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gies de cire jaune dont on avait fait cadeau à l'usurier. Ne trouvant pas à les vendre à un assez bon prix, il les laissait en attendant sur sa cheminée, qu'elles ornaient sans jamais l'éclairer. Solinquet dans un instant aussi décisif, n'hésita pas à se servir de ces bougies. M. Rapiamus soupira lorsque son perfide valet alluma le premier flambeau, qui lui était tombé sous la main; mais quand il le vit saisir l'autre bougie, et que deux flammes éclatantes brillèrent à ses yeux mourans, le malheureux ne résista plus à la douleur de voir ce qu'il avait le plus redouté pendant sa vie, c'est-à-dire brûler la chandelle par les deux bouts. Il ferma les yeux à cette lumière importune, poussa un grand soupir, et mourut.

maitre.

A ce soupir extrême, Solinquet se tourna vers son Avez-vous fini, lui dit-il froidement? c'est bien heureux. Le misérable allait se précipiter sur les clefs du coffre-fort, quand arriva le père Cabassol, qui espérait ramener le vieil avare à de meilleurs sentimens. Vous arrivez trop tard, M. l'abbé, dit Solinquet, il vient d'expirer, et le Diable vient d'emporter son Le père Cabassol vivement affligé, imposa silence au domestique, et lui fit observer gravement qu'il ne fallait point sonder les jugemens de Dieu;

ame.

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que M. Rapiamus avait pu se repentir à ses derniers momens. Solinquet allait toujours et continuait le panégyrique de son maître. Il est damné, M. l'abbé, ou Dieu n'est pas juste. Comment voulez-vous que Dieu sauve un homme que j'ai servi pendant six ans, sans qu'il m'ait donné un denier pour mes gages. Un homme qui me nourrissait mal et me fesait porter ses vieux habits, quand ils ne pouvaient plus lui servir. Vous le voyez, M. l'abbé, je suis d'une maigreur qui outrage la nature, et d'une tenue qui insulte l'honnêteté.

Solinquet avait son but, en soutenant que M. Rapiamus était damné: il voulait empêcher le père Cabassol de passer la nuit près du corps, à prier pour le défunt comme c'était l'usage. Mais le prêtre, qui ne connaissait que son devoir, se mit à genoux au coin du feu et récita son bréviaire. Solinquet s'assit en face de lui, et se promit d'accomplir ses projets quand l'abbé se serait endormi; ce qui ne pouvait tarder fort longtemps.

Comme il l'avait prévu, le père Cabassol, qui s'était assis après avoir récité son office, s'endormit profondément. Solinquet, qui feignait de dormir, et de temps en temps observait l'abbé, attendit que la nuit fut plus

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avancée, pour procéder avec plus de sécurité à l'ouverture des tiroirs et des armoires. Aussitôt que minuit sonnera, se dit-il, j'irai fermer notre porte, et je me plongerai dans l'or. Il finissait à peine de parler que minuit sonna. Il y a quelque chose de solennel dans ces sons égaux qui, à de longs intervalles, viennent frapper douze fois l'oreille au milieu du silence de la nuit Quoique Solinquet eût une ame vulgaire fort insensible à la poésie, c'était un pauvre esprit que la superstition avait atteint, et qui se recueillit un moment quant il se souvint que cette heure était celle des apparitions et des fantômes: D'ailleurs la présence d'un cadavre donnait encore plus de puissance à ces sortes de pensées.

La vue dn père Cabassol lui rendit tout son courage, et la cupidité domptant la peine, il commença ses manœuvres. Mais voilà qu'au moment où il ouvrait les yeux et retirait la jambe pour se mettre sur son séan, il entendit du côté de la porte comme un bruit de chaînes, qui le fit frémir. Il n'eut plus la force de se lever, et resta sur son siège. Il voulut appeler le père Cabassol et ce fut en vain: sa langue resta glacée. Cependant le bruit approchait, et Solinquet, tremblant de tous ses membres, vit apparaître au fond de la salle le Diable en personne, qui venait apparemment chercher le détunt et s'emparer de son corps. Immobile, et les yeux démesurément ouverts par l'effroi, Solinquet observait le Diable, et tremblait d'être emporté vivant avec son

maître.

Le Diable entra sans faire beaucoup de façons, s'approcha de M. Rapiamus, et fit une exclamation pleine de pitié en voyant qu'il était mort. Solinquet ne comprenait rien à l'étonnement du diable et le trouvait assez bon homme. Si Satan s'était tenu à distance, il aurait pu peut-être se faire à sa présence, et supporter son aspect; mais le Diable s'étant approché du feu comme pour se chauffer, Solinquet, qui vit distinctement ses griffes et ses cornes tomba la face contre terre, et pria le roi des ténèbres de ne pas l'enlever.

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Je vous en pire, Monseigneur, lui disait-il, faites-moi grace; considérez que je n'ai rien de commun avec cet usurier qui vient de tomber en votre puissance. Ernest de Sainte-Foi car c'était lui qui venait d'entrer, trouvant la porte ouverte, et voulant se garantir du froid de la nuit qui l'avait saisi, Ernest de Sainte-Foi se souvint alors du costume sous lequel il s'était déguisé. En voyant l'effroi de Solinquet, il comprit aussitôt le parti qu'il pouvait retirer de son effroi. Le bruit courait dans le quartier que M. Rapiamus avait fait testament en faveur de son valet; et n'avait rien laissé à des parens qui étaient dignes cependant de son affection. Ernest ne connaissait pas ces parens pauvres que Rapiamus avait frustrés, au dire des voisins, de la part qui leur revenait dans son héritage; mais il détestait cordialement Solinquet, et saisit l'occasion de faire un acte de justice. Il grossit sa voix, et frappant avec force sur l'épaule de Solinquet, il lui ordonna de se lever; de déposer sur la table tous les papiers du défunt: le Diable voulait reprendre l'original du pacte qu'ils avaient fait ensemble autrefois.

Solinquet obéit sans répliquer : il alla s'emparer des clefs qui étaient sous le cadavre de M. Rapiamus, ou

vrit le tiroir où l'avare serrait ses papiers, et déposa plusieurs liasses poudreuses sur la table. S'il eût considéré avec attention le Diable qui lui donnait des ordres, cet imbécile Solinquet eût reconnu sans peine la supercherie dont il était la dupe; mais la crainte qui lui serrait le cœur, l'empêchait de regarder le Diable en face; il obéissait en silence et détournait la tête. Quand les ordres de Satan furent exécutés, Solinquet demanda la permission de sortir et il l'obtint.

Ernest s'assit devant la table et parcourut rapidement tous les papiers qui lui tombèrent sous la main. Il brûla plusieurs des obligations qu'il avait consenties au profit du juif, jusqu'à concurrence des sommes que M. Rapiamus lui avait volées. Le testament du défunt en faveur de Solinquet fut aussi détruit sans pitié. Pendant que le Chevalier accomplissait ainsi, sans aucun scrupule, ces actes de haute justice, le père Cabassol se réveilla du profond sommeil où il était plongé. Le jour allait bientôt paraître. A la vue d'Ernest, qui n'avait point quitté son costume, le prêtre ne fut pas épouvanté. Qui êtes-vous, dit-il froidement? Que signifie cette phantasmagorie? Ernest alors ôta son masque et lui raconta ce qui venait de se passer, et ce qu'il avait fait; puis il ajouta : C'est une bonne action, n'est-ce pas? J'ai eu beaucoup à faire pour réparer les chagrins que je causai hier à cette fille si sage et si jolie, que nous avons enlevée. Ah! père Cabassol, Dieu m'a bien puni. J'aime cette jeune fille; j'aime Denise avec passion; je mourrai si je ne peux lui donner ma main. Un moment, interrompit le prêtre, on ne meurt pas ainsi, et je me charge d'arranger cette affaire, si vous étes raisonnable et si vous vous abandonnez à mes conseils. Ernest jura d'être soumis comme un enfant, et le père Cabassol le fit asseoir près de lui au coin du feu pour lui développer son projet. Il commençait d'entrer en matière quand Solinquet entra suivi de deux femmes; c'était Denise et sa mère qu'il était allé chercher.

Le père Cabassol conduisit dans une chambre voisine la mère et la fille, et le Chevalier de Sainte-Foi qui avait laissé tomber ses chaînes, arraché ses cornes et jetté son masque en voyant Denise. Le domestique stupéfait resta près du mort à refléchir sur les tristes effets de la peur. Pendant ce temps le père Cabassol expliqua la conduite d'Ernest, et la justifia autant qu'il lui fut possible. Ses paroles étaient d'un grand poids auprès de la mère à qui le saint homme avait rendu sa fille, et le Chevalier cessa d'être un monstre à ses yeux. Mais quand elle apprit que, sans la connaître et par esprit de justice, il venait de brûler le testament qui lui enlevait la succession de son frère, quand Denise sut qu'Ernest de Sainte-Foi l'aimait et voulait l'épouser avant de connaître sa nouvelle fortune, la jeune fille rougit, et la mère se prit à pleurer. Le Chevalier tomba tout-à-coup aux genoux de la jeune fille. «< Ordonnez de mon sort, lui dit-il? Que me conseillez-vous, Monsieur l'abbé, ajouta Denise? » Celui-ci répondit en mettant sa main dans la main d'Ernest : Au nom du Ciel, mon enfant, je vous conseille de vous donner au Diable, vous ne sauriez mieux faire. Denise suivit le conseil.

1. LATOUR, (de St.-Ybars.)

JEAN-FRANÇOIS DUCLOS.

Jean-François Duclos, né à Toulouse en 1705, fit ses études avec distinction au collége des jésuites de cette ville. Il fut reçu avocat au parlement en 1722, et honora toujours par sa conduite la noble profession qu'il avait embrassée. Il fut membre de l'Académie des Jeux Floraux en 1737, de celle des Sciences en 1751, et il avait été correspondant de l'Académie de Montauban dès 1744. Il avait en 1730 remporté le prix du discours sur ce sujet : Le vice même est forcé de rendre hommage à la vertu. Il débuta ainsi : « Le vice a » usurpé l'empire de la vertu c'est une vérité dure » qu'on ne peut se dérober, mais il ne l'a pas entière>>ment détruite : elle exerce encore un reste de droit » sur l'homme. A l'innocence a succédé la honte; et la » vertu, chassée du cœur, trouve un dernier asile sur >> le front qu'une fausse pudeur anime et colore malgré >> lui. » Je ne dois pas oublier cette belle maxime qui sert d'épigraphe à ce discours: La vertu fait des héros, le vice fait des esclaves.

Le 3 mai 1738, il eut à faire l'éloge de Clémence Isaure, qui fut remarqué. J'en citerai ce passage sur Toulouse: « Nous portâmes à notre tour dans l'en>> ceinte de cette ville superbe, le premier goût des » beaux arts.... On vit.... les Pétrone jouir de l'ami>>tié de leurs souverains et de l'estime publique, comme » en avaient joui les Virgile et les Horace. Toulouse » après avoir donné naissance à Antonius Primus, eut » encore le plaisir de le posséder dans sa retraite, non >>> moins grand dans ce loisir studieux, par l'éclat de >> son commerce littéraire avec Martial, qu'à la tête » des légions, lorsqu'il disposait du sort de l'empire. » Le premier dimanche de 1742, il prononça un discours éloquent, intitulé Sémonce, suivant l'antique usage de l'Académie des Jeux Floraux. Il disait : « Sans l'étude » des règles, sans les connaissances acquises, l'ima>> gination des poètes n'enfantera que des chimères el >> des monstres; ils iront se briser contre tous les écueils. » La lumière, l'éclat qui accompagnent leurs vers, ne >> serviront qu'à éclairer leurs naufrages. » — - Passant ensuite aux orateurs, il demande : « Pourquoi les ou» vrages d'Homère ne sauraient-ils être trop dans les >> mains de ceux qui aspirent à la véritable éloquence? >> - C'est que l'étude des poètes sert à l'orateur, en >> l'accoutumant à penser d'une manière noble et su» blime, en nous apprenant à peindre les objets avec >> des couleurs plus vives, en donnant au style, plus » d'abondance, plus de force, plus de variété et plus >> d'harmonie. » Aussi fait-il cette remarque ingénieuse, piquante, j'ai presque dit épigrammatique : « Platon »ne bannit les poètes de sa république, qu'après avoir » inutilement tenté de suivre Homère dans la carrière. » Le même orgueil, sans doute, a entrepris, de nos » jours, d'arracher, ou du moins d'ébranler ces bornes « éternelles, posées par la nature. »

Dans la même année 1742, M. Duclos traduisit la belle Oraison de Cicéron pour le poète Archias; oraison sublime, plaidoyer éloquent en faveur des lettres et d'un

écrivain à qui la jalousie et l'envie voulaient faire refuser le titre de citoyen romain. Ce ne fut pas là son seul tribut académique; on lui doit encore cinq Elégies de Tibulle, l'épisode d'Aristée, du quatrième livre des Géorgiques, la sixième Satire du premier livre d'Horace, traduits en vers français et une Ode sur l'Enthousiasme.

Il présenta à l'Académie des Sciences une dissertation sur la Sainte-Ampoule, une autre sur les Jeux Floraux de l'ancienne Rome, une Vie de Mécénas, une Histoire de la parure et des ornemens des femmes, ainsi que d'autres opuscules remplis de recherches curieuses et de judicieuses critiques.

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1

Il lut encore dans l'Académie des Sciences, le Panégyrique de Louis XV, qu'il avait déja prononcé dans l'autre académie le 9 janvier 1746, pour se conformer à la mission qu'elle lui avait confiée. Il faut remarquer qu'à cette époque le roi avait été dangereusemnt malade, et surnommé par son peuple Louis-le-Bien-aimé; il l'était, en effet le grand scandale de ses maîtresses n'avait pas encore eu lieu, et il avait, l'année précédente, remporté, contre les Anglais, ces éternels ennemis de la France, la célèbre bataille de Fontenoy; souvenirs utiles à rappeler, pour qu'on n'accuse point de flatterie un éloge qui n'était alors que le langage de la vérité. Le sujet était noble et immense; pour le traiter dignement et parler de tant de gloire, il aurait fallu être initié aux mystères des Muses, « parce qu'il n'appartient, dit l'orateur, qu'à ceux qui fréquentent le Parnasse de raconter les actions brillantes des héros; » et il ajoute avec une extrême modestie : « Pour moi qui n'en connaîs presque >> pas les routes, m'étant consacré de bonne heure au >> culte de Thémis, pour répondre à l'honneur d'un >> choix qui me rend l'interprète de la reconnaissance » d'une de vos plus belles provinces, je n'ai consulté »> ni mon génie, ni les règles: mes sentimens ont été >> mes seuls maîtres; tendres, viss, animés, ils n'ont » pu se plier à la contrainte de l'art. Je me suis con>> tenté de tracer ce que l'histoire peindra un jour; la >> France s'ennoblissant de vos vertus, s'illustrant par » vos exploits, s'agrandissant de vos conquêtes, s'ap>> plaudissant de son bonheur. » Il invite les poètes à dresser des trophées à ses vertus : « Votre silence ne » serait-il pas honteux au milieu des acclamations pu>>bliques? Entendez ses ennemis dont il est la ter» reur, ses alliés dont il fait la confiance, les héritiers » légitimes des trônes dont il est le protecteur, la France dont il fait les délices, ses conseils dont il est » l'ami, ses armées dont il est le conducteur, la force » et le bouclier; écoutez l'Europe entière qui l'ad>> mire. Non seulement il triomphe par ses ar >> mes; il est encore législateur. Je le vois ensuite, par, » de sages réglemens, terminer ces contestations bizar>> res où les plaideurs s'épuisent pour s'assurer des » juges; donner des lois immuables aux actes les plus >> importans de la société, et aux jugemens, ce carac» tère d'uniformité qui distingue la raison: ranimer

>>

>> l'ardeur des licitations, et veiller par là sur les tris» tes débris de la fortune d'un débiteur malheureux; >> imposer des règles certaines à ces procédures har» dies qui attaquent la substance même des contrats; >> assurer l'état des citoyens, en prévenant le silence >> ou l'obscurité des registres publics...... Un prince » qui s'acquitte ainsi de toute l'étendue des devoirs de » la justice envers ses ennemis même, ne pourrait » manquer à la reconnaissance; c'est une obligation » que le cœur dicte aux ames généreuses au milieu >> du silence des lois. Récompenser les services, hono>> rer le zèle, couronner la vertu est une dette du » trône même. Plus les Rois sont puissans, plus ils » doivent au dévoûment de leurs sujets. Comme la for>> tune ne leur accorde pas de plus précieux avantages » que de pouvoir faire du bien, la nature ne leur ins» pire pas de sentimens plus honorables que de le vouloir. » On aimera cette peinture touchante et naïve d'un bon Roi, toujours bonne à rappeler. J'ajouterai encore un autre passage, sur une guerre meurtrière que l'Angleterre nous avait suscitée: « déja les ordres » de Louis sont portés sur nos côtes par un sage élève » de Minerve cet industrieux génie, libre des fers » qui l'avaient retenu captif, prend l'essor, et notre » marine ranimée se relève de ses anciennes pertes. >> Dans un instant, nos forêts gémissent sous le fer, >> nos chantiers se couvrent, nos arsenaux se peuplent, » nos ports arment, et nos vaisseaux faisant respecter » le pavillon français sur toutes les mers, peuvent dis»puter l'Empire à leurs anciens dominateurs. »

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J'ignore si un Traité du Sublime, lu dans les séances particulières des mêmes académies, a jamais été imprimé. Le manuscrit de cet ouvrage est tombé entre mes mains, ce qui me permet d'en faire connaître rapidement la substance.

Cécilius avait composé un Traité sur cette matière dans lequel, trop occupé du soin de bien faire entendre son sujet, il épuisa ses forces à définir le sublime, sans enseigner à ses lecteurs les moyens propres à y parvenir. Cet écrit est perdu. Longin vint ensuite et il suivit une autre route. L'auteur l'en félicite. Ce qui ne l'empêche pas d'attaquer toutefois, avec autant de décence que de retenue, cette définition de Longin, que Despréaux, par déférence, a trop respectée, dit-il, et qui fait consister le sublime dans l'arrangement des paroles, qui par leur magnificence et leur dignité renferment toutes les espèces de sublime, puisque le sublime provient d'une certaine élévation d'esprit qui nous fait penser heureusement les choses. L'auteur ne trouve pas cette analyse assez claire, assez complette et même il en conteste une partie. Après avoir suffisamment développé ses raisons, il réfute Boileau qui par complaisance n'a pas osé contredire Longin. Tout en convenant de la solidité dans la vue, et de la sagacité dans l'esprit de ce grand poète, il le blâme d'avoir divisé cette qualité en sublime parfait et en sublime imparfart. M. Duclos fait observer combien cette division est erronnée, puisqu'il ne peut en exister que d'un seul genre; le sublime imparfait n'étant pas un vrai sublime, ne pouvait pas être compté. Il pense encore que cette définition de Despréaux couvient davantage au merveilleux qu'au sublime.

Vient ensuite le tour de Lamothe Houdard, bel-esprit

| philosophe qui avait restreint le sublime dans cette phrase: le sublime n'est autre chose que le vrai et le nouveau, réunis dans une grande idée exprimée avec élégance et précision. — N'en déplaise à cet auteur judicieux et naturellement rempli de justesse, ces mots sont bien vagues; aussi j'applaudis aux heureuses expressions de M. Duclos, que voici la seule grandeur des idées ne suffit pas, si elle ne se joint à la grandeur des sentimens. En effet, le sublime est toujours grand, tandis que tout ce qui est grand n'est pas toujours sublime. Enfin après ces diverses remarques critiques, hasardant lui-même une nouvelle définition, il se borne à dire, que toute l'essence, la magie, le mystère du sublime consiste en un sentiment noble, hardi et inattendu exprimé avec précision. - Ce sont, par exemple, le Moi de la tragédie de Médée, le Qu'il mourút d'Horace, dans les tragédies de P. Corneille. Ces mots n'offrent aucune élégance; Cependant ils sont sublimes, de pensée, de situation et d'expression.

ans.

Le 3 novembre 1751, il s'était marié avec une demoiselle de Toulouse qu'il aimait. Il aurait fait son bonheur et il lui aurait dù le sien; mais la mort inexorable, qui brise souvent sans pitié les plus tendres liens, l'enleva le 4 juin 1752, âgé seulement de 48 Peu de jours après, et le 17 du même mois, disparut de Toulouse dans la 42° année de son age, Mme de Montégut, qui estimait ses talens et son caractère. L'Académie des Jeux Floraux eut à déplorer à la fois cette double perte! - M. Duclos, dit M. le président de Caulet, aimant beaucoup l'étude, avait acquis un grand nombre de livres, qui ne furent point chez lui un ornement frivole et superflu. Il sut en effet en tirer un grand parti, et il est à regretter qu'on n'ait pas publié le recueil des ouvrages variés, agréables et instructifs, échappés à sa plume facile. Le Conservateur ou Choix de morceaux rares et d'ouvrages anciens, en 38 vol. in 12 (de 1756 à 1763), publié par Bruix, Turben el Le Blanc, contient plusieurs jolies pièces do vers de J.-Fr. Duclos, qu'il ne faut pas confondre avec l'historiographe, auteur des Considérations sur les mœurs de ce siècle ; des Confessions du comte de ***; de la Baronne de Lus; d'Acajou, de l'Histoire de Louis XI, etc., etc., lequel n'a jamais fait de vers, et qui disait même aussi ridiculement qu'orgueilleusement, de quelque pièce de poésie, quand par hasard elle plaisait à son goût morose et difficile: Cela est beau comme de la prose (1). - Les rédacteurs de ce

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et trop spirituels pour ne pas mériter d'être conservés. Adrien LE Roux,

Conservateur, recueil très curieux et très rare, se hâtèrent de publier quelques uns des ingénieux opuscules de Duclos, les trouvant trop agréables, Auteur des Voyages (prose et vers) dans la banlicue de Paris.

HISTOIRE DE DEUTÉRIE, DAME ROMAINE.

533.

Thierry, roi d'Austrasie, songeait depuis long-temps à reprendre le pays que les armes de Théodoric et des Visigots lui avaient enlevé dans le midi de la Gaule. Trop faible pour entreprendre seul une expédition aussi importante, il cherche à mettre le roi de Soissons Clotaire, son frère, dans le projet de cette conquête. Deux armées frankes, Neustriens et Austrasiens, devaient envahir le royaume des Visigots et expulser cette nation du territoire où elle s'était établie. Le roi de Metz avait embrassé cette pensée avec une ardeur extraordinaire, et le zèle qu'il déploya dans les préparatifs de guerre témoignait de l'énergie de sa haine contre les Visigots, et de son désir d'étendre la domination germanique sur tout le sol de la Gaule.

Clotaire, tout en rassemblant des troupes, laissa percer quelques signes de refroidissement pour ce projet: l'ambition et l'enthousiasme militaire de Thierry lui inspiraient une vive défiance. Rien n'était plus profondément soupçonneux et facile à l'ombrage que le caractère barbare, en politique surtout. La ruse des Franks était fameuse parmi toutes les nations, et quand il s'agissait de quelque combinaison politique, cette ruse s'élevait promptement à la hauteur des conceptions les plus raffinées.

Pourtant, Clotaire ne rétracta point sa promesse. L'armée Neustrienne se trouva bientôt en état de marcher vers le midi. Celle des Austrasiens était prête aussi, et avait à sa tête un jeune prince ardent, courageux, passionné pour la guerre, et qui, un des premiers, révéla ce penchant de la race mérovingienne vers la volupté et le désordre des mœurs. C'était Théodebert, le fils de Thierry.

Théodebert et Gonthier se dirigèrent par des routes différentes vers le Rouergue, par où l'on avait résolu d'entamer le royaume des Visigots sur lesquels régnait alors Theudis. Les deux armées opérèrent leur réunion sous les murs de Rhodez; mais à peine avaient-elles commencé sérieusement les travaux du siége, que Gonthier recevait déja un courrier avec des lettres du roi de Soissons. Clotaire se repentait d'avoir fourni des soldats et des approvisionnemens pour la campagne contre le roi visigoth. Il existait entre les fils de Clovis une jalousie active et animée; ils redoutaient que l'un d'entre eux n'acquit une prépondérance qui devait les asservir à la fortune du plus ambitieux ou du plus hardi.

Les premières inquiétudes que Clotaire avait ressenties au sujet de l'expédition dans laquelle Thierry l'avait entraîné, augmentèrent au point de se convertir en une terreur véritable. La conquête du midi de la Gaule lui apparut comme le point de départ de l'agrandissement des Franks Austrasiens déja plus puissans, plus belliqueux que les Neustriens. Pour traverser les progrès que faisait la domination de Thierry, Clotaire envoya en toute hâte des ordres à Gonthier pour revenir dans son royaume et ramener ses troupes. Gonthier fit aussitôt sa retraite avec les vieilles bandes germaniques de la Neustrie, et le jeune Théodebert resta seul chargé de l'entreprise importante pour laquelle les deux rois s'étaient associés.

Nous ne nous arrêterons point aux conquêtes qui signalerent cette singulière et aventureuse campagne. La bravoure et le génie militaire du jeune chef frank furent couronnés de succès rapides et répétés. Rhodez se rendit à lui au moyen des intelligences secrètes qu'il avait su se ménager avec la partie catholique de la population qui détestait le joug des rois Visigoths, entachés de l'hérésie arienne. La chute de la capitale de la province décida la soumission de tout le Rouergue. De faibles garnisons furent laissées dans le pays repris qui n'avait pas la volonté de s'insurger, et qui ne pouvait recevoir aucun secours du roi Theudis, surpris à l'improviste, et d'ailleurs peu en état de mettre sur pied des forces militaires imposantes. Du Rouergue, Théodebert descendit dans la Septimanie, s'empara de la ville de Lodève sans coup férir, et réduisit à l'obéissance de Thierry tout le diocèse de cette ville. Continuant toujours sa marche, il se présenta devant un château du diocèse de Béziers, appelé Dio ou Déas; la forteresse menaçait de se défendre et d'arrêter l'impatient Théodebert; aussitôt il ordonne l'assaut, se rend maître du fort et le livre au plus horrible pillage.

Cette courte introduction historique était indispensable pour donner un cadre au récit des aventures d'une dame gallo-romaine, du nom de Deutérie, que quelques historiens veulent regarder comme ayant appartenu à l'illustre famille des Ferréols.

I.

Après la prise de Déas, l'armée austrasienne éta t

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