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« Les protestans, dit un annaliste contemporain, y firent des dégâts affreux, pillèrent et brûlèrent les églises de Saint-Pierre, des Jacobins, de Saint-Etienne, et détruisirent les archives de Saint-Vincent. Ils massacrèrent les prêtres et les bourgeois catholiques; ils précipitèrent du haut du clocher des Jacobins le prieur et un frère de cet ordre. Le père Bossu, gardien des Cordeliers, fut conduit dans les rues, la corde au cou; arrivé à la porte de Saint-Antoine, on lui coupa l'oreille droite; arrivé à celle de la Barre, on lui coupa la gauche. Conduit sur la place au prévôt, on lui coupa le nez. Mené devant le couvent des Cordeliers, on lui coupa les doigts. Arrivé à l'entrée du pont, on fit un grand fen, on lui attacha une corde à chaque poignet, on le

MOSAIQUE DU MIDI. I Annie.

fit passer plusieurs fois à travers les flammes et le brasier. Succombant enfin à tant de souffrances, il fut traîné au milieu du pont, on lui coupa les parties viriles, et on le jeta du haut du pont dans la Saône. L'eau porta son corps sur la rive gauche du côté de SaintLaurent, un de ses bourreaux y courut, et voyant qu'il respirait encore, lui donna un coup de pertuisanne et le repoussa dans la rivière. Les catholiques, lorsqu'ils redevenaient maîtres de la ville, usaient de représailles envers les protestans; on vit plusieurs fois Guillaume de Saint-Point, gouverneur de Mâcon pour le roi, se donner le plaisir cruel de faire sauter les protestans du pont dans la rivière: il y fesait précipipiter ceux qui se refusaient à faire le saut de bonne

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grace, on appelait ces horreurs: les farces du sire de Saint-Point.

En 1567, la ville de Mâcon fut reprise par les protestans; ce siége est un des plus remarquables pendant les guerres de religion. Les habitans, après neuf jours de tranchée ouverte, craignant un assaut général, demandèrent à capituler. Leur envoyé trouva le duc de Nevers, chef des catholiques, délibérant dans sa tente avec les principaux officiers.

Un huguenot demande à parler à monseigneur le duc de Nevers, dit une des sentinelles qui veillait à la porte.

-Qu'il entre, répondit le duc. Que veux-tu de nous? jouta-t-il, en jetant un regard de colère sur le messager mâconnais.

Monseigneur, la ville demande à capituler.

Ni grace, ni quartier, pour les parpaillots, s'écrient les catholiques; qu'ils soient tous passés au fil de l'épée.

Le duc de Nevers avait à craindre le désespoir d'une population nombreuse; aussi opinait-il pour la capitulation; il eut beaucoup de peine à obtenir le consentement de ses capitaines qui signèrent, en murmurant, les conditions suivantes :

« La garnison de Mâcon commencera par déposer >> les armes; les soldats et les habitans se retireront » où bon leur semblera: il leur est permis d'emporter » leurs effets; les protestans seront obligés de payer » une somme de trente mille écus. »>

Le lendemain les clauses du traité furent remplies, et les huguenots sortirent de la ville.

Jusqu'à la révolution de 1789, Mâcon suivit tranquillement la grande impulsion des destinées françaises; cependant une certaine fermentation régnait parmi ses habitans on y parlait hardiment de changement politique, de liberté, et en 89, les mâconnais embrassèrent avec enthousiasme le parti révolutionnaire. On y comptait alors douze églises qui furent toutes démolies. La Convention Nationale, pour témoigner aux Mâconnais sa vive sympathie, choisit leur ville pour chef-lieu du département de Saône-et-Loire.

A l'époque du sacre de Napoléon, dit l'auteur d'une statistique de Saône-et-Loire, il n'existait pas une seule église à Mâcon. Lors du passage du souverain pontife dans cette ville, on fut obligé d'improviser une chapelle dans ses appartemens. L'empereur, pour se concilier les suffrages des Mâconnais qui l'avaient brûlé en effigie, leur accorda ce qui restait de biens nationaux non vendus dans le département, à condition que le produit serait consacré à la construction d'un édifice religieux c'est à cette décision que la ville est redevable de la belle église qu'on y admire aujourd'hui. Elle fut commencée en 1810 et consacrée en 1816.

On y a découvert à diverses époques de magnifiques débris d'antiquités romaines. En 1758, lorsqu'on creusa les fondemens du grand hospice; on déterra des vases, des statues de bronze et d'argent, et divers autres objets précieux qui attestent que dans cet em

placement, il exista antrefois un temple romain d'une grande magnificence. En 1810, on trouva aussi dans les fouilles de l'église Saint-Vincent, deux pierres avec des inscriptions romaines; l'une est le fragment d'un autel élevé à Jupiler-Tonnant et à Auguste par Diorattus. L'autre est une pièce sépulchrale portant une inscription en l'honneur de Sulpicius-Gallus, fils de Marcus, flamine d'Auguste que ses vertus firent élever aux plus grands honneurs. Des monnaies romaines y furent aussi trouvées, ainsi que plusieurs colonnes de diverses grosseurs et d'une espèce de granit qu'on ne rencontre pas dans les carrières du pays.

La ville moderne est loin d'égaler la magnificence de la cité romaine; scs constructions sont irrégulières, ses rues très étroites, les places petites et sans ornement. L'emplacement des anciens remparts est occupé par d'agréables promenades d'où l'on jouit du gracieux panorama de la campagne qui avoisine la ville. Le quai qui longe le cours de la Saône est large et bordé de jolies maisons. Un pont de douze arches au-dessus duquel la rivière forme une île d'un aspect enchanteur, réunit Mâcon au bourg de Saint-Laurent qui appartient au département de l'Ain. Au milieu, est une colonne qui limite les deux départemens. La tradition populaire dit que ce pont fut construit par César; mais cette assertion est fausse; il est prouvé que le pont de Mâcon n'existait pas au commencement du xe siècle; tout porte à croire qu'il fut bâti par Othon, comte de Mâcon et d'Auxonne, ou par Geoffroy son fils (1).

Les principales villes du département de Saône-etLoire ont joué un trop grand rôle dans les annales françaises pour que leur histoire ne soit point palpitante d'intérêt. Il faudrait de nombreux volumes pour relater les innombrables événemens dont elles ont été le théâtre; un semblable travail ne peut entrer dans le cadre de notre publication; nous nous sommes contentés d'esquisser les faits, et de tracer rapidement la physionomie méridionale de nos belles cités. La Bourgogne est un des plus riches pays de France; elle a donné dans tous les siècles de grands hommes à la patrie les villages de Milly et de Saint-Point ont entendu les premiers accens de Lamartine, qui tient le premier rang parmi les poètes de la nouvelle école; Mâcon se glorifie à juste titre d'avoir donné le jour à l'auteur des harmonies et des méditations.

Léon MOUNIÉ.

(1) Les principaux édifices de Mâcon sont : l'hôpital, commencé en 1758, et achevé en 1770, sur les plans du célèbre Soufflot; la maison de charité, dont l'établissement date de 1680; l'hôtel-de-ville, qui appartenait avant la révolution au comte de Montrevel, et qui contient une salle de spectacle et la bibliothèque publique; l'hôtel de la préfecture, bâti en 1618, par Gaspard Dinet, évêque de Mâcon, sur l'emplacement de l'ancienne citadelle, et qui était avant la révolution la résidence de l'évêque; la cathédrale et plusieurs autres églises, surmontées de flêches, de tours, de dômes qui donnent à la ville un aspect très pittoresque.

(Guide du voyageur.)

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Le caractère tolérant et l'esprit sceptique de Bayle sembleraient avoir dù écarter de son existence les troubles et les persécutions dont elle a été remplie. Sa nature l'entraînait plutôt vers la science pacifique et désintéressée que vers les luttes de la dialectique et de la théologie, ce qui ne l'empêcha pas de devenir un argumentateur formidable. La vie de Bayle n'est pas une de ces vies aventureuses et bizarres que l'histoire littéraire aime à développer avec une prédilection particulière, parce que la figure des écrivains se relausse par l'éclat et l'étrangeté du cadre où elle se meut; c'est une vie simple au fond, uniforme, laborieuse, digne d'un philosophe, mais où éclate de temps en temps un violent orage qui la bouleverse, où grondent souvent pendant des années entières les voix exaltées et aigries de la dispute philosophique et de la controverse religieuse.

Malgré ces agitations, la biographie de Bayle ne supporte pas une étendue considérable. Voltaire disait qu'elle ne devait pas contenir six pages.

Pierre Bayle naquit au bourg du Carlat, dans le comté de Foix, le 18 novembre 1647. Son père y exerçait les fonctions de ministre de la religion réformée et était lui-même, dit-on, un savant homme, Les ressources d'éducation qui existaient, il y a deux siècles, au Carlat, étaient extrêmement bornées; et comme le jeune Bayle avait donné dès l'âge le plus tendre des preuves d'une mémoire extraordinaire et d'une singulière vivacité d'esprit, son père entreprit de diriger lui-même ses études et de cultiver des penchants déja fortement dessinés vers les matières historiques et philosophiques. Mais les soins multipliés du ministre mirent bientôt obstacle au plan du père; il se trouva obligé d'abandonner l'éducation de son fils. Soit que les établissemens d'instruction appartenant aux réformés fussent trop éloignés du Carlat, soit que le père de Bayle voulût à dessein recourir à un établissement catholique, Pierre Bayle fut envoyé au collége de Puy-Laurens. Il y resta trois ans, et en sortit ayant achevé ses humanités avec les plus brillans succès, mais affaibli par une maladie qu'il contracta dans l'excès du travail. Il avait couru des risques très sérieux de mort, et sa santé en fut altérée pour le reste de ses jours.

Déja alors, selon quelques-uns de ses biographes, Bayle laissait entrevoir son goût pour la dialectique; scs lectures ordinaires et favorites étaient les Essais de Montaigne et les œuvres de Plutarque, traduites par Amyot.

L'on peut voir ici quelle influence les livres exercent sur l'esprit de l'homme. Le caractère littéraire et philosophique de Bayle est entièrement dérivé des deux écrivains que nous venons de citer. Plutarque lui inspira le goût des recherches historiques et des travaux d'érudition; Montaigne le gagna insensiblement aux charmes de sa controverse hardie, et flatta son penchant secret au scepticisme.

Après avoir quitté le collége de Puy-Laurens, Bayle

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arriva chez les jésuites de Toulouse; leur maison était en grande réputation alors, principalement pour ce qui touchait à l'enseignement des sciences philosophiques. Bayle acquit chez eux une connaissance profonde de la théologie et des matières scolastiques. Les argumentations de son professeur, et plus encore les disputes amicales qu'il avait très souvent avec un vieux prêtre catholique, son voisin, développèrent tellement les doutes qu'il avait déja consus de lui-même contre l'orthodoxie du protestantisme qu'il se décida à changer de religion. On a prétendu, mais à tort, que l'abjuration de Bayle lui avait été arrachée par les obsessions des jésuites; cela n'est point; Bayle renonça volontairement au protestantisme, parce que sa raison lui semblait intéressée à ne pas persister dans une croyance qui avait cédé sous le poids des objections. Quoi qu'il en soit, cette abjuration fut entourée d'un grand caractère de solennité ; le collége des jésuites la regarda comme un triomphe. Mais cet événement imprévu jeta la consternation dans la famille de Bayle, et répandit un amer chagrin parmi toute la population du Carlat. On employa toutes les prières, toutes les séductions, tous les moyens pour ramener le téméraire néophyte à la communion qu'il avait abandonnée. Les parens et les amis de Bayle attaquérent sa nouvelle croyance avec un zèle qui ne devait point être infructueux; ébranlé par les objections qu'on fesait valoir auprès de sa raison, et qu'on lui avait laissé ignorer chez les jésuites, dont la science aurait facilement triomphé des difficultés dont on entourait sa conscience, Bayle s'esquiva de Toulouse et se rendit dans sa famille où il renonça à la religion catholique; après l'avoir professée et suivie pendant dix-sept mois. Il avait alors vingt-trois ans. Les lois françaises, à cette époque, étaient extrêmement sévères contre les hérétiques qui, après avoir abjuré les erreurs de la réforme, retombaient dans la communion protestante. On sévissait contre les relaps par la peine du bannissement perpétuel. La situation de Bayle était donc assez critique. Il fallut fuir. La Suisse était le pays où les réfugiés religieux étaient le plus facilement admis et secourus. Bayle se rendit à Genève, et de là à Coppet, où le comte de d'Hona lui confia l'éducation de ses fils, emploi auquel il resta attaché pendant quelques années. Pendant son séjour dans ce pays, il étudia la philosophie de Descartes, qui le dégoûta bientôt de la scolastique, mais dont il ne tarda pas non plus à se détacher; c'est aussi là qu'il se lia d'amitié avec Basnage de Bauvol, amitié qui dura jusqu'à la mort de ce dernier. Le séjour de Coppet et son emploi de précepteur lui étant devenus à charge, il hasarda de rentrer en France, et évitant les lieux dans lesquels sa double apostasie aurait pu être connue, il vint s'établir à Rouen, où il fut encore obligé de faire le métier de précepteur. Il s'en dégoûta de nouveau, et peu après il se rendit à Paris, où il désirait venir depuis long-temps, pour y trouver les ressources littéraires dont il avait manqué jusque-là. Le besoin le força encore une fois d'accepter

cette charge, et il entra chez le marquis de Besinghenil jeta au milieu de l'attente universelle des désastres

où il entreprit l'éducation de quelques enfans. Cette nouvelle position lui permit de demeurer à Paris pendant quelque temps.

Sur ces entrefaites, en 1675, Basnage qui étudiait à l'université protestante de Sédan, écrivit au jeune Bayle pour lui annoncer qu'une chaire de philosophie était venue à vaquer dans cette université, et l'engagea à se présenter parmi les candidats qui devaient la disputer au concours. Il soutint les épreuves avec un talent qui trouva des admirateurs, mais aussi des envieux qui resterent cachés jusqu'au jour où ils purent lui nuire.

Néanmoins Bayle passa quelques années heureuses à Sédan; sa jeunesse agitée avait trouvé un honorable abri, et il marchait librement dans la voie vers laquelle tous ses désirs avaient constamment tendu. Il occupait avec une rare distinction sa chaire de philosophie et semblait devoir accroître sa réputation dans les loisirs studieux et la calme indépendance qu'il s'était créés, lorsque un édit de Louis XIV prononça en 1681 la suppression de toutes les universités qui appartenaient aux protestans.

C'est à Sédan que Bayle commença avec le ministre Jurieu, qui occupait la chaire de théologie dans la même université, des relations qui furent d'abord empreintes de la plus étroite sympathie, mais qui plus tard devaient se changer en rapports d'une étrange inimitié et remplir la vie de Bayle d'une foule d'amertumes. Quoi qu'il en soit, nulle ombre n'existait entre eux à la suppression de leur université. Ils se lièrent même plus fortement sous le coup de leur commune infortune et s'engagèrent réciproquement à faire tous leurs efforts pour être réunis dans la même ville, et s'il était posssible même, dans la même université. Leur attente ne fut pas longue. Bayle s'était acquis par l'éclat de son enseignement une célébrité telle qu'après l'édit de suppression qui avait frappé Sedan, la ville de Rotterdam lui offrit une chaire de philosophie. Il partit de suite pour la Hollande et se montra très reconnaissant vis-à-vis des magistrats de Rotterdam, de l'honneur imprévu qu'il en avait reçu dans un moment anssi pénible que l'avait été pour lui celui de la destruction des facultés protestantes de Sédan. A peine installé dans des nouvelles fonctions, son premier soin fut de s'employer pour procurer la chaire de théologie au ministre Jurien, qui venait, comme lui, de perdre la sienne.

Dès ce moment, Bayle, puissant de la sécurité nécessaire aux travaux de l'esprit, partagea son temps entre les devoirs de l'enseignement et son goût pour les études philosophiques. Il faut maintenant entrer dans la période agissante de la vie de Bayle, c'est-à-dire dans celle où parurent ses écrits.

prédits, deux volumes portant pour titre: Pensées diverses sur la comète, ou lettre à M. L. A. D. C., docteur de Sorbonne, où il est prouvé, par plusieurs raisons tirées de la philosophie et de la théologie, que les comètes ne sont point le présage d'aucun malheur, etc. Cet ouvrage eut un succès immense, et il le méritait; une science solide et convaincante s'y unissait à un esprit flexible et fertile en digressions; et depuis les Essais de Montaigne, on n'avait plus vu de livre où étaient agitées à la fois, tant de vieilles questions de métaphysique, de morale, d'histoire, de politique et de théologie. A cet ouvrage, succéda, en moins d'un an, la Critique générale de l'Histoire du Calvinisme, par le P. Maimbourg. Le livre critique de Bayle trouva un grand nombre de partisans, et parmi les catholiques et parmi les protestans, car il se distinguait par une véritable impartialité; il est vrai que les erreurs et les momens d'intolérance du P. Maimbourg étaient relevés avec une extrême vivacité. Cependant l'auteur critiqué sut d'abord parler avec estime du livre de Bayle; mais les excitations secrètes des ennemis de Bayle lui firent perdre patience, et le livre fut déféré à Louis XIV qui requit contre lui les rigueurs du parlement; celui-ci ordonna que le livre fut brûlé par la main du bourreau. Malgré cette condamnation, le livre fut vivement recherché et rapidement multiplié. Le ministre Jurieu, qui avait eu la mauvaise idée de traiter la même matière que Bayle, n'ayant eu aucun succès, conçut contre son collègue une fureur de jalousie et une haine que l'on doit déplorer profondément chez un homme aussi éminent que l'était Jurieu. Des biographes désobligeans ont rapporté et soutenu que les ressentimens que Jurieu ne cessa de témoigner à son confrère avaient leur cause dans une liaison tendre qui avait existé entre Bayle et la femme du ministre. Les bons mémoires de la vie de Bayle n'en font aucune mention ou repoussent cette anecdote comme une calomnie.

Deux ans après, Bayle entreprit, sur les sollicitations pressantes de ses amis et de ses auditeurs, la publication d'un recueil périodique où il se proposait d'enregistrer le mouvement intellectuel de son époque, les découvertes scientifiques, les recherches historiques et les jugemens qu'il lui conviendrait de porter sur les livres nouveaux. Il donna à ce recueil le titre de : Nouvelles de la République des Lettres. Ce journal de critique littéraire et de philosophie, le premier qui était rédigé sur une base aussi large, circula bientôt dans tous les pays, et y obtint un crédit immense. Malheureusement l'état de sa santé l'obligea, au bout de trois ans, en 1687, à interrompre cette publication, que Basnage continua. Voltaire, dans ses Conseils à un Journaliste, offre cet écrit comme le premier modèle du style convenable à ce genre. La rédaction de cet ouvrage périodique mit Bayle en relation avec les personnages les plus célèbres et les plus puissans du temps. Ce journal lui attira même un assez singulier démêlé avec la reine Christine de Suède. En insérant dans des Nou

En 1680, sur la fin de l'année, on signala l'apparition d'une énorme comète chevelue. Le préjugé, nous ne dirons pas populaire, mais public, voulait encore à cette époque, que ce genre de phénomènes fut le présage des plus grandes et des plus infaillibles calamités. Toute l'Europe était consternée par les prophé-velles une lettre écrite de Rome où elle condamnait les ties et les pronostics que toutes les tètes faibles hasardaient sur cet événement. Bayle n'attendit pas que le moment de contrarier l'erreur publique fût passé;

persécutions exercées en France contre les protestans, il avait observé que c'était un reste de protestantisme. On sait que l'illustre souveraine avait quitté les idées

de la réforme pour l'orthodoxic catholique. Deux lettres, pleines de hauteur et de dureté, lui furent écrites, à ce sujet, par un prétendu serviteur de la reine; dans l'une, on lisait ce passage, qui pouvait faire songer à la funeste aventure de Monaldeschi dans le château de Fontainebleau: « Vous pourriez vous vanter d'être le » seul au monde qui eût offensé impunément la reine » de Suède, si vous n'aviez pris le parti de la justifi>> cation. » Bayle l'avait pris en effet; ses excuses et ses explications satisfirent tellement la reine Christine, qui s'était d'abord crue offensée, qu'elle voulut dès ce moment entrer en correspondance avec lui, et entretenir avec lui des relations suivies dans lesquelles elle ne cessa de lui témoigner l'amitié la plus honorable et les distinctions les plus flatteuses pour son esprit et son caractère.

saisit cette occasion pour éclater contre lui. Jurieu avait reconnu Bayle pour l'auteur du Commentaire Philosophique à la chaleur avec laquelle il y défendait son dogme favori, qui était la tolérance. Il le combattit d'abord dans un écrit virulent dont le titre seul dénote clairement le sens et l'intention: Des Droits des deux souverains en matière de religion, la conscience et le prince, pour détruire le dogme de l'indifférence des religions et de la tolérance universelle, contre un livre intitulé: Commentaire philosophique sur ces paroles : Contrains-les d'entrer.

Quelque temps après parut l'Avis important aux Réfugiés, ouvrage où les protestans sont traités avec peu de ménagement, que Bayle désavoua constamment, et qu'aucune preuve n'autorise à lui attribuer, bien qu'on l'ait inséré dans le recueil de ses œuvres. Non seulement Jurieu l'accusa d'en être l'auteur, malgré l'énergique protestation de Bayle, mais il le représenta encore comme l'ame d'une cabale dévouée aux intérêts de la France contre ceux du protestantisme et des puissances liguées. Dans deux écrits, Bayle repoussa cette double imputation; mais il devait succomber sous la calomnie. En 1693, Jurieu le dénonça au consistoire de Rotterdam comme ennemi de la religion et de l'état. En vain Bayle réfuta de la manière la plus plausible, soit par ses écrits, soit par les explications qu'il porta lui-même devant le consistoire, les calomnies de Jurieu. Les magistrats de la ville de Rotterdam, après avoir montré pendant quelque temps assez de bienveillance pour lui, et le désir de le protéger en cherchant à étouffer les suites de cette dénonciation, finirent par le condamner à perdre sa chaire de philosophie, et le privèrent d'une pension de 500 florins qu'il touchait en sus de son traitement à l'université. Cette éclatante disgrâce ne sembla pas encore venger suffisamment ses ennemis; ils obtinrent qu'on lui interdit même la faculté de donner des leçons particulières, croyant sans doute en cela se rendre agréables au statheuder, Guillaume, prince d'Orange et roi d'Angleterre, qui était en guerre avec Louis XIV, et qui poursuivait dans ses états les partisans de la France.

Le bonheur dont Bayle devait jouir au milieu de tant de succès fut troublé l'année suivante par des chagrins cruels; la mort lui arracha successivement son père et ses deux frères, dont l'aîné, ministre de la religion réformée, expira dans un cachot, victime de la révocation de l'édit de Nantes. Les persécutions dont les protestans étaient alors l'objet en France, devinrent pour Bayle l'occasion de plusieurs écrits dans lesquels il attaquait avec une vive indignation les excès du zèle religieux. En 1686, il publia, à cet effet, une traduction d'une lettre latine que Paëts, l'un de ses protecteurs, lui avait écrite d'Angleterre; elle parut sous ce titre : Lettre de M. L. V. P. à M. B. sur les derniers troubles d'Angleterre, où il est parlé de la tolérance de ceux qui ne suivent pas la religion dominante. Peu de temps après, il fit paraître une brochure intitulée: Ce que c'est que la France toute catholique sous le règne de Louis-le-Grand, ouvrage qui avait pour but de répondre aux éloges que l'on prodiguait au roi Louis XIV pour la mesure impolitique de la révocation de l'édit de Nantes. Bayle y peignait, sous les plus vives couleurs, les cruautés exercées par les ordres de Louis XIV contre les partisans de la réformation. Mais ce n'étaient là encore que des préludes. Le livre qui fit la plus grande sensation, ce fut le fameux Commentaire philosophique sur ces paroles de l'Evangile : Contrains-les d'entrer ( compelle intrare), où l'on prouve par plusieurs raisons démonstratives qu'il n'y a rien de plus abominable que de faire des conversions par la contrainte, et où l'on réfute tous les sophismes des convertisseurs à contrainte, etc. (1686). Un pareil ouvrage semblait ne pouvoir être que fort bien accueilli dans un pays protestant. Il n'en fut pas ainsi. Les protestans, aussi fanatiques dans leur hérésie que les catholiques Privé par une sentence inique de sa place et de ses dans leur croyance, ne voulaient pas entendre parler moyens d'existence, Bayle supporta ses revers avec de tolérance. Cet ouvrage d'ailleurs, que Bayle ne patience et fermeté. Mettant à profit les loisirs qu'il voulut pas avouer, n'est digne de lui, ni pour le style devait à ses persécuteurs, il se voua entièrement à la qui en est dur et embarrassé, ni pour le ton qui en est composition de son grand ouvrage auquel il doit l'imchagrin et amer. Dans tous ses autres écrits, il s'ex- mortalité. Le dictionnaire historique et critique parut prima sur le compte de la France et du catholicisme pour la première fois en 1696 à Rotterdam. C'est la avec une modération que les hommes fougueux de son première de ses productions à laquelle il ait mis son parti ne manquèrent pas de lui reprocher et dont ses nom; jusque-là, la modestie ou le désir d'éviter des ennemis lui firent un crime. Malgré la précaution qu'il attaques lui avaient toujours fait garder l'anonyme. avait prise de garder l'anonyme, et quoiqu'il dé- Le but de Bayle, en rédigeant son dictionnaire n'était savouât formellement l'ouvrage, le ministre Jurieu, pas de faire un répertoire complet des matières histohomme violent, jaloux et vindicatif, qui depuis long-riques et littéraires, mais de se créer une occasion de temps voyait d'un ceil d'envie les succès de son collègue,

Dans le cours de cette dispute, Bayle publia plusieurs écrits, entre autres: Supplément du commentaire philosophique où l'on achève de ruiner la seule échappatoire qui restait aux adversaires en démontrant le droit égal des hérétiques pour persécuter à celui des orthodoxes; et la cabale chimérique, ou réfutation de l'histoire qu'on vient de publier malicieusement touchant un certain projet de paix.

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rectifier et de critiquer les dictionnaires en crédit alors,

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