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randa son acquittement. Nous aimons, dit-il, à provoquer la cessation des rigueurs que Me Manzon s'était attirées par son refus de dire la vérité... Qu'elle oublie ses malheurs et qu'elle les fasse oublier; qu'elle renonce à cette célébrité que les femmes n'obtiennent jamais qu'aux dépens de leur bonheur : leur considération est dans l'estime et la tendresse de ceux qu'elles aiment et qu'elles doivent aimer; leur gloire est dans la pratique de ces vertus couces et modestes qui appartiennent à son sexe et que son cœur est capable d'apprécier....

M Romiguières, le défenseur de Bastide, ne plaida point. Il se leva pour dire que son client Bastide demandait la parole. Celui-ci lut en effet ces pages remarquables et si souvent citées, qui expliquaient le silence de l'avocat, et donnaient la mesure d'une louable réserve en même-temps que d'une généreuse habileté.

«Messieurs, dit-il, mon défenseur a lutté assez péniblement contre ma mauvaise fortune; il m'a aidé de ses conseils.

Je n'exige plus rien pour le moment.

Nul ne peut avoir aussi bien que moi la conviction de son innocence, c'est à moi seul de l'exprimer. »> En deux pages se trouvaient résumées et combattues toutes les charges que cette longue procédure avait réunies contre Bastide.

Le défenseur de Jausion chercha surtout, en combattant l'accusation, à écarter de sa tête la peine capitale qui semblait le menacer: « Lorsque Me Manzon doute encore, dit-il; lorsque l'incertitude est inséparable de ses discours, vous voudriez y trouver le garant de cette sécurité nécessaire pour arracher l'arrêt de mort. »

Les autres défenseurs s'efforcèrent vainement d'affaiblir les présomptions qui s'élevaient contre les autres accusés.

Mae Manzon voulut parler aussi. Elle raconta alors dans ce moment toujours plus solennel de la défense, que durant le cours des débats, tous les faits qui lui étaient personnels....

Une imprudence me conduisit dans la rue des Hebdomadiers. Le hasard me jeta dans la maison Bancal. Le plus affreux malheur m'y retint malgré moi. En vain je chercherais des expressions capables de rendre tout ce que j'éprouvai d'angoisses pendant le supplice de l'infortuné Fualdès. Ses efforts, pour échapper à ses bourreaux, ses prières pour les attendrir, plaintes, ses gémissemens, son agonie, son dernier soupir,.... j'entendis tout....

ses

Son sang coula près de moi.... En cherchant les moyens de fuir les assassins, j'attirai leur attention. Un d'eux s'offrit à mes regards. Ses mains fumaient encore du sang qu'il venait de répandre. Il m'en parut couvert.... Je ne vis plus qu'un cadavre et la mort.

Me Manzon expliqua ses contradictions, son embarras pendant tout le cours du procès. Les soupçons qu'elle pouvait avoir laissés dans quelques esprits se dissipèrent devant des explications franches, graves. C'étaient son serment, la crainte de voir périr son fils qui avaient retenue. Elle apprécia sa position dans les débats, et sa parole ferme et complètement oratoire, reprit toute l'autorité d'une accusation réfléchie, libre enfin, affranchie de toute crainte et de toute réserve. Nous devons transcrire encore.

» Un être, dirai-je, bienfaiteur.... m'a sauvé la vie... sans lui, Edouard, mon fils n'aurait plus de mère. La justice pourrait-elle m'adresser des reproches, et dans la supposition que mon libérateur soit coupable, en est-il moins mon libérateur? Liée par un serment que je croyais irrévocable, paralysée par la crainte d'être un jour victime d'une vengeance, entraînée par un sentiment de gratitude, accablée de cette idée que mes aveux devaient me couvrir de honte, alors qu'ils me feraient soupçonner d'une action infàme: tant de considérations réunies suffisaient-elles pour justifier mon silence ?.... J'ai pu me taire.... est-ce un crime ?........

» Le ciel m'est témoin qu'après le fils du malheureux que je vis massacrer, personne ne désire plus vivement que moi la découverte et la punition de ses meurtriers.... Mais devant cette masse énorme de preuves qui les accablait, j'étais convaincue que mon témoignage n'était pas indispensable.... Plus tard, presséo par le premier magistrat de l'Aveyron, une partie de la vérité s'échappa de mon sein; et si je l'ai désavouéo bientôt après, le motif n'en fut pas équivoque; il a a été bientôt connu. Déja subjuguée par une puissance oppressive, environnée de crainte et de terreur, les nouveaux moyens employés près de moi ne pouvaient être sans effet. Mon ame avait perdu toute énergie. Je promis de me rétracter; et cette promesse, je crus la devoir à l'amitié... à la reconnaissance !... Vous n'avez pas oublié, Messieurs, la fameuse séance du 22 août. Je me vis trahie par mes actions qui démentirent involontairement mes assertions orales; j'espérais concilier tous les intérêts; je mécontentai tout le monde ; je mo perdis.

Puis elle parla de ses incertitudes, de ses anxiétés, de ses craintes à la pensée du sort qui lui était réservé, et de l'image effrayante du cadavre de Fualdès, et elle ajouta dans un langage élevé:

« Voilà, Messieurs, une faible esquisse de ce que j'ai souffert pendant une année. Ne pensez pas, qu'en vous présentant la vérité, je cherche à émouvoir votre sensibilité. Ce n'est pas la pitié que je viens implorer; non, Messieurs; ce sentiment avilit trop celui qui en est l'objet; vous me rendrez justice. J'en trouve la garantie dans le choix qu'on a fait de vous. Je me crois complètement justifiée, non seulement à vos yeux, mais à ceux de l'Europe entière, dont je fixe malheureusement l'attention. Cependant, si je m'abusais, s'il existait encore des nuages, si je vous paraissais coupable.... que nulle considération ne vous arrète. Oubliez que j'appartiens à un père respectable, à un magistrat honoré; que mon frère, qui porte l'uniforme français, est couvert de blessures glorieuses; détournez vos regards de ce lit de douleur où gémit ma mère infortunée; fermez l'oreille aux cris de mon fils, frappez, Messieurs. Il est un bien qu'on ne peut me ravir, mon innocence et la force de supporter le malheur. >> Enfin elle termina ainsi :

« Pardonnez à ma fierté qui tient à mon caractère; elle est innée en moi; j'oublie que je suis sur le banc des accusés. J'oublie que je parle à mes juges. Je suis dans les fers, mais mon ame est indépendante; ct celle qui fut exempte de crimes, ne saurait se résoudro à demander grâce........ »

Ce discours fut prononcé avec une énergie pleine

d'assurance et d'émotion. Il produisit une impression profonde; et s'il eût pu rester encore quelque doute, dans ce moment le sort des accusés fut fixé. Les répliques des avocats furent dominées par ce témoignage imposant et si noblement exprimé de Mme Manzon. Le souvenir de la sympathie qu'elle avait éveillée autour d'elle, l'attitude de sa physionomie fière et pénétrée, aux audiences qui suivirent semblaient déjouer tous les efforts, et combattre toutes les discussions de détails qui survinrent.

Les débats furent résumés par M. le président. Il présenta un examen complet des moyens de l'accusation et de la défense dans la séance du 4 mai. A deux heures le jury entra en délibération. L'attention et la curiosité publique ne se démentirent pas un seul instant. Les dames restèrent aux tribunes, la salle fut constamment pleine. Chacun voulait assister au dénouement de ce drame qui agitait le pays depuis plus d'un an. On voulait lire sur le visage des accusés l'impression d'un arrêt de mort qui paraissait inévitable pour la plus part d'entr'eux. Après quatre heures et demie de délibération, le jury rentra en séance. Un silence profond s'établit. Le chef des jurés lut avec émotion la sentence qui déclarait Bastide et Jausion coupables de meurtre avec préméditation. La Bancal, Collard, Bach, complices avec préméditation. Meissonnier et Anne Benoit coupables de complicité sans prémédita

tion.

Mme Manzon fut déclarée non coupable à l'unanimité.

Après la lecture de cette déclaration, les accusés furent introduits. Jausion était faible et soutenu par des gendarmes; Bastide avait un air de fermeté qui contrastait avec l'abattement de Jausion. Collard paraissait calme et résigné. Anne Benoit paraissait souffrir. Me Manzon était humble et digne.

La déclaration du jury fut lue en présence des accusés; la Cour se retira pour délibérer. Pendant ce temps, Jausion se livra à tous les mouvemens du désespoir et de la douleur: Je suis innocent, s'écriait-il; quand je serai sur l'échafaud, je parlerai comme en ce moment; qu'on prenne mon argent, mais qu'on me laisse mes enfans... Puis il interpella Bach, et le somma de déclarer la vérité; Bach répondit qu'il l'avait révélée tout entière.

La Cour vint interrompre cette scène en prononçant sou arrêt : elle condamna Bastide, Jausion, la Bancal, Collard et Bach à la peine de mort; Anne Benoît aux travaux forcés à perpétuité; Meissonnier à deux années de prison.

Mme Manzon fut immédiatement mise en liberté.

Les gendarmes emmenèrent les condamnés au milieu des cris de douleur d'Anne Benoit, qui réclamait la

mort comme son amant.

Ainsi finirent le 4 mai 1818, les débats de ce procès deux fois jugé.

Les condamnés se pourvurent en cassation; en même temps, Bach, d'après le vœu du jury, fut recommandé à la clémence du roi, à cause de ses révélations.

Le 30 mai, le pourvoi en cassation fut rejeté; la nouvelle en fut transmise à Albi par un courrier extraordinaire. Le 2 juin, à dix heures du soir, le Pro

cureur du roi d'Albi reçut les dépêches du ministre de la justice, et l'exécution dut être préparée pour le lendemain 3 juin.

La Bancal promit de faire des révélations, et son exécution fut ajournée; la peine de Bach fut com

muée.

Bastide, Jausion et Collard furent avertis le 3 juin, au matin, que leur pourvoi avait été rejeté et qu'ils devaient se préparer à mourir le jour même.

A 4 heures, les prisons s'ouvrirent pour les condamnés. Bientôt ils furent sur l'échafaud. Collard était morne; Bastide montrait la même fermeté qu'il avait manifestée aux débats; Jausion s'écriait qu'il était innocent, et qu'au moment de mourir sa parole devait être sacrée ; il protesta au nom de sa famille et de ses enfans.

A quatre heures et demie, Bastide, Jausion et Collard n'étaient plus.

Ce procès laissa après lui un long retentissement. La ville d'Albi s'était accoutumée depuis six mois à cette agitation fébrile qui venait la remuer tous les jours par les mille incidens de ce long drame; les étrangers, les témoins, les parens des accusés et de la victime entretenaient par leur présence cette incessante avidité d'émotions et de trouble. Lorsque tout cela eut cessé, l'impression se prolongea quelque temps encore; comme après un grand orage, on entendit des bruits lointains et de sourds murmures: il semblait que cette longue traînée eût dù laisser encore quelque étincelle, que chacun était curieux de voir encore. Le Moniteur enregistrait de loin en loin les bruits qui lui venaient du lieu du crime où de l'exécution. Ainsi, on écrivait d'Albi que la ville était déserte, que les étrangers s'étaient retirés; une autre fois, on annonçait que tout était calme, comme si le calme eût été une chose étrange après un soulèvement général. Puis, c'était la Bancal qui fesait des révélations, comme si ces révélations allaient être une nouvelle source d'émotions parcilles; plus tard, c'étaient de nouveaux coupables qu'on avait découverts. Un jour on écrivit qu'un agent d'une compagnie de Paris était venu offrir 120,000 francs à Mme Manzon, pour qu'elle consentit à se montrer pendant trois mois à Tivoli: en même temps lon annonçait son refus à cette proposition; les moindres détails avaient une importance immense. Un jour on disait que Mme Manzon s'était réconciliée avec M. Enjelrand, son père, et qu'elle avait embrassé son fils Edouard. Puis c'était M. Didier Fualdès qui se rendait à Paris, afin d'obtenir une réduction sur les 100,000 f. de frais qu'avait coùtés cette procédure et qu'il était obligé de payer à la place des condamnés.

Quelque temps après l'exécution, une instruction fut faite contre quelques autres personnes; les débats de ce nouveau procès s'ouvrirent en décembre 1818: Yence d'Ystournet, Bessière-Veynac et le commissaire de police Constant furent poursuivis comme auteurs ou complices de l'assassinat de Fualdès. A l'audience du 28 décembre, Mme Manzon fut entendue, et après quelques questions sur Bessière-Veynac, elle dit d'un ton ferme « Je le reconnais parfaitement, et je le déclare un des assassins de Fualdès. Je crois reconnaître l'homme que je rencontrai dans la rue; c'était en effet Yence d'Ystournet. » Mme Manzon répéta sa

déclaration à l'audience du 30 décembre; la Bancal crut également reconnaître Bessière-Veynac: quelques présomptions s'élevèrent contre Constant. Cependant, après plus de quinze audiences, le jury, dans la séance du 14 janvier 1819, déclara Bessière-Veynac, Yence, et Constant non coupables.

Cet arrêt mit fin à toutes les poursuites que la justice avait commandées; mais la condamnation et l'exécution de Bastide, de Jausion, de Collard avaient absorbé tout l'intérêt, épuisé toutes les impressions; ces dernières poursuites semblèrent presque étrangères au crime déja expié.

Tel fut le procès Fualdès. Si l'on cherche maintenant à se rendre compte des motifs d'intérêt qui s'attachèrent à ce procès, on en trouve de nombreux sans doute; mais ce n'est pas tout cependant; l'assassinat de Fualdès se signale par un caractère particulier, qu'explique le caractère de celui qui le conçut et l'exécuta Bastide semble lui imprimer une physionomie propre, et dans laquelle son ame vient se refléter. Sans doute, le rang de la victime, l'intervention bizarre et comme providentielle de Mme Manzon, ont dû être une source féconde d'émotions; sans doute les scènes si dramatiques qui se passaient aux débats, ces apostrophes vives et inattendues : « Vous êtes un malheureux, vous avez voulu m'égorger.... » Cette réserve long-temps contenue et qui éclate, après une année, par des accusations pressantes, des révélations complètes, par des accens de frayeur et d'amère énergie; tout cela a pú répandre sur ce procès une célébrité qu'expliquent d'ailleurs les événemens étranges dont il se compliqua. Mais l'imagination ne se trouve pas frappée par ces incidens, si dramatiques qu'ils aient pu étre; ce qui la saisit, comme pour dominer tous les faits de ce procès, c'est Bastide. Le caractère et la conduite de cet homme reviennent à la pensée, et semblent se détacher de tous les autres pour l'occuper tout entière. Jausion n'est qu'un assassin timide, qui ne sait porter qu'un coup mal assuré, qui recule d'horreur devant l'idée d'un nouveau crime, parce que ce crime n'était pas convenu, et préfère reconduire tranquillement Mme Manzon dans la ville, après avoir placé sous la foi d'un serment de femme le secret d'un horrible assassinat. Collard, Bach, Meissonnier, Bancal ne sont que de vulgaires agens, qui croient pouvoir s'enrôler sans crainte sous toutes les bannières, que l'influence du nom et de la position, comme chez Bastide et Jausion, sait toujours faire adopter aux êtres dépravés de la foule. Anne Benoît et la Bancal, cette matrone de 'mauvais lieu, ne sont que des femmes préparées au crime par le vice; qui obéissent à la voix de leur amant et de leur mari, comme le faible obéit au fort, sans direction et sans volonté propre, et tiennent le bras ou le corps de la victime qu'on égorge, avec le même sang-froid et la même stupidité qu'elles remuent le sang dans le baquet. Mais Bastide est un assassin d'un autre espèce et qui se distingue parmi toutes les classes d'assassins. L'on comprend cet horrible meurtrier systématique, sans relations et sans famille, poussé dans la voie du crime réfléchie, par la misère, par le tumulte et l'enivrement de la grande ville, par l'espoir probable de l'impunité. L'on comprend ces grossiers empoisonneurs de campagne, qui se préparent de

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longue main et en secret, et qui s'imaginent qu'on n'apercevra pas le crime, parce qu'il n'y aura pas eu du sang répandu; et entre ces deux genres, qui sont comme les deux points extrêmes, l'on comprend encore toutes les classifications intermédiaires, que l'échafaud et le bagne se disputent chaque année; mais il y a chez Bastide des signes autrement remarquables de décision et de cruauté. Voyons plutôt Bastide appartient à une famille d'un rang distingué, il exerce des fonctions réservées aux hommes entourés de la confiance publique, il est marié à une femme de mœurs douces, la justice n'a jamais eu à flétrir aucun de ses actes; mais lorsqu'il a eu conçu la pensée de l'assassinat, n'est-il pas surprenant de voir avec quelle rapidité et quelle hardiesse cette nature se développe et marche dans le crime, comme dans une voie accoutumée suivons-le. Quelques jours avant le 19 mars, il a formé le projet d'assassiner Fualdès. Fualdès est son ami et même son parent; n'importe, Bastide ne reculera pas; lorsqu'il ne retourne pas à Gros, daus sa famille, c'est chez Fualdès qu'il se retire et qu il reçoit une hospitalité familière depuis vingt ans, n'importe, il oubliera tout. Il organise le crime, il embauche Jausion, son beaufrère, et quelques autres; il s'associe Bancal, Collard, Bach, que sais-je encore. Il prépare Bousquier, Meissonnier, il se confie à vingt personnes, comme pour une expédition généreuse; il se met à la tête et au niveau d'hommes sans aveu, de femmes de mauvaise vie; puis, quand tout est prêt, il donnera rendez-vous à Fualdes. Bastide dut avoir en vérité quelques jours de bien sombre vertige; le soir venu, il se prépare au meurtre par un repas au milieu de sa troupe, tandis qu'il a apposté des joueurs de vielle, afin d'étouffer le bruit des verres, et bientôt les cris de la victime. A huit heures, M. Fualdès est enlevé dans la rue des Hebdomadiers; on le bâillonne, on le transporte chez la Bancal, Bastide lui fait signer des papiers et ose le regarder en face pendant près d'une heure peut-être, à la lueur de cette horrible petite lampe qui éclaire mal la grande cuisine de la Bancal. Cela fait, il lui annonce qu'il faut mourir, et malgré la prière du malheureux, il lui refuse un moment pour se préparer à la mort, et il lui refuse avec une grossière ironie. Il l'étend sur une table, et il l'égorge, tandis qu'un baquet reçoit le sang. Fualdès mort, un bruit se fait entendre, Bastide accourt: une femme se précipite, il la saisit vivement d'une main, tandis que de l'autre il tient son grand couteau, l'entraîne sous la lueur de la lampe, et veut l'égorger encore; on la lui arrache. Bastide est inquiet cependant, il cherche autour de lui; il trouve la petite Bancal dans un lit voisin, et il veut l'égorger aussi. Lorsque tout est terminé, il dispose ses gens; s'il en est qui résistent, il leur commande avec l'autorité de la force, et les menace de mort. Puis il se met à leur této pour aller porter le cadavre dans l'Aveyron. A le voir avec sa grande taille et son fusil incliné, précédant le cortége, et marchant vers la rivière, ne le prendrait-on pas pour un de ces terribles chefs de bandits, vivans organisés dans les montagnes, et accoutumé à commander à ces sortes de convois funèbres. Il est arrêté; et pendant près d'une année d'épouvantables débats, il raille ou sourit avec impassibilité, et ne s'effraie de rien. Enfin la dernière heure venue, il

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CHARLES CAZAULX ET PIERRE LIBERTAT,

OU LES DEUX TRIBUNS DE MARSEILLE.

1596.

Matin trois fois heureux par Théodul blanchi,
La croix d'or de la rouge a la perse affranchi.
Guise vient, Cazaulx meurt, Doria fuit et d'Aix.
Pertaux clos à Bellone, ouvrez-vous à la paix.
LOYS DE GALLAUP (1).

Les villes de Provence avaient ouvert leurs portes aux généraux d'Henri IV qui venait d'être proclamé roi de France, et d'obtenir l'absolution du Saint Père qui le reconnaissait pour le fils ainé de l'Eglise. Les ligueurs qui n'avaient eu d'autre but en prenant les armes que de sauver le catholicisme, des attaques de l'hérésie se soumirent à l'autorité royale; mais plusieurs chefs qui trouvaient dans les interminables guerres de religion un sur moyen de satisfaire leur ambition, ou d'accomplir des desseins politiques, résistèrent à l'effervescence générale, et s'obstinèrent à ne pas connaître pour roi de France, Henri de Béarn, Henri l'hérétique.

De ce nombre était Charles Cazaulx, consul de la ville de Marseille. Ce tribuu, dont l'énergie et le noble caractère ont été méconnus par les historiens contemporains, avait rêvé pour sa patrie, le rétablissement du gouvernement démocratique. Il ne cessait de répéter à ses concitoyens que Marseille la Phocéenne, avec son beau port, ses innombrables vaisseaux, sa puissance maritime, verrait sa prospérité décroître sous la domination du roi de France; qu'ils devaient se constituer en république sous la protection d'un monarque étranger.

Ces discours prononcés sur les places publiques exaltaient la fougue méridionale, et les habitans de Marseille promirent avec serment obéissance pleine et entière à leur consul.

Cependant, Lesdiguières avait soumis à l'autorité d'Henri IV le places fortes de la haute Provence; le parlement d'Aix avait vérifié ses lettres de lieutenant'général; il ne restait que la ville de Marseille à l'ancien parti de la ligue. Charles Cazaulx y maintenait sa domination indépendante et y jouait, en quelque sorte

(1) César de Nostradame dans son Histoire de Provence, explique ainsi ces deux distiques :

«Le sens du premier distique étant tel que la fête de saint >> Théodul est solennisée le 17mc de février, jour auquel >> Charles de Bourbon qui se campa devant Marseille, et fut » tué devant Rome, nâquit; la croix d'or dénote la croix de >> Lorraine ou de Godefroy, au centre des Guisards; la perse » ou céleste, celle de saint Lazare, évêque et patron de Mar»seille; la rouge celle d'Alphonse, roi, surnommé le catho » lique. »>

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le rôle de dictateur. Il comptait sur la faveur et l'enthousiasme populaires. Les Marseillais avaient manifesté trop ouvertement leur haine contre la royauté pour se soumettre au lieutenant-général. Ils s'étaient déterminés à se défendre jusqu'à la dernière extrémité, et Cazaulx ne négligeait rien pour entretenir un enthousiasme qui allait toujours croissant. La soumission de la ville d'Arles, les menaces du duc de Guise qui se préparait à marcher contre Marseille, effrayèrent l'intrépide consul: il sentit le besoin de recourir à une puissance étrangère, et cette puissance ne pouvait être que l'Espagne auxiliaire intéressée des ennemis d Henri IV. Il demanda au roi catholique des secours d'argent et de soldats. Jean-André Doria, qui commandait une escadre de vingt galères sur les côtes d'Italie, fit entrer dans le port de Marseille quatorze cents hommes d'infanterie vers la fin du mois de décembre. Ce renfort inattendu rendit le courage et la confiance aux ligueurs; la ville fut illuminée, il y eut des réjouissances publiques. Charles Cazaulx s'arrachant aux ovations que le peuple lui destinait, réunit ses fougueux conseillers dans une des salles de l'Hôtel-de-Ville.

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