Images de page
PDF
ePub
[graphic][subsumed][ocr errors][ocr errors][subsumed][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small]

un bouquet de lys et de roses; mais Dumoustier n'a- | vait pas encore paru, et les jeunes gens du quartier ne la trouvaient pas moins belle pour cela, lorsque les dimanches elle se rendait dans l'église de la Dalbade au bras de son père, et tenant dans sa main un livre d'heures, chef-d'œuvre d'un des plus habiles relieurs du temps.

Car à cette époque c'était vraiment un bijou, d'un luxe et d'un travail merveilleux qu'un livre d'heures, à beaux fermoirs d'or, relié en peau de chagrin, avec d'exquises moulures; puis à l'intérieur de belles vignettes richement coloriées, pour accompagner le texte toujours écrit en lettres d'or ou d'azur. Ainsi était celui d'Héloïse, et c'était plaisir de voir avec quelle dévotion ses jolis doigts blancs et roses le feuilletaient à la messe et aux vêpres. Cependant, avons-nous dit, Héloïse avait dix-huit ans, et quelques dévotes de l'église avaient remarqué, avec les meilleures intentions possibles, que les yeux de la jeune fille n'étaient pas toujours fixés sur le charmant paroissien, qu'elle avait des distractions de plus en plus fréquentes, et qu'à vêpres sa jolie voix s'élevait moins souvent pour accompagner les psaumes et les hymnes. C'était grand dommage; car elle avait bien la voix la plus moëlleuse qu'il fût possible d'entendre.

Elles avaient aussi remarqué qu'un jeune homme brun, de moyenne taille, venait se poster régulièrement près da bénitier, et que de là ses yeux ne perdaient pas un instant de vue la place où était Héloïse. Un jour même qu'il y était venu avant elle, elles observèrent, à leur grand scandale, qu'il lui offrit de l'eau bénite ainsi qu'à son père : le capitoul le remercia gravement par un salut, et sa fille devint rouge comme une cerise. De toutes ces remarques elles avaient charitablement conclu que le jeune homme brun aimait la jeune fille, et que la jeune fille le payait de retour. Et, pour la première fois de leur vie, les dévotes avaient trouvé juste.

Or, le jeune homme brun qui s'appellait Jehan fit si bien, qu'Héloïse lui accorda un rendez-vous pour le soir de la Saint-Martin........

Dès qu'Héloïse comprit que son père était loin, elle descendit l'escalier, se dirigea vers la porte de la maison, l'ouvrit et se hâta de regarder dans la rue; mais le brouillard l'empêchait de distinguer. Elle resta un instant indécise, un léger mouvement d'impatience parut sur sa figure; mais le plus charmant sourire lui succéda, lorsqu'elle entendit une voix crier :

-

Héloïse! Héloïse !

Jehan! fit-elle; et plus légère que l'oiseau, une seconde après, elle était dans les bras de son amant.

Dès ce moment, ce ne fut entr'eux qu'un doux échange de mots entrecoupés, de paroles sans suite.

:

La nuit était obscure, partant bonne pour des amans ils se promenèrent sur le rempart en se tenant par le bras et tout en causant ainsi, ils arrivérent non loin de l'endroit où Réné montait la garde. D'abord ils n'y firent nulle attention; mais lorsque le valeureux bourgeois accourut à eux, flamberge au vent, les prenant pour des Espagnols, Jehan crut que c'était peut-être un rival qui venait pour se venger; il pressa fortement Héloïse tremblante contre sa poiMOSAIQUE DU MIDI.—4° Année.

trine, tira une dague qui ne le quittait jamais, et cria à Réné de se rendre. En même temps celui-ci s'étant approché assez près, il fut aisé à l'écolier de reconnaître son erreur; il n'y avait pas à s'y méprendre. It n'en fut pas de même du marchand drapier; nous avons vu comment il se conduisit dans ce moment critique. Jehan l'entendit s'enfuir en criant à tue-tête : Les Espagnols! et sans trop savoir quels seraient les résultats de cette aventure, il poussa à son tour, pour faire fuir plus vite le brave bourgeois, le cri de guerre de Ferdinand d'Aragon. Et Réné, enfilant au hazard les rues qui se présentèrent devant lui, se mit à courir de plus belle, criant toujours à tue-tête : Les Espagnols! les Espagnols! trahis! trahis!

[ocr errors]

Cependant l'escouade du guet, commandée par le capitoul François Laurency, revenait au grand trot, effrayée par ces cris de plus en plus distincts, lorsqu'elle rencontra notre marchand drapier, dont le vin et la peur avaient achevé de troubler le cerveau.

Oh eh! brave homme, qu'est ceci, cria le capitoul en essayant de retenir son cheval et de le gouverner un instant. Mais à peine eut-il le temps de renouveler sa question, qu'une troupe de forcenés parut dans la rue, criant que les Espagnols étaient maîtres du rempart et que tout était perdu. Le sire de Laurency se vit en un instant abandonné de tous ses soldats qui se joignirent à la foule. Pour lui, une idée affreuse venait de traverser son esprit avec la rapidité de la foudre. Eperdu, hors de lui, il presse les flancs de son coursier étonné, vole, et arrive dans les quartiers déserts du Château. Aucun bruit ne se fait entendre; tout le monde a fui.

En arrivant devant sa maison, il vit la porte de la rue ouverte; il poussa un faible cri et tomba sur la première marche de l'escalier. Quand il revint à lui, sa tête était brûlante, il entendit bruire la ville au loin comme s'il eût rêvé; un vide affreux était dans son cœur; il appuya son front sur la pierre pour que la fraîcheur le ranimât un peu. Puis le vieillard se redressa.

Ma fille s'écria-t-il. Il monta rapidement l'escalier et arriva à la porte de la chambre d'Héloïse. Héloïse ! Et la porte s'ouvrit avec fracas. Héloïse! Héloïse! — La jeune fille n'y était plus ! Il bouleversa tout, il fouilla partout; puis, il redescendit l'escalier tournoyant, et courut sur le rempart solitaire, appelant sa fille.

En un moment il avait franchi le pont-levis du Château, et il courait dans la campagne comme un sūrions.

Long-temps il erra ainsi machinalement, sans but, incapable de prendre une résolution et en apparence insensible il arriva ainsi par hasard jusques sur les bords de l'eau ; là il s'arrêta. La Garonne coulait à ses pieds, calme et pure; ses ondes se succédaient sans relâche et venaient caresser le rivage où il s'était laissé tombé de lassitude; à l'autre bord le brouillard laissait à peine distinguer les branches sèches de quelques arbres qui croissaient dans une île voisine. Ce spectacle d'accord avec la tristesse de son ame le trouva froid: la douleur avait tout émoussé, tout brisé; une seule idée bien nette et bien distincte se dessinait devant lui, - Les Espagnols lui avaient pris sa fille.

28

Pendant ce temps, Héloïse et Jehan allaient se tenant par la main, tous deux jeunes, tous deux pleins d'avenir, l'écolier portant en triomphe les armes du bourgeois vaincu. Ils étaient sortis de la ville, à la faveur du tumulte, et ils erraient à l'aventure, heureux, ne demandant au ciel, à la terre, aux hommes, qu'un mot, un sourire, un baiser; insoucians: tandis que derrière eux et à cause d'eux, la Cité était en révolution; tandisque les cloches carillonnaient à qui mieux mieux, et que les dignes Toulousains étaient dans la consternation.

On eût dit un frère et une sœur, n'eussent été les regard qu'ils se jetaient l'un à l'autre comme des éclairs et les mots d'amour qu'ils se disaient.

[ocr errors]

Tout-à-coup, Héloïse s'arrêta: le remords venait de glisser dans son cœur comme la lame d'un poignard. – Jehan! dit-elle. Jehan vit une larme rouler dans ses yeux. - Jehan! et mon père?

[ocr errors]

:

Ecoute, dit Jehan à cette heure toute la ville est dans l'épouvante, on croit les Espagnols maîtres du Château.

Et mon père? Oh mon père! les mains de désespoir.

[ocr errors]

Et elle se tordit

Héloïse, continua l'écolier suppliant, daigne m'écouter ton père croit, sans doute, comme les autres, que les Espagnols se sont rendus maîtres des remparts; eh bien Héloïse, nous dirons qu'ils t'ont enlevée, cet.....

- Que tu m'as sauvée! s'écria Héloïse avec transport oui, c'est cela, n'est-ce pas Jehan, doux ami? Prends ces armes du soldat que tu as si fort effrayée, ce seront les dépouilles. O mon Dieu, merci !....... Le jour commençait à poindre, lorsque, tout-à-coup, nos amans virent venir de loin un homme armé, mais dans un désordre extraordinaire :

Mon père, cria Héloïse !

Le nouveau venu parut sortir d'un rêve profond; mais avant qu'il eût eu le temps de revenir à lui, Héloïse était dans ses bras. Il put à peine dire d'une voix éteinte, ma fille! et il s'évanouit.

La foule continuait ses acclamations sur le rempart, tandis que les capitouls, le viguier et le sénéchal, s'étaient avancés à la rencontre de François de Laurency, suivi de sa fille et de l'écolier Jehan.

A la vue des capitouls et de tous les habitans groupés sur les murailles, un observateur habile aurait pù s'apercevoir que la jeune fille se mordait les lèvres, comme pour réprimer une violente envie de rire, et que les joues du jeune homme se gonflaient comme prêtes à éclater; ce qui ne contrastait pas mal avec un certain air de modestie, répandu sur sa figure. Au demeurant, sauf le respect dù à nos ancêtres, ils devaient présenter ce jour-là un spectacle assez pittoresque, ainsi rangés sur le rempart, aux premiers rayons du soleil, dans un costume auquel une pudeur tant soit peu sévère aurait pu trouver à redire. Plusieurs étaient encore dans le simple appareil; quelques-uns, enveloppés dans une vaste houppelande, portaient belliqueusement un morion de fer sur le pacifique bonnet qui enveloppait leur chef; d'autres n'avaient qu'une soubreveste ils étaient tous, enfin, dans ce costume simple et léger, que nous prendrions encore au XIXe siècle, si un besoin pressant nous forçait à quitter le

:

lit, plus les armes dont chacun avait cru prudent de se munir.

Lorsque les capitouls furent à portée de l'entendre, François de Laurency s'écria de toute la vigueur de ses poumons:

Messeigneurs, reconnaissez en ce jeune homme le sauveur de notre ville; celui qui m'a rendu ma fille. Et l'heureux capitoul montrait Jehan qui, les yeux baissés, portant les armes du marchand drapier, semblait un général romain chargé des dépouilles opimes.

Je disais bien, pensa le viguier, qu'il y avait quelque chose comme cela.

En même temps, François de Laurency commença une énumération magnifique des hauts faits de l'écolier. Emporté par les sentimens qui l'animaient, il ne s'aperçut pas qu'il renchérissait lui-même sur la narration passablement enflée de Jehan, et que ses paroles présentaient des improbabilités choquantes. Mais ni le sénéchal, ni les capitouls, ni le viguier n'étaient disposés à le contredire: au contraire, chacun d'eux en particulier se mit plus tard à augmenter considérablement la liste des exploits de Jehan. La multitude en apprenant ces bizarres événemens les adopta sans examen, et ne contribua pas peu à les défigurer, en les grossissant; mais comme il parut impossible au bon sens du vulgaire qu'un seul homme eût arrêté à lui seul une bande d'Espagnols, la tradition se chargea d'expliquer le fait par l'intervention des bienheureux saint Sernin et saint Thomas, malgré le précepte, nec deus intersit; ce qui ne nuisit en rien à la probabilité de la chronique.

Les armes que Jehan avait conquises furent portées en triomphe à l'Hôtel-de-Ville, sur un magnifique carreau de velours écarlate aux armoiries de Toulouse. Jamais les habitans n'avaient vu dans leurs murs une cérémonie plus imposante: en un instant les rues furent tapissées, on dressa des arcs de triomphe sur toutes les places, un brillant cortége précédé de la bannière de la ville partit du château Narbonnais, et se dirigea vers la rue de la Porterie.

Les huit capitouls ouvraient la marche en grand costume; après eux venait le premier président, en manteau d'écarlate fourré d'hermine, précédé des huissiers avec leurs verges, et suivi des conseillers et autres officiers du parlement en robes rouges. Ensuite marchait le sénéchal, François de Roche Chouard, dans tout l'appareil de sa dignité : le viguier, précédé de ses sergens d'armes, fermait le cortége.

Les écoliers n'avaient pas oublié que le sauveur de la ville était un de leurs plus chers compagnons : ils avaient fabriqué à la hâte une sorte de litière, avec des festons de laurier, et avaient contraint Jehan à s'y asseoir. Quatre des plus vigoureux la portaient sur leurs épaules, et ils venaient im médiatement après le corps des autorités de la ville, sous la bannière de l'université les cloches sonnaient à grandes volées, la foule poussait de tous côtés ses joyeux noëls, et une musique guerrière lui répondait par ses belliqueux accens. Lorsqu'on arriva à l'Hôtel-de-Ville, le trophée fut aussitôt porté dans le donjon, et suspendu à la voûte de la salle des archives, avec une triple chaîne de fer. Les Modenais ne rendirent pas plus d'honneur

au fameux seau, enlevé aux habitans de Bologne, que les Toulousains n'en rendirent à ces glorieuses dépouilles chacun voulut les voir et les toucher de ses propres mains. On rapporte qu'un des bourgeois de la Cité, ayant mis plus d'empressement qu'aucun autre à aller les considérer, fit une singulière grimace en les aperçevant le fait est consigné dans les annales, et celui qui le rapporte ne sait trop comment l'expliquer), après avoir fait beaucoup de recherches, nous avons

découvert que cet homme n'était autre que le marchand drapier de la rue Bourg-au-Net, Thonnête et sensible Réné qui se garda bien, en aperçevant sa dépouille, d'en réclamer la propriété : depuis, il affecta toujours le plus grand enthousiasme, lorsqu'on parlait devant lui de ce monument de la gloire toulousaine. Jehan et Héloïse se marièrent et eurent de nombreux enfans. L'ÉCOLIER.

LE DÉMONIAQUE.

Pendant les dernières années du règne glorieux des Visigoths dans le Midi de la France, Toulouse, siège de leur gouvernement, était sans contredit la ville des Gaules la plus florissante. Sous la domination des enfans d'Alaric, une nationalité puissante s'était formée, que ne brisèrent point les Francs Mérovingiens, ni les Sarrasins d'Espagne. Les rois Goths de la famille de Baltes se fesaient distinguer par la modération, la justice et même l'aménité de leurs mœurs; comme les empereurs romains, ils portaient la pourpre, ils avaient une cour, ils jouissaient de toutes les délicatesses du luxe, et plusieurs de ces nouveaux Césars n'étaient pas insensibles à la poésie de Virgile et d'Horace. Appollinaire nous dépeint Théodoric jouant aux dez avec ses intimes, et perdant sans se plaindre les sommes les plus considérables. Voici quel moyen employait ce barbare pour se consoler de pareils revers: il appelait son secrétaire, et se faisait lire quelques chants de l'Enéide, qu'il aimait de prédilection. Toulouse, déja célèbre pendant la domination romaine par son amour des lettres, n'eut point de peine à conserver sous de tels rois son titre de cité Palladienne. Dans ses beaux jardins, qui s'étendaient sur les bords de la Garonne, des murs du château Narbonnais aux ruines du temple de Minerve, de nobles dames, des clercs et des grammairiens, des jurisconsultes et des évêques se réunissaient quelquefois pour consacrer leurs loisirs au culte des lettres.

Sous le règne d'Alaric, dernier roi de Toulouse, qui mourut de la main de Clovis dans les plaines de Vouglé, les hommes rares, qui ne laissaient point s'éteindre en eux l'amour des lettres, se réunissaient dans le palais du vieux duc Roderic, descendant des Amales. Le noble visigoth, que son grand åge tenait éloigné des assemblées tumultueuses de la nation, ne paraissait jamais à la cour d'Alaric; il était le dernier rejetton d'une noble famille qui avait régné sur les Goths avant leurs invasions dans l'empire romain, et l'éclat de son grand nom excitait la jalousie de ceux à qui la fortune avait donné le pouvoir. Le vieillard s'isolait dans ses souvenirs, et se trouvait heureux et content de réunir auprès de lui quelques graves amis au fond de son palais. Sa fille unique, qu'on appelait Blanchefleur, à

cause de sa beauté, lui consacrait sa jeunesse et trouvait son bonheur à remplir les devoirs de la piété filiale; ses grands biens cependant, sa noblesse, le crédit de son père, la grandeur de son origine, et sa beauté surtout fixaient sur elle les désirs et les projets des jeunes Visigoths les plus illustres; mais Blanchefleur, au lieu de laisser aller son ame vers le brillant avenir que lui promettaient tant de nobles cœurs, concentrait sur son père ses affections et ses soins; elle pensait avec crainte à la douleur qu'éprouve une jeune fille qui abandonne le toit de son père pour aller dans une maison étrangère, et, quand Roderic lui faisait observer que les ans avaient courbé sa tête, et qu'il irait bientôt peut-être rejoindre ses pères dans leurs froids cerails, Blanchefleur lui disait en pleurant qu'elle irait, elle, mourir au fonds d'un monastère, si Dieu la séparait de son père.

Ainsi, l'amour n'avait point de place en ce cœur pur, tout plein de chastes passions. Son désir de se consacrer à Dieu contristait son père, qui la destinait à un jeune comte, fils d'un ancien frère d'armes. Ce jeune comte, déja puissant dans la nation, et remarqué pour ses brillantes actions à la guerre, se nommait Euric: il aimait Blanchefleur, non pour sa noblesse, les esclaves et les terres du vieux Roderic; non pour les armes brillantes et l'or qu'il possédait, ni pour le château qu'il faisait garder par des hommes libres, ses vieux compagnons; il aimait Blanchefleur à cause de sa beauté. Imagination triste et passionnée, le noble Euric retrouvait dans la jeune fille l'image vivante de ces vierges guerrières, les blondes Valtairies, que ses pères avaient adorées dans la Scandinavie.

Un jour qu'il se promenait seul dans les Thermes, situés dans l'île de Tounis, un de ses affranchis vint l'avertir que l'on avait reçu de tristes nouvelles du vieux duc Roderic, retiré depuis quelques jours dans une villa qu'il possédait sur les bords de la Louge, près de Vernosole; on craignait pour ses jours, et sa fille Blanchefleur avait envoyé un émissaire à Germier, l'évêque, pour le supplier de faire venir près de son père un de ses esclaves qui était un habile médecin. Germier l'avait fait élever avec beaucoup de soin dans les meilleures écoles de la province, le destinant à

donner des soins aux pauvres de son église : l'esclave avait réalisé l'espoir de son maître avec un bonheur qui lui valut plus tard la liberté.

| qu'il était père. Pendant qu'il s'interrogeait lui-même, ces mots du testament qu'il entendit lui répondirent aussitôt je donne, disait le duc Roderic, ma fille Blanchefleur à Saint-Saturnin de Toulouse, pour qu'elle reçoive dans son église le voile des vierges, et vive selon les règles établies par les conciles. En écoutant ces paroles, Roderic se sentit comme frappé d'un coup mortel: il perdait tout espoir de posséder Blanchefleur; il tourna vers elle un regard désespéré, comme pour lui demander s'il devait croire ce qu'il venait d'entendre, et la noble fille baissa les yeux : tout espoir était perdu.

Euric, en apprenant cette triste nouvelle, fut fort affligé de penser que la fille de Roderic devait être en proie aux plus cruelles douleurs; écoutant à la fois son amitié pour le vieillard et son ardent amour pour Blanchefleur, il partit à cheval, sans autre suite que deux esclaves. A son exemple, tous les amis du vieux duc se hâtèrent d'aller le visiter, ceux surtout qui aspiraient à la main de sa fille; parmi ces derniers, on avait remarqué Valdemar, commandant des Marches d'Espagne, homme ambitieux, qui voulait monter sur le trône, et sollicitait secrètement le suffrage des Visigoths pour être élevé sur le pavois. En épou-il sant Blanchefleur, la fille des Amales, première race royale des Visigoths, il agitait des intérêts plus grands que ceux de la vie civile. Ce Valdemar avait prévenu le noble Euric auprès du vieillard mourant, mais ses instances auprès du père et de la fille n'eurent aucun effet dans un moment aussi cruel. Roderic avait déja depuis long-temps essayé les plus grands efforts pour fixer le choix de sa fille sur un époux, et, voyant ses efforts inutiles, le vieux duc y avait renoncé. La présence d'Euric, et sa douleur qu'il savait être sincère, redoublèrent un moment ses chagrins, mais il ne fit point de nouvelles tentatives auprès de sa fille, et son ame se détachant des intérêts temporels, à mesure qu'il voyait approcher le moment solennel, le silence et le calme de la mort se fixèrent insensiblement sur la couche où il s'éteignit. Euric lui ferma les yeux; les femmes emportèrent, dans les appartemens les plus reculés, Blanchefleur évanouie, et bientôt toute la maison retentit de plaintes : c'étaient les amis du vieux duc, ses compagnons d'armes, ses esclaves qui ne savaient point s'ils étaient affranchis, ni quel maître ils allaient servir.

Pendant que les parens du défunt, réunis autour de son corps, se disposaient à lire son testament, Euric s'éloigna pour aller apporter quelques secours à Blanchefleur. Le jeune homme voulait être à ses côtés, lorsqu'en reprenant ses esprits elle jetterait ses regards autour d'elle pour voir les amis et les soutiens qui lui restaient dans son malheur; il était si profondément affligé par ce spectacle qu'il avait sous les yeux et par la douleur de celle qu'il aimait, que le désir de calmer ses peines le préoccupait bien plus que l'espoir de la voir chercher un asyle dans son dévouement. Blanchefleur, entourée de ses femmes, pleurait, priait Dieu, et voulait revoir encore une fois le corps de son père. Euric lui parla de son dévouement, et voulut la retenir, mais la jeune fille s'obstina dans son désir; le se leva, et courut vers la chambre où son père était mort, Euric et les femmes la suivirent; le jeune comte l'arrêta lorsqu'elle allait passer le seuil de la porte. Blanchefleur ne lui en fit point de reproche, elle demeura immobile et muette, écoutant la lecture du testament qu'on fesait près du corps de Roderic.

Le duc donnait ses biens aux couvens et aux églises, ses esclaves aux prétres, à d'autres il accordait la liberté. Euric écoutait avec étonnement, sans comprendre pourquoi le vieillard disposait ainsi de tous ses biens en faveur des étrangers, comme s'il avait oublié

Euric, le désespoir dans l'ame, sortit de la villa et courut dans la campagne comme un insensé : tantôt fuyait comme un homme qui cherche à éviter un malheur; tantôt il s'arrêtait tout-à-coup, comme devant un obstacle infranchissable; quelquefois l'excès de la douleur le jetait dans de tels transports, qu'il perdait tout souvenir et tout sentiment de son existence. Blanchefleur perdue pour jamais, le vieil ami de son père mort, tel était son passé : et dans l'avenir, l'isolement, l'ennui, d'éternels regrets. Rien ne pouvait le distraire de son désespoir, parce qu'il était une de ces natures naïves et passionnées, qui se livrent à une espérance et ressentent une affection sans prévoir que l'espérance peut être détruite et le sentiment brisé. Blanchefleur allait se consacrer à Dieu, Euric la perdait; et sa vie n'avait plus de but, ses pensées étaient sans objet, il ne savait que faire de son cœur. Son esprit, toujours fortement préoccupé, ses sens ébranlés ne résistèrent pas à cet orage: du désespoir il tomba dans la folie.

Il erra long-temps seul dans les bois, se cachant dans les buissons comme une bête fauve, et se nourrissant de fruits sauvages. Des moines qui gardaient les troupeaux le rencontrèrent; ces moines appartenaient à l'église de Saint-Sernin, et le comte Euric, ayant été chargé de chaînes, fut conduit au monastère, près de Toulouse. C'est là qu'on devait lui prodiguer les soins de la science et les secours de la religion, pour chasser de son corps le démon du désespoir qui s'en était rendu le maître. Pendant que le malheureux jeune homme était conduit dans les salles où les démoniaques étaient renfermés, une jeune fille entrait dans l'asyle des diaconesses, pour se préparer à prendre le voile des vierges : c'était Blanchefleur.

Mais un obstacle imprévu devait contrarier les pieux desseins que la fille de Roderic venait exécuter. Parmi tous ceux qui désiraient son alliance, et que sa résolution de se consacrer à Dieu brisait dans leur plus chère attente, un homme s'était obstiné dans ses projets, et s'était bien promis de ramener Blanchefleur dans le palais de son père: c'était Valdemar. Il avait, comme nous l'avons dit, formé la résolution de détrôner Alaric, et pour donner à son ambition un prestige de gloire et de justice, il voulait s'unir à la fille des Amales. Cet homme d'ailleurs était catholique, et comptait de grands partisans parmi les évêques, qui obéissaient à regret à des princes ariens. Valdemar, pour acquérir à son parti encore plus de partisans que ne devait lui en donner sa puissance et ses grandes richesses, s'était fait le protecteur de quelques couvens qui selon l'usage de ces temps, où la force brutale

« PrécédentContinuer »