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Le silence régnait dans la salle : les pages qui servaient le comte, et les écuyers debout autour de la table, attendaient qu'il daignât les interroger pour lui parler. Un moment de contrainte inexplicable pesait sur tous, lorsque de grands cris retentirent au dehors; quelques coups de mousquet furent entendus, le comte se leva Blancas entra précipitamment dans la salle; il était pâle et tout hors de lui. Une fatale nouvelle était comme écrite sur son front; le comte l'interrogea avec impatience.

<«< Monseigneur, dit Blancas, un envoyé de la reine de Navarre votre souveraine, vous somme d'ouvrir les portes de votre château. Il a, dit-il, des ordres à vous donner; il s'irrite déja de ce que le nom de Jeanne d'Albret ne lève pas toutes les difficultés. >> En effet, des cris menaçans et des provocations retentissaient déja sur le bord des fossés. Monsieur de Sabran promena lentement le regard sur les domestiques peu nombreux qui l'entouraient; le temps n'est plus, dit-il, où ma maison fesait la guerre aux seigneurs de Comminges et de Foix, où nous avions des forteresses imprenables, des gens d'armes courageux pour nous défendre ce temps est passé. Blancas, ouvrez les portes à l'envoyé de notre souveraine. Nous sommes à la merci de cet homme, il faut céder. Ayant donné cet ordre, il resta pensif et immobile, tout occupé de chercher la cause d'une surprise à laquelle il ne devait pas s'attendre.

:

L'émissaire de Jeanne d'Albret, était un des gentils-hommes calvinistes qui avaient troublé les saints

offices dans l'église de la Bastide. Il s'était principalement signalé à la prise du château de Daumazan, et sa haine pour le sire de Montbrun, lui avait mérité le commandement d'une place qu'il venait d'enlever à son adversaire. On le nommait le Sanglier d'Orlu, à cause des cruautés qu'il avait exercées dans le pays d'Orlu, dont il était le seigneur. Mais les catholiques de ce canton indignés contre lui, avaient détruit sa demeure seigneuriale, dévasté ses forêts, brûlé ses fermes, et le Sanglier d'Orlu avait été forcé de chercher asile auprès de sa souveraine.

La cour de Navarre, qui était le foyer du parti calviniste, reçut avec empressement un homme de cette trempe, et se hâta d'appliquer son courage et ses haines. Il avait promis de rétablir le pouvoir de la reine dans le pays de Daumazan, et le succès avait couronné toute ses entreprises. Mais il ne lui suffisait pas d'avoir repris les positions les plus fortes; il voulait encore s'emparer des chefs catholiques; et le sire de Montbrun était celui qu'il recherchait avec le plus d'obstination.

La haine qui avait éloigné jusqu'alors le seigneur de Sabran et ceux de Montbrun ne permit pas aux protestans de soupçonner que le capitaine eût pu demander et obtenir un asile au château de Fornez; long-temps ils le cherchent ailleurs; désespérés enfin de l'inutilité de leurs poursuites, ils se souvinrent de la protection qu'Ernest de Montbrun avait accordée à la fille des Sabran, et ce fut pour eux un trait de lumière. Alors, par une nuit très-obscure, et dans un temps où le château n'était pas gardé par d'assez nombreux défenseurs, le Sanglier d'Orlu se présenta

devant Fornez, et somma les sentinelles ds lui en ouvrir les portes.

Le comte de Sabran ayant cédé à la force, les calvinistes se précipitèrent dans le château à la suite de leurs chefs. Il trouva le vieillard gravement assis dans une grande salle; sa fille était à ses côtés, et tous ses gens armés l'entouraient. Le Baron était prêt à accueillir avec respect les volontés de la reine de Navarre, comme à résister vigoureusement si on le traitait sans égards. Le Sanglier d'Orlu, quoique déterminé à ne s'astreindre à aucun ménagement qui pùt gèner l'exécution de ses projets, fut saisi d'une sorte de respect, en voyant le noble comte entouré de sa famille, calme, silencieux et prêt à l'écouter. Il se découvrit et lui parla ainsi.

Seigneur comte, la reine de Navarre, comtesse de Béarn et de Foix, notre souveraine, se plaint de ce qu'au mépris de la foi que vous lui devez, vous ayez caché dans votre château l'un de ses ennemis les plus mortels. A ces paroles, Angeline pâlit, et le comte de Sabran resta frappé d'étonnement. Oui, seigneur comte, reprit l'envoyé de Jeanne, nous devons être d'autant plus indignés contre vous de l'appui que vous donnez à notre plus grand ennemi, que vous-même ayant autrefois pour lui une haine mortelle, n'avez étouffé ce sentiment dans votre ame, qu'en vous livrant, sans réserve, à l'aversion que vous éprouvez contre nous. En vérité, je ne croyais pas que, par inimitié contre la réforme, un comte de Sabran pût cacher dans son château le sire de Montbrun.

pondre. Angeline poussa un cri d'effroi qui fit pâlir A ce mot, le comte se leva de son siége pour réson père. Le Sanglier d'Orlu, sans attendre une réponse, donna ordre à ses gens de chercher son ennemi membres; son père la regardait avec une anxiété terdans tout le château. Angeline tremblait de tous ses rible. Ses yeux semblaient vouloir découvrir les secrets de son cœur; ils l'interrogeaient, ils la glaçaient d'effroi. Mademoiselle de Sabran, voyant le danger du sire de Montbrun, reprit courage; elle avoua tout à son père. Elle lui raconta comment Ernest l'avait défenduc; comment ses écuyers l'avait porté sanglant au bord des fossés; comment elle n'avait pas voulu se rendre coupable d'ingratitude envers l'homme qui l'avait noblement protégée.

Le comte était trop irrité pour entrer dans les raisonnemens de sa fille; cette vieille haine que son père lui avait transmise avec le sang, ne pouvait dans un instant mourir dans son cœur. Le secours que le sire de Montbrun avait prêté à sa fille, mettait au contraire le comble à sa colère, car il est plus cruel de recevoir des bienfaits de ceux-là qu'on déteste, que d'en essuyer des affronts. Que diraient les calvinistes ses ennemis, lorsqu'ils trouveraient un gentilhomme caché dans l'oratoire de sa fille? Que dirait le pays, lorsqu'il apprendrait que l'héritière des Sabran avait, à l'insçu de son père, donné asile au sire de Montbrun dans le château de Fornez, et que, pendant un mois, elle l'y avait caché, lui prodiguant tous les soins qu'exigeaient ses blessures? Le comte, livré à la plus vive agitation, au plus violent désespoir, se sentait entraîné rapidement vers les projets les plus extrêmes, saus ocer en embrasser aucun. Que faire! Le Sanglier d'Orlu

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allait proclamer la honte de sa fille; comment la sauver? Dire qu'il avait reçu dans son château son plus mortel ennemi, et le défendre! Il était trop tard, et, d'ailleurs, il croyait manquer à l'honneur en trahissant ses vieilles haines.

Pendant qu'il se promenait à grands pas, attendant l'issue des perquisitions auxquelles se livraient les protestans, Angeline écoutait attentivement, espérant que le sire de Montbrun pourrait échapper à ses ennemis en se cachant dans une armoire pratiquée dans l'épaisseur du mur et cachée par une tapisserie. Son désir fut trompé : elle entendit les cris de joie des calvinistes, et bientôt Ernest, entouré de ses ennemis, entra dans la salle, où le comte et sa fille l'attendaient. Le vieux seigneur de Fornez, dès qu'il vit sa honte assurée, saisit son poignard et se précipita vers le sire de Montbrun, pour se venger sur lui et de l'amour qu'il avait inspiré à sa fille, et de l'affront qu'il fesait rejaillir sur sa maison; les protestans retinrent son bras, et Angeline se jeta au devant de ses coups. Ernest de Montbrun, pâle et calme, sourit à mademoiselle de Sabran : il y avait sur cette figure attristée, une si noble résignation, un tel charme de tristesse et de magnanimité, que son ennemi s'arrêta pour le

considérer; il sentit sa vieille haine se calmer au fond de son cœur. Les calvinistes entraînèrent leur captif, et le comte de Sabran resta dans la salle; il se demandait à lui-même quel prodige venait de s'opérer au fond de son cœur.

:

le

Le Sanglier d'Orlu, qui n'était pas sorti de l'appartement d'Angeline, traversa la salle à son tour: mais, au lieu de suivre ses gens et son ennemi, protestant s'arrêta devant le comte et lui remettant dans la main la lettre, lui dit je vous accusais à tort, monseigneur, et la reine saura que Mademoiselle de Sabran a su remplir à la fois les devoirs qu'on doit à son père, et ceux que nous impose la fidélité jurée à notre souveraine. Après ce jeu de mots, il sortit laissant le comte et sa fille incertains, et surpris. On se hâta de lire la lettre : Ernest l'avait écrite, au premier bruit qu'il avait eu de l'arrivée du protestant habile à contrefaire l'écriture d'Angeline, il avait usé de stratagême pour sauver l'honneur de cette noble fille. Voici ce qu'il fesait dire à mademoiselle de Sabran. La lettre était adressée au capitaine qui conduisit les protestans à Fornez.

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Monsieur le capitaine,

Le sire de Montbrun s'est introduit dans le châ

teau, en l'absence de mon père les hommes qui l'ont conduit ici, ont fait serment de tuer le comte de Sabran, si je refusais de recevoir leur capitaine; il a fallu céder, pour sauver l'auteur de mes jours. Je n'ai pu vous découvrir la retraite où le sire de Montbrun m'a forcé de le cacher; mais cette lettre vous l'indiquera. Emparez-vous de notre ennemi commun; et pour que mon père ne soit pas exposé aux vengeances des amis qui conduisirent ici le sire de Montbrun, je vous conjure par l'honneur, de ne point leur parler de cette lettre. Si vous êtes assez généreux pour la rendre à mon père aussitôt que vous l'aurez lue, je pourrai dire et proclamer que vous êtes le plus loyal gentilhomme de la cour de Navarre.

La lettre était signée Angeline de Sabran. L'écriture de la noble demoiselle était parfaitement imitée, et les indications, qui devaient conduire le Sanglier d'Orlu à la retraite d'Ernest, données avec précision. La lettre écrite, Ernest l'avait posée sur le prie-dieu d'Angeline de telle manière qu'elle attirât les regards des protestans. Tout se passa comme il l'avait prévu, et le sanglier d'Orlu crut sans hésitation ce que le sire de Montbrun avait voulu lui persuader.

Lorsqu'Angeline et son père comprirent la loyale conduite de l'homme qu'ils avaient toujours regardé comme l'ennemi de leur famille, leur admiration fut vive et leur douleur profonde d'avoir abandonné le sire de Montbrun, en des mains aussi cruelles. Ces guerres de religion étaient, de part et d'autre, sans grace et sans pitié. Ernest de Montbrun allait être décapité dès le lendemain; ils ne pouvaient douter de sa mort prochaine.

La haine du sanglier d'Orlu dépassa leurs craintes : à peine fut-il descendu dans la cour du château, qu'il ordonna froidement à son ennemi de se mettre à genoux, et de se préparer à la mort. Ernest ne murmura pas, et se mit à genoux; seulement il leva la tête vers les croisées de la salle, où Angeline et son père lisaient sans doute la lettre écrite au Sanglier d'Orlu. Il ne demandait, pour mourrir sans regret, que d'avoir reçu d'Angeline un dernier adieu. Le comte vit les apprêts du supplice à la lueur des torthes que les protestans tenaient dans leurs mains. Il prit tout à coup un parti digne do lui. Tout vieux

il

qu'il est, il tire son épée, et suivi de ses gens, se précipite au secours du sire de Montbrun. Angeline saisit des armes qu'elle mettra dans les mains d'Ernest, et vole sur les pas de son père. Le Sanglier d'Orlu pensa que le comte venait jouir du supplice d'un ennemi: il ne se mit pas en défense. Le captif, prêt à mourir, fut délivré de ses mains, et armé sous ses yeux avant qu'il eût compris le changement qui venait de s'opérer dans l'esprit du comte.

Vainement il cria: trahison !... Vainement il se précipita sur le vieux comte de Sabran et ses domestiques. Ernest de Montbrun libre, armé, enthousiaste, courut au devant de lui, et jeta la confusion dans les rangs des Calvinistes. Le jeune capitaine et le vieux comte eurent un de ces momens d'héroïsme qui exhaussent l'homme iusqu'à la nature divine. Après ces vieilles haines de famille qui venaient de s'éteindre sans qu'on se fut dit un seul mot, ils se livraient tous deux à une noble émulation de dévoùment, jaloux qu'ils étaient de refouler au loin le passé. C'était une réconciliation muette signée avec du sang, une amitié nouvelle qui se prouvait à grands coups d'épée, au péril de la vie. Les protestans furent chassés, et l'on ferma les portes du château de Fornez,

Alors le vieux comte, sans dire un mot, se tourne vers le sire de Montbrun, et, lui tendant la main, il le conduisit dans la salle d'armes du château. Là étaient les portraits de tous ses aïeux, au nombre desquels figuraient plusieurs comtes de Comminges et de Foix. Mes pères, dit le vieillard, en s'adressant à cette muette assemblée, les haines généreuses finissent par la vengeance ou l'amitié. Je vous présente un loyal gentilhomme qui m'a vaincu en dévoùment; ce serait une honte pour nous, mes pères, si je n'avais pas assez de force d'âme pour reprendre mes avantages. Je déclare donc, en votre présence, qu'il est digne d'épouser la fille des Sabran, et je le reconnais à l'instant pour mon fils. Ce fut un grand cri de joie dans la salle où tous les domestiques étaient entrés. Le comte de Sabran embrassa le sire de Montbrun, et l'on se sépara en se disant, pour adieu: à demain, à demain, dans l'église de ia Bastide. I. LATOUR, (de Saint-Ibars.)

DORRE,

Les vallées fraîches et paisibles des Pyrénées attirent, tous les ans, un nombreux concours de voyageurs. Alors qu'un soleil plus vif a fondu les neiges, a rendu leur cours aux ruisseaux et la verdure aux forêts, l'habitant de Paris s'arrache de son fauteuil, dit adieu à ce salon témoin de son ennui, et court chercher le calme dans la chaumière du montagnard. L'artiste, appuyé sur son parasol, le bissac au dos, va immortaliser quelque habitation rustique, peindre une ruine célèbre et l'onde qui bouillonne et jaillit à tra

vers la mousse et le roc. Quelquefois, c'est le malade languissant qui vient chercher la santé dans des eaux brûlantes, ou plus froides que la glace. Mais ce nombreux concours, cette quantité de voyageurs venus de tous pays, dans le dessein de visiter ces sites agrestes, ces pics escarpés, une fois rendus au terme de leur voyage, semblent oublier tous leurs projets, et, enivrés des plaisirs de Bagnère ou de Bigorre, regardent d'un œil indifférent ces montagnes, ces lacs, ces forêts qui les entourent, et qui seuls les avaient déterminés à

partir. Cependant des voyageurs plus énergiques ont su éviter cet écueil et rester insensibles à ces fêtes et à ce tumulte qui en séduisent tant d'autres. Armés d'un bâton, un guide à leur tête, ils franchissent les précipices les plus affreux, descendent et gravissent de nouveau les montagnes, parcourent de fertiles vallées, où la chaumière du laboureur leur offre, le soir, un repas frugal, un lit pour se remettre de la fatigue du jour, et des provisions pour le lendemain. C'est dans une excursion de ce genre, que j'ai parcouru l'Andorre que je désirais depuis long-temps voir et connaître. Située au 42 degré et demi de latitude, et au 19 degré dix minutes de longitude, suivant le méridien de Paris, petit état s'étend sur la partie méridionale des Pyrénées dans un espace d'environ 12 lieues du nord au midi, et de 10 lieues du levant au couchant. Il a au nord et au nord-ouest le département de l'Ariége, au sud-ouest la vallée de Paillas, au midi le pays d Urgel, au levant la vallée française de Carol et la Cerdagne Espagnole. Environnée de hautes montagnes, l'Andorre est séparée de tous ses voisins. Seulement, au midi la vallée se prolonge et s'ouvre vers le pays d'Urgel. Une infinité de ruisseaux tombant des montagnes, arrosent la vallée et se jettent dans l'Embalire, principale rivière du pays, qui vient faire sa jonction avec I'Ordino à la ville d'Andorre, chef-lieu, qui a donné son nom à cette contrée.

Après quelques jours de marche au milieu des montagnes, comme j'étais arrivé sur le sommet d'un pic assez élevé, j'aperçus tout à coup à mes pieds la vallée de l'Andorre. Je m'en étais fait une idée si différente, que si le guide ne se fùt écrié : « Enfin nous y voici », je serais passé outre. Je m'attendais à voir une belle et large vallée, couverte de riches moissons et de mille arbres divers; et je ne vis devant moi, que des ravins montagneux, des sites d'un aspect sauvage et désert, un pays hérissé de hautes montagnes, que le sombre più ne fesait qu'attrister en rembrunissant le tableau. Cependant, quelquefois l'âpreté de ces rochers est coupée par des montagnes moins arides, et sur lesquelles on trouve des pâturages, dont la fraîcheur et l'éclat recréent l'esprit attristé. A proportion que l'on descend dans la vallée, la scène change, la forêt sombre et aérienne est remplacée par des bosquets de hetres et de noisetiers; au torrent furieux, à la cascade rapide et bruyante, succèdent des ruisseaux qui couJent le long des trembles touffus; à chaque pas, on trouve des habitations et des troupeaux errans; le long de ces vallons on rencontre d'honnêtes paysans qui portent le calme sur leurs traits; si on les interroge, ils répondent avec bonté, se montrent obligeans et affables, et très peu curieux de ce qui se passe chez leurs voisins. Au premier aspect, vue surtout d'un point élevé, l'Andorre n'offre au voyageur qu'un spectacle sombre et sauvage; mais en descendant vers la vallée, les sites variés, les vallons qui s'ouvrent tout-à-coup à ses yeux avec leurs prairies, leurs chaumières, et leurs troupeaux viennent rendre la vie à ce paysage qui paraissait d'abord inculte et désert. Dans l'ensemble, ce pays inspire une espèce de vénération religieuse qu'augmente de plus en plus la vue de ses habitans simples et vertueux. Tel est à peu près l'aspect de cette vallée plus digne d'être connue dans sa consti

tution et son gouvernement, que dans les produits et les agrémens de son sol.

Vers l'an 790, l'empereur Charlemagne, ayant marché contre les Maures d'Espagne, se trouva embarrassé dans les gorges et les défilés des Pyrénées; alors les Andorrans, selon la tradition du pays, reçurent dans leur vallée l'armée de l'empereur, et la dirigèrent vers la partie montagneuse de la Catalogne. Charlemagne guidé par eux, joignit les Maures dans la vallée de Carol et les défit dans un combat sanglant. L'Empereur n'oublia pas le service que lui avaient rendu les Andorrans, et, pour leur en témoigner sa reconnaissance, il les rendit indépendans des princes leurs voisins, et leur permit de se gouverner par leurs propres lois. A dater de cette époque, la France prit l'Andorre sous sa protection, l'assista dans ses besoins, la défendit contre ses ennemis, et lui a constamment prouvé son attachement et sa reconnaissance. Après Charlemagne, Louis le Débonnaire, son fils, ayant continué la guerre contre les Maures, et arraché la Catalogne au joug de ses oppresseurs, voulut établir le gouvernement de l'Andorre sur des bases solides et durables. Il fut stipulé que la moitié de la dîme des six paroisses qui forment la vallée, appartiendrait à l'évêque d'Urgel, et l'autre moitié au chapitre de l'église cathédrale. Le clergé n'eut aucun droit sur la dîme de la ville que Louis le Débonnaire avait réservée pour récompenser ceux des habitans qui s'étaient signalés par d'importans services. Ce prince, que les Andorrans appellent Louis le Pieux, sembla prendre une affection toute particulière pour ce bon peuple; il le soulagea des maux qu'il avait eu à souffrir de la part des Maures, il releva les édifices qui avaient été renversés, et entr'autres la cathédrale, qu'il fit rebâtir à ses frais. Plus tard, les comtes de Foix acquirent les droits que les rois de France s'étaient réservés ils avaient des propriétés dans ce pays, et finirent par y commander en souverains. Cela s'explique aisément à une époque où les révoltes et les empiètemens des grands vassaux étaient si communs en France. Mais l'Andorre continua de vivre dans ce calme et cette paix, qui ne fut jamais troublée, malgré les querelles et les différends qui survinrent entre les comtes de Foix et les évêques d'Urgel. Enfin, sous de grands rois, la France sortit de cet état d'oppression et de morcellement où l'avaient jetée des seigneurs et des vassaux rebelles. Les beaux jours du temps de Charlemagne, brillèrent de nouveau sur notre patrie et nos rois purent recouvrer alors tous leurs anciens droits. L'Andorre revit avec joie les successeurs de Charlemagne, la reprendre sous leur protection, et Henri IV, en devenant le père des Français, voulut le devenir aussi de cette vallée si voisine de son berceau. Les usages établis par les comtes de Foix furent conservés; la justice fut rendue par le viguier du roi de France, et, à chaque avénement au trône, l'Andorre s'empressa de venir rendre hommage à nos rois.

Telle est l'origine de l'indépendance de l'Andorre. J'ai passé sans doute bien rapidement sur les rapports qu'elle a eus depuis avec la France, et les autres princes ses suzerains; mais mon but n'étant pas d'écrire ici son histoire, je reprends la suite de mon voyage.

Après avoir jeté un coup-d'œil sur ces montagnes,

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dont la vue m'avait inspiré une sorte de tristesse, je me tournai vers mon guide en secouant la tête; il comprit que le spectacle qui venait de s'offrir à mes yeux ne m'avait pas réjoui, et prenant la parole: « Monsieur, dit-il, parait frustré dans son attente. Aurait-il cru par hasard retrouver ici le brillant séjour de Bigorre et de Barèges?»« Non, lui dis-je, je ne suis pas de ceux qui vont à la campagne pour y trainer la ville après eux, et qui laissent le théâtre Français pour aller bailler devant une troupe d'histrions campagnards. Mais quand je fuis le spectacle monotone des villes je voudrais parcourir des sites riants, de brillantes prairies, et non pas m'aller ensevelir dans d'épaisses et sombres forêts, repaires des ours et des loups. Entre la tristesse des villes et la tristesse du désert, je ne mets pas une grande différence; c'est seulement changer de genre d'ennui; j'aime la nature gaie et brillante; la mélancolie, le silence des bois plaît un moment; mais la belle nature, la campagne dans tout son éclat, plait toujours.» «Monsieur a raison, me répondit mon guide; mais pourquoi prononcer si vite, avant d'avoir tout vu? Peut-être allez-vous trouver ici même ce que vous dites tant aimer, des bois frais et touffus, de vertes collines, et des habitans affables et vertueux.

Descendez plutôt avec moi le long de ce sentier; et, après avoir parcouru le pays, Monsieur changera peut être de sentiment. » - « J'écoutai mon guide, et le suivis en silence à travers un chemin aride et rocailloux. Le jour commençait à baisser, et les montagnes élevées projetaient au loin un voile sombre, avant-coureur de la nuit; les forêts enveloppées des ombres du soir, n'étaient agitées par aucun vent, et, immobiles sur le revers de ces hautes montagnes la hache seule du bûcheron venait en interrompre le silence. Après avoir longé quelque temps une pente abrupte au travers des rochers épars çà et là, qui, roulant sous nos pas, allaient en bondissant faire retentir les profondes ravines, mon guide se tournant tout à coup de mon côté : « Puisque Monsieur, dit-il, aime les vallons et les prairies, je crois bien que ceci lui plaira, ou certes il s'est bien mépris en entreprenant ce voyage. » Je fis encore quelques pas sans trop songer à ce que je venais d'entendre, je suivis machinalement mon guide, lorsque, tout-àcoup, j'éprouvai une sensation pareille à celle que l'on ressent quand on vous ôte un bandeau de dessus les yeux. Les montagnes qui bornaient ma vue, avaient fait un écart, et enveloppaient dans une enceinte assez

et

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