un vaiffeau qu'on avoit préparé; on arrive à Samos. Hegefippe y laiffe ces deux malheureux; & pour mettre le comble à leur malheur,il les laiffe ensemble.Là ils fe reprochent avec fureur l'unà l'au tre les crimes qu'ils ont faits,& qui font caufe de leur chûte : ils fe trouvent fans esperance de revoir Salente, condamnez à vivre loin de leurs femmes & de leurs enfans; je ne dis pas loin de leurs amis,car ils n'en avoient point. On les menoit dans une terre inconnue, où ils ne devoient plus avoir d'autre reffource pour vi vre que leur travail, eux qui avoient paffé tant d'années dans les délices, & dans le fafte femblables à deux bêtes farouches, ils étoient toûjours prêts à fe déchirer l'un l'autre.

Cependant Hegefippe demanda en quel lieu de l'ifle demeuroit PhiC 3 locles.

locles. On lui dit qu'il demeuroit affez loin de la ville fur une montagne où une grote lui fervoit de maison. Tout le monde lui parla avec admiration de cet Etranger. Depuis qu'il eft dans cette ifle, luk difoit-on, il n'a offense personne. Chacun est touché de fa patience, de fon travail, & de fa tranquilité; n'ayant rien,il paroît toûjours content. Quoiqu'il foit ici loin des affaires, fans bien & fans autorité,il ne laiffe pas d'obliger ceux qui le meritent,& il a mille indus tries pour faire plaifir à tous fes voisins.

Hegefippe s'avance vers cette grote, il la trouve vuide & ouverte; car la pauvreté & la fimplicité des mœurs de Philocles faifoit qu'il n'avoit en fortant aucun befoin de fermer fa porte; une natte de jonc groffiere lui fervoit de lit. Rarement il allumoit du feu, parce qu'il ne mangeoit rien de

cuit. Il fe nourriffoit pendant l'Eté de fruits nouvellement cueillis, & en Hyver de dattes & de figues féches.Une claire fontaine qui fai foit une nappe d'eau en tombant d'un rocher, le défalteroit ; il n'avoit dans fa grotte que les inftru-, mens neceffaires à la fculpture, &, quelques livres qu'il lifoit à certaines heures, non pour orner fon efprit, ni pour contenter fa curiofité, mais pour s'instruire en se délaffant de les travaux, & pour ap prendre à être bon. Pour la fculpture,il ne s'y appliquoit que pour exercer fon corps,fuir l'oifiveté,& gagner fa vie, fans avoir befoin de perfonne.

Hegefippe en entrant dans la grotte,admira les ouvrages qui é toient commencez. Il remarqua un Jupiter dont le vifage ferain étoit fi plein de majesté, qu'on le reconnoiffoit aifément pour le pere des Dieux & des hommes. D'un € 4

autre

autre côté paroiffoit Mars avecune fierté rude & menaçante:mais ce qui étoit de plus touchant étoit une Minerve qui animoit ces arts fon vifage étoit noble & doux fa taille grande & libre: elle étoit dans une action fi vive qu'on auroit pû croire qu'elle alloit marcher. Hegefippe ayant pris plaifir à voir les ftatues, fortit de la grotte, & vit de loin fous. un grand arbre Philocles qui lifoit fur le gazon; il va vers lui, & Philocles qui l'apperçoit, ne fçait que croire. N'est-ce point là, ditil en lui-même, Hegefippe avec qui j'ai fi longtems vécu en Créte? Mais quelle efperance qu'il vienne dans une ifle fi éloignée ? Ne feroit-ce point fon ombre qui viendroit après fa mort des rives du Styx?

· Pendant qu'il étoit dans ce doute,Hegefippe arriva fi proche de lui, qu'il ne pût s'empêcher de le

recon

reconnoître & de l'embraffer.Eft ce donc vous, dit-il, mon cher & ancien ami? Quel hazard, quelle tempête vous a jetté fur ce riva ge? Pourquoi avez-vous aban donné l'ifle de Crete? Est-ce une disgrace semblable à la mienne, qui vous arrache à notre pa

trie ?

Hegefippe lui répondit: Ce n'eft point une difgrace; au contraire, c'est la faveur des Dieux qui m'amene ici. Auffitôt il lui raconta la longue tyrannie de Protefilas, fes intrigues avec Timocrate les malheurs où ils avoient précipité Idomenée, la chûte de ce Prince, fa fuite fur les côtes de l'Hefperie, la fondation de Salente l'arrivée de Mentor & de Telemaque, les fages maximes dont Mentor avoit rempli l'efprit du Roi, & la difgrace des deux traîtres: il ajoûta qu'il les avoir menez CS