XI se disputaient la possession du Roussillon et de la Cerdagne, avec un acharnement inconcevable; l'astuce, l'intrigue, les faux traités, tous les moyens souriaient à leur coupable ambition. Les français résolurent de terminer enfin une guerre si désastreuse. Le

(1) Zurita, XIX, 1.

14 juillet 1474, ils s'établirent entre le Vernet et Perpignaa; puis ils se concentrerent vers la ville d'Elne qui, depuis le commencement du siége, fournissait des vivres aux habitans de Perpignan. Bernard d'Oms, ancien sénéchal de Beaucaire, qui avait trahi les intérêts de la France en fomentant la dernière insurrection des Roussillonnais, commandait dans la place. Sur ces entrefaites, neuf cents lances et dix mille archers eurent ordre d'entrer en Roussillon sur-le-champ; huit galères génoises à la disposition du roi de France, escortèrent vers Narbonne un convoi de vivres. Le gros de l'armée fit tant de diligence, qu'il se logea presque subitement à Clayra, Torelles, Ville-Longue, Sainte-Marie et Canet. D'un autre côté, on poussait le siége de la ville d'Elne avec la plus grande vigueur; les habitans en proie à toutes les horreurs de la famine, capitulèrent le 5 décembre, après un mois de blocus. Le traître Bernard d'Oms et quelques autres chevaliers qui avaient prété serment de fidélité à la France, furent conduits au château de Perpignan, où ils furent décapités. La tête de Bernard d'Oms, fichée au bout d'une pique, dit M. Henri, auquel j'ai emprunté les détails de ce fragment historique (1), fut plantée devant la porte de la ville.

La prise d'Elne porta la désolation dans Perpignan, qui tirait de cette ville ses munitions de guerre et ses provisions de bouche; Don Juan perdit presque en inême temps un puissant allié son royaume était épuisé, et l'assemblée des cortès, réunis à Saragosse, eut beaucoup de peine à voter une levée de deux cents hommes d'armes et de trois cents ginetes, pour quatre mois seulement. Réduit aux derniers expédiens, le vieux roi d'Aragon se rendit à Gironne, vers la fin du mois de janvier 1475; il comptait sur un secours. de deux cents chevaux, promis par la vilie de Barcelonne.

A la tête de ces hommes d'élite, disait le vieux monarque aux seigneurs qui l'accompagnaient, je marcherai sur Perpignan, je délivrerai cette ville du joug des Français, ou je m'ensevelirai sous les débris de ses murailles.

«Don Juan était un preux chevalier; mais, dit >> l'auteur de l'Histoire du Roussillon, le manque » d'argent était devenu tel chez le roi d'Aragon, que >> ce prince, passant de Girone à Castellon d'Ampu» rias, n'avait pas eu seulement de quoi payer les » muletiers qui avaient transporté son bagage; qu'il >> avait été contraint, pour les satisfaire, d'engager sa » propre robe fourrée. Ainsi, au milieu de l'hiver, » un vieillard octogénaire se voyait forcé, pour le » payement d'une modique somme, de renoncer au » seul vêtement qu'il eût pour se garantir des ri>> gucurs de la saison et ce vieillard était un grand » monarque, maître d'un grand empire, et dont le >> fils devait bientôt étendre son sceptre sur les deux >> mondes! Réunir les deux couronnes de Castille et » d'Aragon, envoyer Christophe Colomb à la décou» verte de l'Amérique! »

Il n'était plus possible de secourir la ville de Perpi

(1) Histoire de Roussillon, comprenant l'Histoire du royaume de Majorque; par M. D. M. J. Henri, totne 2.

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gnan. L'intrépide Rodrigues de Bovadill se dirigea vers la place, avec les compagnies qu'il commandait; mais il trouva les avenues si bien gardées que rien ne pouvait plus passer. Le 6 mars il n'était qu'à une lieue de la ville assiégée.

- Perpignan est perdu pour Don Juan, roi d'Aragon, s'écria le courageux Bovadill, et il ordonna à ses troupes de rétrograder.

Les Perpignanais étaient déja réduits à la famine la plus affreuse : ils avaient dévoré tout ce qui était susceptible de servir d'aliment; une mère fit, dit-on, manger à son second enfant, la chair du premier, déja mort de faim.

«On peut à peine croire, écrie Marinæus de Si»cile, historien contemporain, quelle fut la violence » de la faim qu'endurèrent les habitans de Perpignan. » Pendant plusieurs jours, ils ne vécurent que de » rats, de chiens, de chats que les femmes chassaient » dans les rues de la ville, au moyen de longs et larges >> voiles de toile. Cette ressource venant encore à >> manquer, et pressés par le plus extrême besoin, >> non seulement il portèrent la dent sur la chair des » Français qu'ils avaient tués, mais ils dévorèrent >> encore les cadavres de leurs propres concitoyens. >> Plusieurs femmes, agitées par la rage de la faim, » mangèrent leurs enfans un instant après les avoir >> mis au monde. D'autres femmes, poussées par un >> effrayant délire, dévoraient aussi leurs enfans, morts » de faim ou de maladie, et arrosaient ces exécrables >> mets de leurs larmes (1). »

Les assiégés qui différaient de jour en jour à se soumettre au roi de France, dont ils avaient à redouter la colère, se virent enfin contraints à subir la loi du vainqueur. Ils demandèrent au roi d'Aragon la permission de capituler, et le vieux Don Juan donna à la ville de Perpignan le glorieux titre de Très Fidelle. Les consuls signèrent le 10 mars le traité de capitulation, et les hostilités cessèrent aussitôt de part et d'autre. Ils obtinrent des conditions très-avantageuses; les généraux de Louis XI servirent mal en cette occasion les intérêts de leur maître en approuvant, sans restriction aucune, les articles d'une capitulation dans laquelle le vainqueur accepte les conditions du vaincu. Trois jours après, les troupes françaises entrèrent dans Perpignan, précédées par Laurent de Villa-Nova, l'un des consuls, par Thomas de Viviers, damoiseau, par George Pinga, bourgeois; George Cinrara, doyen des notaires; François Estève, doyen des tisseurs, tous six ôtages créés le jour de la capitulation. Louis XI ne put dissimuler son mécontentement quand il connut les principales clauses du traité conclu par ses généraux : il aurait voulu affaiblir Perpignan au point que cette ville fût dans l'impossibilité de se révolter une seconde fois; il fit partir le sire du Bouchage,

(1) Marinæus, liv. xvnt.

avec des ordres qui ne tendaient à rien moins qu'à anéantir pour toujours la nationalité rousillonnaise. Du Bouchage, quelques jours après son arrivée, dressa trois listes de proscription sur lesquelles se trouvèrent les noms de plus de deux cents personnes : heureusement le gouverneur Boffire ne voulut pas prêter la main à la vengeance de Louis XI, et Perpignan n'eut à pleurer la mort d'aucun de ses habitans illégalement condamnés à mort.

De grands évènemens se passaient en même-temps par delà les monts; Ferdinand, fils de Don Juan et son épouse Isabelle, usurpaient le trône de Castille. Louis envoya des ambassadeurs au jeune roi avec ordre de lui faire les promesses les plus magnifiques, mais Ferdinand, élevé à une bonne école, se méfia de cet enthousiasme subit, et commença par demander au roi de France l'évacuation du Roussillon. Louis le signa alors avec Henri de Portugal, et eut recours à toutes les combinaisons imaginables pour conserver sa conquête. Il y réussit malgré les obstacles que lui suscitaient Ferdinand et Isabelle; on conclut de part et d'autre plusieurs trèves qui ne furent pas toujours fidèlement gardées. On avait nommé deux médiateurs pour prononcer sur la grande question dont le Roussillon était l'objet depuis quatre années. On était sur le point de commencer ces importantes délibérations, lorsque Juan mourut à Barcelonne le 19 janvier 1479, à lâge de quatre-vingt-deux ans. Louis XI le suivit de près au tombeau, et décéda au château de Plessisles-Tours, le 20 avril 1483.

Ferdinand de Castille en apprenant la mort de ce redoutable ennemi, dressa ses batteries pour recouvrer les Deux Comtés sans le remboursement des sommes dont ils étaient le gage. Il suborna les ministres qui environnaient un roi de quatorze ans, et obtint l'abandon du Roussillon et de la Cerdagne. Les grands du royaume, le parlement de Paris, s'opposèrent d'abord à ce traité si désavantageux pour la France; le gouverneur des Deux Comtés mit tout en œuvre pour provoquer une rupture; tous les efforts devinrent inutiles: les émissaires de Ferdinand entrèrent en possesion des dignités auxquelles leur roi les avait promus. Les Roussillonnais qui s'étaient déja façonnés au gouvernement français, ne virent qu'avec le plus vif chagrin le retour prochain de leur pays à la couronne d'Espagne; mais le jour n'était pas encore vena, où la belle province du Roussillon devait être incorporée pour toujours à la gloire, à la puissance de la nation française. D'ailleurs il fallait détruire, avec le temps, la répugnance que les races méridionales éprouvaient à se soumettre aux peuples du nord. Trois siècles s'écouleront avant que les Roussillonnais soient Français de fait et de nom; cette révolution ne s'opérera que sous le règne de Louis XIV.

Hippolyte VIVIER,

ÉTUDES SUR LES JURISCONSULTES DU MIDI.

GUI DU FAUR DE PIBRAC.

La seconde partie du seizième siècle assistait, d'une façon active, aux pénibles efforts de notre enfantement social. Le droit public offrait, à la virilité de cette époque, un vaste champ d'étude. Accourue de tous côtés, et des pays les plus reculés, autour des chaires élevées dans les villes libres de l'Italie, la jeunesse écoutait avidemment ces enseignemens nouveaux; une fermentation puissante agitait les empires, et le volcan sur lequel on marchait avait lancé déja de brûlantes étincelles.

La mort de François II venait d'appeler au trône un prince âgé de dix ans. Catherine de Médicis, régente du royaume, ne se dissimula pas les dangers qui entouraient la monarchie et la fausse direction suivie jusques là; elle convoqua les états à Orléans; le danger pressant, elle songea à mander à son aide les députés de la nation.

Alors, la situation politique fut nettement dessinée: la grande question devant laquelle toutes les autres s'effacerent, fat la question religieuse. Les états demandèrent l'élection libre des évêques, la suppression de l'impôt romain, la résidence du clergé, l'administration gratuite des sacremens: toute la réforme contenue dans un vœu simple mais énergique.

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Quand tout est calme autour de nous, les soins de l'étude nous paraissent lourds, pénibles; et dans ces momens solennels où le bruit des armes retentissait de tous côtés, Pibrac avait su ramasser un trésor de connaissances qui l'élevèrent à la hauteur de cette illustre mission. Voilà la justification du choix de Médicis.

Nous l'avons déja dit: la grande affaire du seizième siècle fut la révolution religieuse. La corruption générale des mœurs, le relâchement du clergé, avaient blessé au cœur tout ce que la chrétienté renfermait d'âmes nobles, et de convictions pures. Ce n'était pas impunément que, sur la grande place de Florence, Savonarole avait été brûlé comme hérétique, lui, l'apôtre courageux, le prêtre sans tâche. La mémoire des Borgia, et de leurs scandales, avait porté le dernier coup à la tolérance des peuples. Un cri s'éleva en mème temps de toutes les consciences: la Réforme! Les souverains temporels sentant le trône trembler sous leurs pieds, et craignant de voir leurs intérêts matériels compromis par les événemens qui se préparaient, avaient pressé les papes de provoquer des conciles pour examiner la situation, et pour opposer une barrière à ce torrent qui grondait sourdement en annonçant au loin sa terrible présence.

L'année 1545 avait vu s'ouvrir le fameux concile de Trente, prorogé jusqu'en 1559 par de ridicules dis

mauvais vouloir de certains papes causa à la catholicité une blessure si profonde. Toutefois, l'empereur d'Allemagne, et les divers monarques d Europe, arrachèrent Pic IV à ce détestable système de temporisation adopté par Paul III; ils le forcèrent à continuer réellement la tenue du concile, et ce fut dans les inconcevables dispositions du pontife, que Pibrac et Duferrier trouvè

Dufaur de Pibrac exposa aux Etats les vues de la sénéchaussée de Toulouse. Revenu depuis peu d'Italie, il avait été nommé député, bien qu il eût à peine vingt-cussions de lieu et de préséance, et pendant lequel le cinq ans. Son cahier fut l'objet d'une attention générale; il développa des idées nouvelles sur la religion, la justice distributive, la législation; il parla de la décadence des études du droit à Toulouse, et des moyens de recomposer une compagnie qui venait de souiller sa dignité, en éloignant de son sein le savant Duferrier et le grand Cujas. Il sut habilement démontrer la connexité de ces intérêts de la science avec l'affaire impor-rent les prélats rassemblés à Trente. tante, c'est-à-dire, la nécessité immédiate d'une réformation religieuse. A une diction facile, et d'une pureté remarquable, Pibrac joignait encore l'éloquence qui vient du cœur. Catherine de Médicis, frappée de la supériorité de son talent, mesura d'un coup-d'œil toutes les ressources qu'elle pouvait en retirer. La sénéchaussée de Toulouse qui l'avait produit sur la scène politique, devait payer ce choix de la perte de son représenfant Pibrac et Arnaud Duferrier furent, par les conseils de l'Hôpital, immédiatement nommés ambassadeurs du roi Charles IX, au concile de Trénte.

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Les hommes de probité, les catholiques sincères, voyaient bien que dans ce grand débat il fallait faire une large part aux justes réclamations des peuples; que si on voulait arrêter l'élan donné, il était nécessaire de consacrer le principe de la réforme par une décision solennelle; que c'était peut-être le seul moyen de sauver l'autorité religieuse attaquée de toutes parts; que les princes, fatigués d'ailleurs des abus de la puissance romaine, saisiraient avec empressement l'occasion de se soustraire à ses foudres et à ses anathemes; que dans l'intérêt de leurs couronnes, ils abandonneraient la religion pour détourner d'eux-mêmes la colère du peuple révolté, et qu'une telle conduite serait le signal du dépérissement de la foi.

Marcel, en 1555, et Paul IV, son successeur,

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