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le corps adossé à un pilier dégradé, elle s'arrêtait, debout et immobile comme une statue de marbre blanc, et montrant du doigt l'abîme dont elle riait. Le guide, beau jeune homme au teint brun, aux traits fortement prononcés, suivait de l'œil cette faible femme qui s'aventurait ainsi au milieu des airs. Son imagination méridionale avait compris celle de Bianca, et de momens en momens, quand elle essayait de se retenir à un angle poudreux ou de gravir des piédestaux disjoints par les siècles, il lui jetait d'une voix forte des avis sûrs qui la guidaient dans ce périlleux trajet.

Frédéric suivait en silence, comme se soumettant à tous les caprices de sa belle maîtresse; mais le sombre nuage que le mécontentement avait étendu sur son front, s'épaississait de plus en plus; ses moindres gestes laissaient entrevoir un dépit concentré mais violent.

Tout-à-coup, des chants légers retentirent dans la petite gorge du Gard, et d'un moulin caché derrière le brusque détour du défilé, sortit une jeune fille. Elle portait sur la tête comme une canéphore grecque, une de ces urnes à anses élégantes, que la sculpture antique a si souvent reproduites dans ses bas-reliefs, et s'avançait en chantant, avec la folâtrerie de son âge, sur le chemin qui serpente le long de la rivière et va passer sous une des arches du premier pont.

A cette vue, Bianca devint rêveuse, et quoique environnée de luxe et d'opulence, elle parut envier cette gaité simple des champs, cette insouciance de l'avenir, qu'elle n'avait pas, qu'elle avait eue peut-être !...

Quand la jeune fille parut au-delà du monument, le guide l'aperçut, et s'élança vers elle, joyeux et rapide. Il l'agaça par quelques paroles: elle répondit en riant. Bianca put entendre le bruit confus de leur entretien, qui s'élevait jusqu'à elle comme un murmure à la vague douceur des sons, affaiblis encore par la distance, il ne lui fut pas difficile de reconnaître un échange de douces confidences, une causerie d'amour.

Ils se séparèrent. Bianca put remarquer que la jeune fille, en s'éloignant, tournait quelquefois la tête, pour répondre de la main aux adieux de son fiancé. Le spectacle de ce bonheur affligea la belle Romaine.

« Elle est fière de son amour, dit-elle, et moi! » Alors il s'éleva dans son ame je ne sais quel tumulte de pensées et de souvenirs. D'abord, elle se rappela gon enfance, l'heureux temps où elle était pure, pieuse et gaie. Elle se revit sous le ciel natal, souriant aussi aux jeunes amans empressés autour d'elle. Elle vit sa mère occupée à la parer avec un soin jaloux, et se plaisant, l'insensée, à exciter sa coquetterie naissante. Elle comprit tout ce qu'un amour coupable lui avait fait perdre, et elle pleura.

Puis, quand reportant ses yeux autour d'elle, elle se retrouva au milieu de la vallée et du Pont du Gard, de plus violentes passions l'agitèrent. D'un côté, l'orgueil national l'entraînait vers cette Rome antique, si puissante dans ses volontés, si sublime dans ses monumens, de l'autre, le sentiment de sa propre humiliation retombait sur elle de tout son poids, et lui brisait le cœur. Ce noble préjugé, qui fait toute la beauté de la vie humaine, en rendant les enfans dépositaires de illustration des aïeux, se réveillait en

elle tout entier. C'était en vain que des siècles la séparaient de ceux qui furent ses pères; son imagination les ressuscitait en présence de leurs ouvrages; elle les voyait, sombres et austères, passer devant elle, muette et déshonnorée; elle entendait leur voix qui lui criait sous les arches sonores : « Fille des maîtres du monde, pourquoi t'es-tu vendue aux voluptés criminelles d'un oppresseur de ton pays? »

Elle se sentit dégénérée, et portant les mains sur ses yeux, elle poussa un cri et chancela. Frédéric la retint sur le bord de l'abyme: mais le schall léger qui couvrait ses épaules, lui échappa dans ce mouvement. Il descendit, en se balançant dans l'air immobile, et alla tomber sur la pointe d'un rocher, au milieu du torrent. Les eaux murmurèrent un moment autour de lui, mais en s'amoncelant, elles l'entraînèrent, et il roula bientôt avec les flots comme un flocon d'écume. Bianca ne rouvrit les yeux que pour le voir disparaître une pensée de mort traversa comme un froid acier le cœur de l'infortunée; effrayée d'elle-même, elle se rejeta, par une contraction nerveuse, entre les bras qui la retenaient,

- «Voilà le fruit de vos folies, dit sévèrement Frédéric vous avez failli vous précipiter. »

Bianca ne répondit rien. Le coup était porté : toute exaltation avait disparu en elle. Elle acheva son trajet avec terreur; silencieuse, convulsive, les yeux pleins de larmes, elle se traînait péniblement. Frédéric essayait de la calmer par des soins minutieux et factices, mais tous ces efforts étaient inutiles: ils ne se comprenaient plus.

- « Qu'as-tu donc ? lui dit-il: tu frissonnes. >> « J'ai froid, répondit-elle avec angoisse, l'air du matin est piquant à une si grande hauteur: allons

nous-en. >>>

Frédéric s'étonnait d'un changement si inattendu. -«Mais vous n'y pensez pas, Bianca, nous ne pouvons pas quitter ainsi un pareil monument. Voyez donc comme ce troisième rang d'arcades se développe avec élégance après les cintres gigantesques des arches inférieures, j'aime à voir ces voùtes légères; il y a de la grâce dans cette ligne qui se dessine si nettement sur l'azur du ciel, et qui ne retombe par intervalles que pour mieux s'élancer, comme les bonds d'un cheval de course.

-«Je t'en supplie, répondait-elle encore, partons, partons.... Je souffre trop ici. »>

Mais lui, s'inquiétant peu de ce qu'il appelait des enfantillages, satisfait peut-être de prendre sa revanche et de se venger un peu de son dépit passé, il marchait, marchait toujours, forçant la jeune femme tremblante à gravir avec lui la montagne. Il était loin de pressentir l'effrayant orage qu'il amassait ainsi dans ce cœur de femme et d'Italienne.

Ils arrivèrent ainsi jusqu'au haut du monument. Là, s'ouvre l'aquéduc aérien dont tout ce grand édifice n'est que le support: la poussière des siècles y remplace aujourd'hui les eaux murmurantes. Haletante et inattentive, Bianca ne songea même pas à y jeter un coup-d'œil en passant. Elle s'avançait sans voir, sans entendre, le cœur oppressé d'une idée affreuse, l'esprit rempli d'une foule d'images confuses et déses- ; pérées.

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« C'est trop fort, s'écria-t-elle, je ne veux pas aller plus loin! Croyez-vous donc, monsieur le comte, me traiter comme une esclave, sans égards, sans ménagemens ? Prenez-y garde la pauvre romaine n'est pas encore descendue si bas qu'elle veuille s'abandonner à tous vos caprices! »

:

Cette brusque explosion déconcerta d'abord Frédéric; mais, peu à peu, ses traits se contractèrent, et irrité de la violence de ces reproches, il reprit d'un ton froid.

-«Des caprices! Et qui en a plus que vous? Que fais-je tous les jours, depuis trois mois, que céder à toutes vos volontés? Vous me permettrez bien, je l'espère, de faire la mienne une seule fois. »

-«< Fort bien, monseigneur, je vous comprends: Bianca n'est plus la jeune fille que vous flattiez de votre amour, que vous abusiez de vos promesses; c'est la malheureuse qui a trahi son nom, qui a délaissé sa famille, qui s'est donnée à un séducteur... Vous lui avez payé son honneur avec des robes, des bijoux, des valets, et vous la méprisez!... »

- «Mais

« Oui, vous etes folle, Biancaru, folle de vous

avoir suivi, folle d'avoir pensé un moment qu'il suffit de quitter son pays pour s'étourdir sur tant de honte ! Mon pays! Ne vous ai-je pas dit que je le retrouvais tout entier ici!... >>>

« En vérité, je ne vous comprends pas : c'est vous qui avez demandé à venir visiter ce lieu, et vous voulez le quitter, presque sans l'avoir vu, quand il ne vous reste plus qu'un pas à faire pour l'admirer dans toutes ses grandeurs! >>

Et, en parlant ainsi, il l'entraîna presque de vive force sur la plate-forme qui recouvre le monument. Cette plate-forme est assez large pour que plusieurs personnes puissent y marcher de front, mais en voyant des deux côtés le Gard s'agiter et blanchir à une profondeur effrayante, la tête peut tourner aux plus intrépides.

Bianca se tut. Un cri de terreur expira sur ses lèvres. Il était là, là, devant elle, ouvert de toutes parts, cet abyme qui l'aspirait, qui l'appelait à lui, qui la torturait par le vertige d'une épouvantable fas

cination.

- « Quand le danger était réel, lui dit Frédéric, tu le cherchais comme par caprice. Il n'y en a plus maintenant. Regarde ces blocs sont unis comme le pavé d'un palais. >>

Avec cette persévérance scrupuleuse des voyageurs sans enthousiasme, le froid allemand s'était fait une conscience de tout voir jusqu'au bout. Il aperçut de loin, sur les hauteurs, les débris épars de l'aqueduc romain qui se dirigeait vers le Pont. Il voulut contraindre Bianca à s'avancer le long du béant précipice. Mais elle, se dressant devant lui de toute sa hauteur :

- << Sauvez-moi de ma propre démence, monsieur; emmenez-moi d'ici. »>

— « Non, non, approchez-vous plutôt du bord, et regardez en bas : ce n'est pas aussi profond que vous le croyez. »

Et il souriait en se penchant avec elle sur l'abyme. Deux cris déchirans partirent à la fois. Bianca s'était précipitée presque sans l'avoir voulu. A peine élancée, elle en eut regret, mais il n'était plus temps. Frédéric, atterré, tomba sans connaissance sur les dalles selaires.

Le guide qui m'a conduit au Pont du Gard, m'a raconté cette histoire au sommet même de l'édifice. C'est là seulement qu'on peut la bien comprendre. Ce qu'il y aura d'invraisemblable pour quelques esprits forts, dans la catastrophe qui la termine, disparaît tout-à-fait devant les émotions grandes et tristes qui reposent en ce lieu. Nulle part, cette voix qui sort des monumens des hommes, ne s'élève plus haute et plus éloquente: « Descends en toi-même, passant, et vois si tu es digne de tes pères ! »>

Sur un des piliers du second pont, on peut lire, je crois, encore, cette inscription grossièrement gravée : M. le Comte de *** est passé ici, le 3 Octobre 182..., venant de Rome et allant à Vienne.

Léonce DE Lavergne.

SE DE M

Le château de Montal, commune de Saint-Jeanl'Espinasse, canton de Saint-Ceré, est des plus heureusement situés; il occupe le sommet d'un côteau fertile, d'une pente douce, et d'où la vue s'étend sur la riante vallée de la Bave, sur les montagnes variées qui la bordent, sur la ville de Saint-Ceré, qui, de là, semble sortir d'une corbeille de verdure. Il a en pers pective, au nord-est, les majestueuses tours de SaintLaurent, et, un peu plus loin, à l'ouest-nord, l'immense chateau de Castelnau de Bretenoux.

Il n'est formé que de deux corps de logis, qui se réunissent en formant un angle droit ; mais les pierres d'attente qu'ils présentent, annoncent qu'il n'a pas été achevé et qu'il devait en avoir quatre. Les deux corps de logis regardent, l'un le nord et l'autre le couchant; ils sont flanqués d'une tour à chaque angle.

La construction en est très soignée, surtout dans l'intérieur de la cour. Les étages, au nombre de deux, y sont marqués par autant de rangs de colonnes d'un ordre composé, mais dont les principaux élémens sont

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lionique et le corinthien. Les frises, qui sont chargées de bas-reliefs, représentent des arabesques en feuillage, les travaux d'Hercule, et divers autres sujets pris de la mythologie. Les intervalles laissés entre les ouvertures de l'étage le plus élevé, offrent des niches demisphériques, dans lesquelles on a placé des bustes d'hommes et de femmes, d'une belle exécution, où les uns croient voir des rois et des reines de France, et les autres les seigneurs de Montal. Les niches sont ornées de deux colonnes, qui portent un tympan. couronné par un ornement, formé de plusieurs petits globes qui vont en décroissant.

Les murs de l'édifice se terminent par une belle corniche. Au-dessus de cette corniche, en avant des combles, on a pratiqué des ouvertures correspondantes à celles des étages inférieurs; elles ont un couronnement où l'on a prodigué les ornemens de sculpture et d'architecture. On y voit des Syrènes, des Amours, des griffons, des dauphins, des volutes, de petites colonnes, des coquillages, etc.; et tout cela arrangé de manière que l'ensemble forme un fronton très aigu, et où les vides à jour qu'on a pratiqués font mieux

| ressortir les parties qui sont en relief; mais on a affecté de dédaigner la symétrie; les ouvertures y sont mal espacées, les mêmes ornemens ne se correspondent jamais il semble qu'on n'ait cherché que la variété.

L'extérieur n'offre d'ornemens que sur les corniches qui terminent les murs et autour des ouvertures; celles du comble de la partie occidentale ont des couronnemens semblables aux ouvertures de l'intérieur de la cour. Sur la frise qui est au-dessous du tympan d'une de ses ouvertures, et au-dessus d'un médaillon perté par deux An.ours, on lit en gros caractères: PLUS D'ESPOIR. Nous ferons bientôt connaître à quel tragique événement ces mots font allusion. Le comble est couvert de belle ardoise; les tuyaux des cheminées offrent de nombreux pilastres très élancés.

L'escalier, qui, du rez-de-chaussée, conduit aux divers étages, a de belles dimensions; le plafond est entièrement couvert de sculptures aussi variées que bien exécutées; chaque dessous de marche offre un dessin différent des bustes d'empereurs Romains, des Amours, des griffons, des dauphins, des syrènes, des

lions, divers oiseaux s'y combinent avec des feuillages et des fleurs d'une manière très gracieuse. La surface, couverte de sculptures, est de quatre-vingt-trois mètres six décimètres. On lit, dans un acte conservé par un notaire de Saint-Ceré, que cet escalier, dont la pierre a été toute transportée de Carennac, fut fait pour le prix de quatre-vingt francs et deux barriques de vin.

Sur la corniche de deux cheminées, formées par deux rangs de pilastres, on avait placé deux cerfs en ronde-bosse; ils portaient chacun un écusson, où l'on voyait les armes des seigneurs de Montal; l'un est assez bien conservé et pourrait être facilement restauré, l'autre est entièrement mutilé. Les appartemens n'y sont point plafonnés en plâtre, mais les poutres sont couvertes de belles sculptures, qu'on devait peindre et dorer, et cette opération avait même été commencée : la mort de l'héritière de la maison du Montal empêcha de la terminer.

Un des appartemens du rez-de-chaussée, du corpsde-logis qui est au nord, et dont la voûte forme une courbe demi-elliptique, quoique la pièce soit un carré long, présente cette singularité si connue, qu'une personne, qui parle tout bas à un des angles, est très distinctement entendue de celle qui est à l'angle opposé, tandis que toutes les autres qui se trouvent sur tous les points intermédiaires de la diagonale ne distinguent pas une seule syllabe,

Dans le treizième siècle, le château de Montal appartenait aux seigneurs de Miers, et portait le nom de Repaire de Saint-Pierre. En 1489, Bertrand de Miers y fonda une chapellenie; on ignore comment il appartint ensuite à la maison de Montal, qui lui donna

son nom.

C'est un des membres de cette famille qui fit construire, en 1534, le château qu'on y voit aujourd'hui. On raconte, dans la contrée, la mort touchante de Rose de Montal, sa fille (1).

HISTOIRE DE ROSE DE MONTAL.

La nuit était orageuse; les vents hurlaient en traversant les corridors voûtés et les grandes salles du château de Montal. Superstitieuse, comme toutes les ames tendres et religieuses, Rose, la fille unique du puissant seigneur de de cette riche terre, écoutait avec un saisissement croissant ces murmures prolongés, qui portaient le trouble dans son cœur. Tout-à-coup, s'ouvrit avec fracas, la porte de la chambre où elle était assise, devant une immense cheminée, ornée de riches sculptures; Rose poussa un cri d'effroi, et se précipitant vers sa mère, elle vint cacher sa tête sur sa poitrine.

Le seigneur de Montal interrompit sa lecture, qu'il continuait à faire à haute voix, malgré le bruit de l'ouragan, et fermant le grand livre de la vie des Saints, qu'il tenait, il se prit à sourire de la frayeur de sa fille :

- Enfant, lui dit-il tendrement, quand donc serastu raisonnable? la moindre chose t'émeut et te trouble:

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une feuille, qui tombe à tes pieds, te fait rêver des heures entières; les sifflemens du vent t'épouvantent, le cri d'une chouette, au milieu de la nuit, te cause une insomnie.

Et s'adressant à un vieux domestique, qui était accouru pour arrêter et consolider les panneaux de la porte:

La nuit doit être bien mauvaise; au bruit aigre que font les girouettes, placées sur les tours, je juge que le temps est épouvantable. Saint-George, faites allumer un fanal à la dernière fenêtre du donjon du beffroi, et que tout le monde se tienne ici attentif à recueillir les voyageurs, pélerins ou soldats qui se présenteront.

Savez-vous, dit à son tour, et un peu remise de sa frayeur, Mlle. de Montal: savez-vous, SaintGeorge, si la chasse conduite ce matin par le baron de Castelnau est rentrée avant l'orage?

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Eh! qu'importe? dit le père. Crois-tu, Rose, que le seigneur Roger ait peur des vents, lui?

Allez, Saint-George, exécuter mes ordres; faites veiller toute la nuit, et que l'on reçoive, sans distinction, tous ceux qui viendront ici chercher un asile.

Et il donna le baiser d'adieu à sa fille chérie, en lui recommandant d'oublier l'orage, les murs de pierre du château de Montal étant bien capables de lui résister, et de ne pas trembler pour le seigneur de Castelnau qui, quoique assez étourdi pour avoir cherché à braver l'orage, était néanmoins rentré de bonne heure, après avoir fait une chasse magnifique. Et, comme pour la quitter en lui fesant plaisir, il viendra, ajouta-t-il, demain, nous en faire le récit lui-même.

Rose de Montal, l'unique héritière de l'antique famille de ce nom, était une jeune personne qui n'avait jamais quitté le château où elle était née; élevée sous les yeux de ses parens, elle avait conservé l'innocence et la simplicité d'un enfant : elle avait pourtant atteint sa dix-huitième année. Née maladive, elle avait une de ces physionomies rêveuses qui révèlent l'habitude de la mélancolie; sa taille était peu élevée, son corps était frêle, son teint pâle, mais ses cheveux d'un blond cendré, ses yeux bleus si doux, sa bouche où se dessinait la bienveillance en faisaient une charmante créature. Sa vie calme et tranquille se passait à cultiver quelques fleurs, à orner de ses mains la chapelle du château, à entendre le soir des lectures pieuses, ou les récits des pélerinages à la Terre Sainte.

Cependant plusieurs jeunes seigneurs du pays, flattés de s'unir à la noble famille de Montal, avaient demandé la main de Rose, mais elle n'avait permis d'espérer qu'à Roger de Castelnau son voisin, jeune chevalier magnifique, grand amateur de tournois et de chasses, fine fleur de galanterie, qui, après avoir passé les premières années de sa jeunesse au milieu des camps, s'était enfin retiré dans sa terre, habitant le château de Castelnau, manoir renommé par la position qu'il occupe, bâti qu'il est sur la croupe qui termine la chaine des montagnes, dont les nombreuses ramifications séparent le bassin de la Bave de celui de la Cére et de la Dordogne. Ce monument existe encore, sa forme est triangulaire. Le plus grand côté qui regarde l'orient à quatre-vingt-treize mètres de long; celui du nord quatre-vingt-quatre; celui du sud-ouest quatre

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vingt-six. Il est flanqué d'une grosse tour ronde à chacun des angles, et sur les côtés du milieu dé la masse que forme le corps de logis du sud-est, s'élance une tour carrée; elle servait de belfroi et l'on y voit encore le clocher qui donnait le signal des alarmes et des combats.

Un amour pur et délicat attachait le sire de Castel nau à Rose de Montal. Dominé par ses graces enfantines, par ses goûts modestes, Roger avaient oublié près d'elle tant de femmes brillantes qui avait fait battre son cœur. Ce n'est pas qu'il n'eût voulu voir celle qu'il aimait se montrer avec plus d'éclat, mais sa violette des champs, comme il l'appelait souvent, lui prouvait dans certaines causeries que la femme, fille, épouse et mère, se devait aux soins de l'intérieur. A vous, mon ami, ajoutait-elle, d'être magnifique : un grand seigneur doit être ainsi; mais permettez à celle qui portera votre nom de ne rechercher que votre approbation, d'éviter l'éclat qui fane le cœur des femmes.

Quant à Roger, c'était un grand plaisir pour lui de penser que les deux terres de Castelnau et de Montal allaient être réunies, et que ces châteaux qui se regardaient à une petite distance, comme deux soldats toujours l'arme au bras pour s'observer, allaient passer dans ses mains. L'idée de sa puissance qu'il allait agrandir; l'immense fortune qu'il devait posséder; le bonheur que le caractère de Mlle. de Montal lui faisait espérer, tout se réunissait pour lui faire désirer de hâter cette union.

Oubliant les longues querelles qui avaient si souvent armé les uns contre les autres les anciens seigneurs de Castelnau et de Montal, ces deux familles venaient de donner leur assentiment à ce mariage que rendaient assorti la noblesse et la fortune des deux maisons. Plus assidu que jamais auprès de Rose, Roger lui avait inspiré un amour profond, qu'elle réprimait on sa présence, mais que l'absence irritait; elle avait trouvé le moyen d'en tempérer la rigueur. La nuit, retirée dans sa chambre, elle chantait d'une voix touchante des romances plaintives qu'elle composait, et qui, dans leur naïveté, exprimaient exactement les sentimens de son ame. Un soir que Roger s'était assis sur un bane de gazon, vis-à-vis la fenêtre de Rose, rêvant à ses projets de fortune et de bonheur, il entendit un de ses chants, qui mieux que tous les aveux reçus de la bouche de sa fiancée, lui apprit à connaître son amour. La fenêtre était ouverte, il s'approcha pour tout entendre, tout jusques aux battemens du cœur de Rose; mais quelques précautions qu'il prit, il attira l'attention de sa bien-aimée; elle cessa de chanter, et tremblante, elle se reprocha comme un crime d'avoir exprimé avec trop peu de modération la passion que lui inspirait celui qui allait devenir bientôt son époux.

Le lendemain, lorsque Roger vint au château de Montal, qu'il s'approcha de Rose pour la saluer, la joie brillait dans ses yeux, tandis que ceux de la jeune fille étaient timidement baissés vers la terre; il s'en aperçut et lui dit :

-

Gentille demoiselle, quand vous plaira-t-il de nous laisser entrevoir toutes les heureuses qualités dont dame fortune vous a dotée ? trop modeste, vous mettez à les cacher le soin que d'autres consacreraient à les faire valoir; en vérité, c'est bien mal. Savez

vous que Philomèle se taisait hier au soir pour vous écouter....

-De grâce, messire, répondit-elle, toute tremblante, et rouge de honte et de pudeur, vous voulez sans doute me faire comprendre que mieux j'aurais fait de chanter une de ces complaintes pieuses, que ces stances frivoles et légères, peut-être même coupables; merci de vos conseils; jamais, je vous le jure, on ne m'entendra redire ces chants profanes qu'avec raison vous me reprochez.

Lui, était tombé à ses pieds; il lui disait : - Vous êtes donc un ange, pour vous sentir blessée de la louange d'un homme. -Oh! de grace, ne me faites pas repentir d'avoir été doublement indiscret, en vous écoutant d'abord, puis en vous disant ce que votre voix, votre poésie si suave m'ont fait éprouver de plaisir. Rose, promettez-moi de les redire souvent ces stances naïves qui m'ont donné à la fois la mesure de votre talent et de votre tendresse; si jamais, ce qui n'est pas possible, devenu insensé, je vous oubliais, douce amie, faites entendre ces suaves paroles, et vous me rendrez à cet amour qui fait tout mon bonheur. Rose était devenue rêveuse aux derniers mots de Roger.

Est-ce que l'on peut oublier la personne que l'on aime? dit-elle tristement.

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Non, jamais, s'écria Castelnau, lorsqu'elle se nomme Rose de Montal!

Oh! mon ami, je n'avais pas pensé que ce fùt possible. Mais, Dieu! que deviendrais-je, si un jour, dédaignant ma tendresse, vous veniez à me délaisser, à me fuir, pour aller porter vos hommages, pour aller donner votre amour à une autre !.... Ces pensées dévorent le cœur en le traversant, le savez-vous, Roger? Je ne suis qu'une fille sans expérience, habituée à la solitude, ignorante des usages du monde. - Ne le trouvez-vous pas Roger?

Rose, vous savez m'aimer! eh! que m'importe le reste! à qui, d'ailleurs, le cédez-vous, en graces, en toute sorte de perfections: allez, soyez assurée que la descendante des Montal, ia baronne de Castelnau ne fera pas rougir le double écusson qui bientôt compo

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Eh bien! allez-vous être jalouse de mademoiselle de Lavaur?

Je le serai de toutes les femmes plus belles que moi et que vous verrez souvent, dit en s'éloignant Rose, essuyant ses yeux mouillés de larmes.

A compter de ce jour, les craintes s'emparèrent du cœur de cette enfant, jusqu'alors si confiante. Une fête donnée au château de Lavaur, et dans laquelle Roger avait été l'objet de l'attention toute particulière de la part d'Eléonore, dont les grâces et la beauté étaient vraiment remarquables, vint augmenter encore les souffrances de Mademoiselle de Montal. Elle crut s'apercevoir que les visites de Roger étaient moins fréquentes, qu'il laissait passer, sans y prendre garde les occasions de s'entretenir en tête-à-tête. Il est vrai que, dévoré d'une passion nouvelle, qu'il se reprochait, le sire de Castelnau éprouvait auprès de Rose, presque sa fiancée, toutes les angoisses d'une ame

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