Images de page
PDF
ePub

Isabelle t'a plongée dans un abîme de malheur, et une éclatante vengeance pourra seule apaiser l'ombre de ton père. Ecoute, gente bachelette, et si tu as le courage de faire ce que je vais te dire, je te jure par le roi Edouard que demain je te livrerai la comtesse Isabelle pieds et poings liés.

Songez à tenir votre serment, seigneur Thomas; je sais que les chevaliers d'Angleterre ne se piquent pas de tenir fidèlement leurs promesses; mais je compte

sur vous.

Juliette et Thomas se rapprochèrent, ils parlèrent long-temps à voix basse; puis la jeune fille se coucha, et le faux pélerin sortit de la maison sans être aperçu de l'aubergiste.

Le lendemain de grand matin, Juliette se rendit à la porte extérieure du château de Roussillon, pour demander l'hospitalité. Le baron de Cessac, qui était préposé à la garde de la grande tour, ordonna à deux hommes d'armes d'ouvrir à la jeune pélerine. Il fut vivement frappé de la beauté de Juliette; il lui promit aide et protection, et lui permit de visiter le château. La fille de Jérémie Garganon, fidèle à remplir le serment qu'elle avait fait au pélerin, arbora son écharpe rouge aux créneaux de la grande tour: c'était le signal convenu. Les soldats de Walkafara, cachés dans le ravin, accoururent sur-le-champ; Juliette leur ouvrit une porte, et ils seraient entrés dans le château sans l'intrépide résistance du sire de Corneillan, qui les repoussa après un quart-d'heure de combat à outrance. Juliette, convaincue d'avoir voulu livrer la forteresse aux Anglais, fut condamnée à être précipitée de la plus haute des tours. On remit au lendemain l'exécution de ce jugement. Plongée dans un ténébreux cachot, la fille de l'usurier se livra d'abord au plus violent désespoir; en se débattant, elle renversa une petite porte, et tomba dans un corridor souterrain; guidée par l'instinct providentiel qui nous sauve souvent des plus grands dangers, elle parcourut rapidement le souterrain, et quelques instans après elle vit, à son grand étonnement, la lune qui brillait au-dessus du vallon. Je suis sauvée ! se dit-elle.

[blocks in formation]
[merged small][merged small][ocr errors]

Si j'avais une robe de moine et un bourdon de pélerin....

- Qu'à cela ne tienne, dit Guyon; le père Hilarion, mon aumônier, est de l'ordre de Saint-Benoît, et hier il a reçu de son provincial un froc tout neuf. Je partirai avant le coucher du soleil, dit Juliette. Et les bandes anglaises du prince de Galles... Ne m'effraieront pas, répondit Juliette; mon froc me tiendra lieu d'épée et de cuirasse.

--

En effet, une demi-heure avant le soleil, la fille de l'usurier de Cahors, revêtue d'un large froc, sortit du château de Saint-Germain, et prit la route de Gourdon, guidée par des valets du sire de Touchebœuf (1). Lorsqu'elle arriva aux pieds de la colline au-dessus de laquelle s'élevaient les quatre grosses tours du château de Gourdon (2), la lune éclairait de ses derniers rayons les vieux remparts et le double clocher de l'église SaintPierre. Aucun bruit ne se fesait entendre dans la petite ville; Français et Anglais, opprimés et oppresseurs, goûtaient les douceurs du sommeil, qui devient plus lourd et plus profond à l'heure où le jour est sur le point de paraître.

Mes amis, dit Juliette aux valets de Guyon de Touchebœuf, allez dire à votre maître que je suis arrivée sans rencontrer ni routiers, ni francs taupins, ni autres détrousseurs venus du pays de Galles.

Elle s'approcha des fossés de la ville, et entra dans une petite chapelle dédiée à la Vierge, et dont elle trouva la porte entr'ouverte. Le soleil ne tarda pas à se lever; les gens du pays purent circuler librement dans la place, et Juliette, cachée sous son froc, passa inaperçue au milieu des sentinelles.

- Capitaine, cria-t-elle à un homme d'une taille

(1) La fondation de Gourdon remonte au temps où les Visigoths étaient maltres du pays. La ville occupe les pentes d'une colline sablonneuse, au sommet de laquelle s'élève une église, très beau monument d'architecture gothique. Elle était fortifiée à l'époque où les Anglais s'emparèrent du Querci; elle a été plusieurs fois attaquée et prise par les Anglais, les Français, par les catholiques et les protestans. Les compagnies anglaises, dans le dix-neuvième siècle, la vendirent au comte Jean V d'Armagnac, à qui elle fut confisquée par Louis XI. On voit encore sur le sommet d'un rocher qui s'élève au-dessus de la ville, les ruines d'un ancien château qui fut démoli en 1619, par les ordres du duc de Mayenne. La ville, naturellement forte par sa position, était entourée d'épais remparts. On y entrait par quatre portes flanquées de tours, et protégées par deux ouvrages avancés dont on voyait encore les traces, il ya soixante ans. L'édifice le plus remarquable de Gourdon t l'église principale: décorée d'un portail à deux tours d'environ trente-cinq mètres de hauteur, cette église est éclairée sur les côtés par de larges ouvertures qui s'élèvent depuis le sol jusqu'à la voûte, et par une grande rosace placée au-dessus de la porte d'entrée, et d'un diamètre de quarante-cinq pieds. L'église de Gourdon fut commencée en 1304 et terminée en 1514; on n'y a conservé que les formes hardies et élancées; la nef a soixante-trois pieds de longueur et trente-trois de largeur. La voûte, soutenue seulement par les murs latéraux, est élevée de soixante-neuf pieds au-dessus du pavé. (France Pittoresque, Guide du Voyageur; DELPON, Statistique du département du Lot.)

(2) J'ai vu dans les archives de l'hôtel-de-ville de Gourdon, un plan des fortifications levé au quinzième siècle; on y distingue les tours massives de l'ancien château.

[graphic][merged small][subsumed]

colossale, pourriez-vous me dire si Thomas de Walkafara, sénéchal du Querci pour notre seigneur le prince de Galles, est arrivé à Gourdon?

-Depuis hier, mon père, répondit le capitaine; vous le trouverez au château.

Juliette parcourut une longue rue tracée à pic sur le penchant de la colline, et s'arreta sur la plate-forme de l'église Saint-Pierre. Quelques bourgeois, des sergens d'armes, un consul, des femmes, des enfans se groupèrent autour du religieux, qui regardait attentivement une statue qui tenait d'une main un large couteau et de l'autre un gros pain partagé en deux (1).

-Mon père, dit le consul Girles, en s'approchant du religieux, vous examinez attentivement cette statue vous n'en connaissez pas l'histoire ?

- Non, messire, et s'il vous plaisait de me la raconter, je prierais Dieu pour vous.

(1) Cette statue se voit encore à côté de la porte latérale ; elle tient encore son gros pain et son couteau; les paysans J'ont surnommée le bonhomme Gourdon.

[ocr errors]

Apprenez donc, mon père, qu'il y a environ cent ans qu'une horrible famine réduisit les habitans de ce pays à la mendicité. Les consuls de Gourdon avaient fait d'abondantes provisions de blé; leurs greniers furent ouverts, et les paysans des environs échappèrent au fléau. Pour perpétuer le souvenir de cette bonne action, la reconnaissance publique érigea cette statue. Le pain qu'elle tient dans ses mains indique la générosité des bourgeois et menu-peuple de cette ville, et ce bloc de pierre sera toujours le bonhomme Gourdon.

- Je vous remercie de votre intéressante histoire, messire, dit Juliette au consul. Je cours au château.

V.

SOUS LA ROSE L'ÉPINE.

Juliette tremblait qu'on ne la reconnut, malgré son travestissement; aussi s'empressa-t-elle de demander un entretien secret et particulier avec sir Thomas de Walkafara.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

fille de Jérémie Garganon. Convaincue d'avoir servi d'espion aux Anglais, Juliette fut traduite devant un tribunal qui la condamna à mort. Elle mourut avec fermeté devant la grande porte de l'église de Notredu-Pin, à Figeac.

La noblesse du Haut-Querci leva l'étendard de la révolte, et les Anglais furent chassés de tous les châteaux. Le prince de Galles voulut prélever un imposition extraordinaire sur la ville de Cahors; les habitans s'insurgèrent, et les consuls adressèrent à l'évêque d'énergiques protestations. En vain le prince de Galles, pour calmer l'exaspération qui devenait générale, accorda le droit de barre et de souquet à toutes les municipalités de la province. Plusieurs seigneurs portèrent leurs plaintes à Charles V, et le fils du roi Edouard fut ajourné à comparaitre devant la cour des pairs. Thomas de Walkafara partit de Gourdon à la tète de soixante lances et de cent archers pour aller rejoindre un corps considérable de troupes qui se trouvaient à Rodez. Thémines, Cardaillac, Béduer, le baron de Cessac, et plusieurs autres gentilhommes, montèrent promptement à cheval, attendirent à deux lieues de Montauban le sénéchal du Querci, qui fut battu, et prit honteusement la fuite.

[blocks in formation]

Juliette, dans un premier transport de joie, porta à Ces nobles paroles devinrent le cri du ralliement. plusieurs reprises à ses lèvres les deux mains du séné- L'archevêque de Toulouse, Jean de Cardaillac, déterchal, qui lui délivra la fatale sentence. Quelques ins- mina soixante villes ou château du Querci à prendre le tans après, il y avait grand tumulte dans l'église Saint-parti de Charles V. Cahors, Figeac, Gourdon, Cognac, Pierre; des hommes d'armes entraînaient le sire de Cardaillac et la comtesse Isabelle. La résistance fut inutile, et Juliette entra dans les souterrains avec les deux victimes de son implacable jalousie. Elle croyait qu'il leur serait impossible de sortir de ce tombeau ; mais plusieurs amis dévoués veillaient sur les deux époux, et leur procurèrent des moyens d'évasion. Juliette avait quitté ses habits de moine, et, resplendissante des plus riches parures, elle triomphait au milieu des chevaliers anglais. Un varlet lui remit une lettre qu'il disait tenir d'un frère quêteur; elle était du sire de Cardaillac.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors]

Capdenac et Martel envoyèrent des députés. Les Anglais assiégèrent la capitale du Querci, dont les habitans se défendirent avec tant d'intripidité, que les ennemis levèrent le siége, après avoir ravagé les environs. La seule ville de Moncuq resta fidèle aux Anglais. Elle en fut bientôt punie par la perte d'une grande partie de sa juridiction, qui fut donnée aux consuls de Cahors (1). Thomas de Walkafara, que sa cruauté avait rendu odieux aux deux partis, fut pris à Réalville, et pendu à Toulouse, par ordre du duc d'Anjou, qui nomma Gaucelin de Vayrols sénéchal du Querci.

Le prince de Galles, Chandos, le Captal de Buch, mirent tout en œuvre pour étouffer l'élan patriotique des Quercinois. Ils ne purent s'emparer de la petite ville de Duravel, pillèrent la chapelle de Rocamadour et la châtellenie de Fons. Mais le temps de leur domination touchait à sa fin. Le duc d'Anjou destitua les officiers de justice que le prince de Galles avait établis à Cahors; il confirma les priviléges de la ville, qui reçut une garnison française. Grande fut la joie des habitans, lorsqu'ils virent les bannières parsemées des nobles fleurs-de-lys.

- Au milieu du cortége, on distinguait la comtesse de Gourdon, vêtue en amazone, richement caparaçonnée, une épée nue à la main. Les gentilhommes quercinois avaient voulu faire honneur à la jeune héroïne qui n'avait cessé de partager leurs périls. Isa

(1) CATHALA-COTURE. Histoire du Querci, tome 1.

43

belle ne séjourua pas long-temps à Cahors; le sire de Cardaillac, son époux, avait trouvé une mort glorieuse dans un combat: le Querci ne lui offrait plus que deuil et tristes souvenirs; elle se rendit à la cour de France,

où elle fut pompeusement accueillie par le roi, les dames du palais et les grands seigneurs restés fidèles à l'honneur national. J.-M. CAYLA.

LA PIERRE-LIS.

Il n'est rien de si digne d'intérêt pour le voyageur, que le tableau qui lui montre les travaux imposans de la nature, mêlés aux travaux plus modestes que l'homme a consacrés à la piété et à la bienfaisance. C'est qu'il décèle à la fois la puissance et l'intelligence de l'Etre suprême, et la puissance et l'intelligence finies de l'ètre créé à son image; c'est qu'il atteste le privilége que l'homme a seul sur la terre de connaître et de révérer son auteur et les sentimens d'humanité qui l'animent, les plus beaux titres dont il puisse s'enorgueillir.

Telles étaient les réflexions que la vue de la PierreLis m'inspirait, il y a quelques jours, lorsque, fuyant les affaires, je voulus, pour cause d'agrément, revoir les montagnes. Or, je veux dire la description de ce lieu peu connu; j'ose espérer que le lecteur aura le désir de le visiter, pour y puiser des émotions qu'il chercherait vainement ailleurs.

C'était dans le département de l'Aude que je me trouvais. Arrivé dès la veille à Quillan, petite ville industrielle, située sur les bords de l'Aude, et environnée de hautes montagnes, jo me dirigeai vers le midi, remontant par une belle route la rive gauche de l'Aude, laissant à ma droite les forges à fer de M. le maréchal Clausel, alimentées par une prise d'eau qui s'y dirige sous la montagne, à l'aide d'un canal artificiel, et plus loin découvrant sur ma gauche le laminoir de Belvianes. Frappé à l'aspect des forêts recevant les premiers rayons du soleil, et rencontré à chaque pas par de jeunes filles qui transportaient sur des bêtes de somme du minerai, du fer ouvré, du charbon; leurs chants mêlés aux chants des oiseaux, le calme de l'air, le mouvement rapide du fleuve, le bruit des arbres, tout était bien propre à me plonger dans une douce rêverie.

Mais ce n'était que le pérystile du monument. Arrivé au village de Belvianes, je n'avais devant moi que des montagnes abruptes. J'aurais pu me demander par où l'Aude se frayait un passage, par où moi-même je pourrais suivre ses bords. Qu'on se représente une rue étroite et tortueuse de Toulouse, dont les maisons, s'avançant en torchis, comme au moyen-âge, s'élèveraient à une hauteur de plus de deux cents pieds, sur une longueur d'environ une demi-lieue, et l'on aura une idée de la Pierre-Lis. La charpente de la montagne consiste en un calcaire de transition, ou plutôt en un narbre gris homogène, composé de couches superposées, redressées presque perpendiculairement à Thorizon, et concassées par mille endroits, quoique d'une dureté à résister long-temps aux efforts de l'art. Là,

ses parois avancent parfois en angles, et semblent vouloir, par leur chute prochaine, combler le vide qui est au pied; là, ses parois opposées reculent en angles parallèles, offrant dans leurs fentes nombreuses quelques traces de végétation, respectées par le temps et inaccessibles; au-dessus, s'étendent de vastes plateaux couverts de forêts de sapins qui forment le chevelure de ces montagnes. Oh! qu'ils sont imposans ces arbres séculaires qui fuient de toutes parts sur un sol gazonné, et dont le feuillage s'élève si haut sur vos têtes! Oh! que l'impression de ces forêts silencieuses, entourées de nuages stationnaires, et au pied desquelles gronde la foudre, justifie les moeurs des peuples antiques, qui en avaient fait la demeure des dieux !

Après un instant de contemplation, j'entrai dans la gorge, en suivant un chemin admirable. Il y a peu d'années que, pour franchir la montagne, le voyageur était contraint de gravir jusqu'à sa crête, à travers mille dangers, par un sentier à peine tracé. Aujourd'hui, grâces à la bienfaisance d'un humble prêtre, une chaussée hardie a été construite le long de la rivière, soutenue par un fort mur de soutenement, et courant horizontalement sous des arcs de triomphe ou sous des voùtes taillées dans le marbre. Cette route est éminemment utile; elle ouvre une contrée riche par son sol et son industrie, car elle renferme d'immenses. forêts appartenant à l'état ou à des particuliers; elle possède dix forges à fer, deux laminoirs, une fabrique d'acier, une infinité de scieries qui fournissent le fer et le bois aux principales industries du midi; elle jouit des eaux thermales d'Escouloubre et de Carcagnères, qui attirent de nombreux étrangers; et si par les progrès constans des arts, les chemins de fer viennent à se propager, si un jour cette contrée doit être gratifiée d'une innovation aussi utile, la Pierre-Lis offrira une route parfaitement convenable. Il est vrai que le génie militaire a opposé des obstacles à sa confection; il a appréhendé qu'en cas d'hostilités avec la nation voisine, le Midi ne fût exposé à l'invasion. En effet, l'histoire atteste qu'au temps de la puissance de CharlesQuint, deux fois les Espagnols, maîtres du Roussillon, parvinrent jusqu'au village d'Axat, qui fut livré aux flammes, et ne tentèrent pas de franchir la montagne.

Mais les temps sont changés; les frontières sont reculées; le sentiment de notre supériorité repousse des craintes aujourd hui chimériques, et d'ailleurs il serait aisé, dans un pressant danger, de rompre en un iastant la chaussée, et d'arrêter ainsi la marche de l'ennemi.

parée, qu'habite aujourd hui une modeste famille: voilà tout ce que vous avez à observer. Que signifient ces pierres que l'art a amoncelées à côté de ces masses enlassées par la nature? Pourquoi des hommes, fuyant le monde, ont-ils pu se résoudre à vivre ici dans la retraite? Comment a péri cet état de choses? Est-ce qu'au calme de la vertu a succédé l'excès des passions? Est-ce au contraire que de meilleures mœurs ont remplacé les mœurs antiques?

Or, voici ce qu'enseignent des documens.

Au pied et le long de la chaussée, l'Aude précipite ses ondes, qui bondissent contre les aspérités de son lit étroit, et font retentir la montagne du bruit qu'elles causent. Sans doute que ce fleuve, qui plus loin occupe un vaste lit, alimente des canaux, arrose des plaines, et donne le mouvement à tant d'établissemens industriels, gémit ici dans les chaînes, impatient d'étaler sa majesté. On a lieu de se demander comment les eaux ont pu s'ouvrir si profondément un passage à travers un marbre si dur et d'une épaisseur si considérable. Tenaient-elles en dissolution, dans les temps anciens, quelques principes corrosifs? Ont-elles rencontré et élargi une crevasse tellement qu'elles ne se sont point déviées de leur marche directe? Erodentelles insensiblement la montagne? Les phénomènes présens n'étayent point ces hypothèses, mais la science geologique fournit des élémens propres à résoudre la difficulté il est certain que ces roches, aujourd hui si dures, si inattaquables, se sont formées, et ont sé-neurs ou comtes pour faire respecter les frontières; il journé dans les mers; il est certain qu'elles se sont redressées subitement par l'effet d'une grande commotion; or, se trouvant encore imbibées et molles, les eaux du fleuve venant à passer immédiatement, creusèrent sans effort ces profonds sillons.

En visitant ces lieux singuliers, mon esprit porta ses regards sur des objets propres aussi à lui plaire. Quiconque a voyagé a sans doute éprouvé des jouissances à la vue de la végétation qui embellit les montagnes. Pour moi, une plante a toujours attiré mon attention: non point que les parfums qu'elle distille puissent seuls me satisfaire; mais son port, ses organes, le rang qu'elle occupe dans la nature, sa demeure, ses compagnes, tout m'inspire de l'intérêt. Je ne vous parlerai point des menthes, des colchiques d'automne, et de tant d'autres revêtues de leurs fleurs, que je rencontrai à chaque pas, et qui ne laissaient pas de piquer ma curiosité; mais, en pénétrant dans une forêt voisine, une d'elles frappa mes regards. Je désire la faire connaître, sans toutefois employer le langage de la science. De ses feuilles qui tiennent à la racine s'élève une tige semblable à celle de l'hyacinthe, au milieu de la tige une feuille qui l'embrasse, et à son sommet une seule fleur étoilée: jusque-là rien d'extraordinaire. Mais sur chacun des pétales, on a à considérer un organe en forme de main, dont les doigts supportent des globules semblables à des pierres précieuses. Son nom est le Gazon du Parnasse.

A la distance d'une demi-licue, les parois de la gorge s'élargissent en prenant une forme arrondie, présentant comme un cirque d'une grandeur assez considérable, au fond duquel s'étend un vallon rocailleux qui, grâce aux efforts du cultivateur, produit quelques céréales. C'est le vallon de Volcarne. Vers le milieu, sur les bords du chemin et de la rivière, on aperçoit des ruines. Les yeux, fatigués de la vue de ces montagnes sauvages, se reposent avec complaisance sur ces ouvrages délabrés, qui indiquent le passage d'anciens hommes. Bientôt les mâsures d'une église attirent votre attention; des pans de murailles couvert de lierres et de lambrusques, des arceaux à plein cintre, dépendant de l'église ou qui formaient un portique, des murs raz de terre qui vont se perdre dans les champs, une chétive maison, rajustée à ces débris et récemment ré

Au temps où Charlemagne fesait retentir le monde de sa gloire, cette contrée était en proie à la désolation. Le paganisme avait poussé de trop profondes racines pour être facilement extirpé, et le fer et le feu des Sarrasins venaient de passer. Ce grand conquérant, après avoir reculé les bornes de son empire jusqu'aux bords de l'Ebre, voulut civiliser le pays qui avait applaudi à ses victoires : il y établit des gouver

y députa des sujets éclairés pour faire régner la justice; il y répandit des ministres de Dieu pour faire aimer la religion chrétienne. Ce fut alors que s'élevèrent de toutes parts des abbayes, composées de religieux qui, s'oubliant eux-mêmes, aimaient Dieu et les hommes, et portaient ceux-ci, par leur exemple, au travail et à la vertu. Telle est l'origine de l'abbaye de Saint-Martin-de-Lis ou de Lez. Là, de pieux cénobites, chargés de moraliser les habitans des montagnes, adressaient de constantes prières au ciel pour le succès de leur entreprise; là, ils cultivaient dans un terrain ingrat des racines pour se substanter ou pour accorder les secours de l'hospitalité; là, enfin, au fond de ces roches, ensevelis aux yeux du monde, ils creusaient tous les jours leurs tombeaux pour s'ensevelir bientôt aux yeux de la nature.

L'abbayo de Saint-Martin-de-Lez, de l'ordre de Saint-Benoit, fut très florissante pendant le cours des neuvième et dixième siècles. Basile la gouvernait au temps où Charles-le-Simple était roi des Français, et la trentième année du règne de ce prince. Arnaud lui succéda. Sous le règne de Lothaire, Séguier, et après lui Raoul, en étaient les abbés. Ce fut en 955 que le pape Agapet donna à ce monastère, pour l'honneur et la gloire de Dieu, et afin de faciliter les religieux à payer une redevance de dix sous d'argent onze deniers, les églises de Sainte-Marie au lieu de Corronulle, de Saint-Etienne au lieu de Bolorde, de Saint-Jean au lieu de Combrette, et de Saint-Pierre au lieu de Petralate, avec les terres, vignes, forêts et moulins en dépendant, et de plus les lieux de Bux, de Pelrus, de Cassange, de Barose, d'Adesate et d'Attosol, avec ce qui en dépendait, situés dans les comtés de Fenouillèdes, de Rasez et de Roussillon.

Mais bientôt la possession de ces biens considérables excita l'avidité des hommes puissans de la contrée. Vainement, vers la fin de ce siècle, le bruit se répandit que le monde allait finir: des seigneurs, ne tenant aucun compte de la vie future, envahirent les biens ecclésiastiques, s'érigèrent eux-mêmes en abbés, pour jouir des droits utiles qui leur étaient attachés, et vendirent les diguités à des hommes incapables, vicieux, mais riches, qui vivaient dans le luxe et la débauche. Tel était le désordre qui régnait dans l'abbaye de Saint

« PrécédentContinuer »