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LE S

AVANTURES

D E

TELEMAQUE,

FILS D'ULYSSE.

LIVRE TREIZIEME.

Eja la réputation du
gouvernement doux &
moderé d'Idomenée
attire en foule de tous

côtez, des peuples qui viennent
s'incorporer au fien, & chercher
leur bonheur fous une fi aimable
domination.

Déja ces campagnes, qui a-
voient été fi longtems couvertes
Tome II.
A

de

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de ronces & d'épines, promettent de riches moiffons & des fruits jufqu'alors inconnus. La terre ou vre fon fein au tranchant de la charue, & prépare fes richeffes pour récompenfer le laboureur : l'efperance reluit de tous côtez. On voit dans les valons & fur les colines les troupeaux de moutons qui bondiffent fur l'herbe, & les grands troupeaux de bœufs & de geniffes qui font retentir les hautes montagnes de leurs mugiffe mens: ces troupeaux fervent à engraiffer les campagnes. C'est Mentor qui a trouvé le moyen d'avoir ces troupeaux. Mentor confeille à Idomenée de faire avec les Peucetes, peuples voifins, un échange de toutes les chofes fuperflues qu'on ne vouloit plus fouffrir dans Salente, avec ces troupeaux qui manquoient aux Salentins.

En même tems la Ville & les

Villages d'alentour étoient pleins d'une belle jeuneffe qui avoit lan gui longtems dans là mifere, & qui n'avoit ofé fe marier de peur d'augmenter leurs maux. Quand ils virent qu'Idomenée prenoit des fentimens d'humanité,& qu'il vouloit être leur pere, ils ne craignirent plus la faim & les autres fleaux par lefquels le Ciel afflige la terre. On n'entendoit plus que des cris de joie, que les chansons des Bergers & des Laboureurs qui celebroient leurs Hymenées. On auroit crû voir le Dieu Pan avec une foule de Satyres & de Faunes mêlez parmi les Nymphes, & danfant au fon de la fûte à l'om bre des bois. Tout étoit tranquile & riant; mais la joie étoit moderée, & ces plaifirs ne fervoient qu'à délaffer des longs travaux:ils en étoient plus vifs & plus purs.

Les Vieillards étonnez de voir ce qu'ils n'auroient ofé efperer dans

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dans la fuite d'un fi long âge,pleu roient par un excès de joie mêlée de tendreffe: ils levoient leurs mains tremblantes vers le Ciel. Beniffez, difoient-ils, ô grand Ju piter, le Roi qui vous reffemble,& qui eft le plus grand don que vous nous ayez fait, Il est né pour le bien des hommes,rendez-lui tout le bien que nous recevons de lui. Nos arrieres-neveux venus de ces mariages qu'il favorife, lui devront tout jufqu'à leur naiffance', & il fera veritablement le pere de tous fes fujets. Les jeunes hommes & les jeunes filles qui's'époufoient, ne faifoient éclater leur joie qu'en chantant les louanges de celui de qui cette joie fi douce leur étoit venue. Les bouches & encore plus les cœurs étoient fans ceffe remplis de fon nom. On fe croyoit heureux de le voir, on craignoir de le perdre: fa perte eut été la défolation de chaque famille SA

Alors

Alors Idomenée avoua à Mentor qu'il n'avoit jamais fenti de plaifir auffi touchant que celui d'être aimé, & de rendre tant de gens heureux. Je ne l'aurois jamais crû, difoit-il, il me fembloit que toute la grandeur des Princes ne confiftoit qu'à fe faire craindre que le refte des hommes étoit fait pour eux; & tout ce que j'avois oui dire des Rois, qui avoient été l'amour & les délices de leurs peuples,me paroiffoit une pure fable; j'en reconnois maintenant la verité. Mais il faut que je vous raconte comment on avoit empoifonné mon cœur dès ma plus tendre enfance fur l'autorité des Rois. C'eft ce qui a caufé tous les malheurs de ma vie. Alors Idomenée commença cette narration:

Protefilas, qui eft un peu plus âgé que moi, fut celui de tous les jeunes gens que j'aimois le plus; fon naturel vif & hardi étoit felon A 3

mon

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