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Mentor dans les routes fombres d'un petit bois voifin. Là il apperçoit tout-à-coup que le vifage de fon ami prend une nouvelle forme: les rides de fon front s'effaçent, comme les ombres difparoiffent, quand l'aurore de fes doigts de rofe ouvre les portes de l'Orient & enflâme tout l'horifon; fes yeux creux & aufteres fe chan. gent en des yeux bleux d'une couleur celefte, & pleins d'une flâme divine; fa barbe grise & négligée difparoît ; des traits nobles & fiers, mêlez de douceur & de grace, fe montrent aux yeux de Telemaque ébloui; il reconnoît un vifage de femme avec un teint plus uni qu'une fleur tendre & nouvellement éclofe au Soleil: on y voit la blancheur des lys mêlée de roses naiffantes. Sur ce vifage fleurit une éternelle jeuneffe avec une majefté fimple & ne

gligée;

gligée, une odeur d'ambroifie fe répand de fes cheveux flotans : fes habits éclatent comme les vives couleurs, dont le Soleil en fe levant peint les fombres voûtes du Ciel, & les nuages qu'il vient dorer. Cette Divinité ne touche pas du pied à terre, elle coule legerement dans l'air comme un oifeau le fend de fes aîles; elle tient de fa puiffante main une lance brillante, 'capable de faire trembler les Villes & les Nations les plus guerrieres. Mars même en seroit effrayé, fa voix eft douce & moderée, mais forte & infinuante;toutes les paroles font des traits de feu qui percent le cœur de Telemaque, & qui lui font reffentir je ne fai quelle douleur délicieufe; fur fon cafque paroît l'oifeau trif te d'Athenes, & fur fa poitrine brille la redoutable Egide. A ces marques Telemaque reconnoît Minerve.

O Déeffe, dit-il,c'eft donc vousmême qui avez daigné conduire le fils d'Ulyffe pour l'amour de fon pere! Il vouloit en dire davantage, mais la voix lui manqua, fes lévres s'efforçoient en vain d'exprimer les pensées qui fortoient avec impetuofité du fond de fon cœur. La Divinité présente l'accabloit,& il étoit comme un homme, qui dans un fonge eft oppreffé jufqu'à perdre la refpiration, & qui par l'agitation pénible de fes lévres ne peut former aucune

voix.

Enfin Minerve prononça ces paroles Fils d'Ulyffe, écoutezmoi pour la derniere fois. Je n'ai inftruit aucun mortel avec autant de foin que vous ; je vous ai mené par la main au travers des naufrages,des terres inconnues, des guerres fanglantes, & de tous les maux qui peuvent éprouver le cœur de

l'hom.

l'homme. Je vous ai montré par des experiences fenfibles les vraies & les faufles maximes par lefquelles on peut regner : vos fautes ne vous ont pas été moins utiles que vos malheurs. Car quel eft l'homme qui peut gouverner fagement, s'il n'a jamais fouffert, & s'il n'a jamais profité des fouffrances où fes fautes l'ont précipité ? Vous avez rempli, comme votre pere, les terres & les mers de vos triftes. avantures. Allez, vous êtes maintenant digne de marcher fur fes pas; il ne vous refte plus qu'un court & facile trajet jusqu'à Ithaque, où il arrive dans ce moment; combattez avec lui, & obéiffezlui comme le moindre de fes fujets; donnez-en l'exemple aux au tres: il vous donnera pour épouse Antiope, & vous ferez heureux avec elle, pour avoir moins cherché la beauté que la fageffe & la V 6

vertu.

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vertu. Lorsque vous regnerez, mettez toute votre gloire à renouveller l'âge d'or, écoutez tout le monde, croyez peu de gens: gardez-vous bien de vous croire trop vous-même craignez de vous tromper: mais ne craignez jamais de laiffer voir aux autres que vous avez été trompé: aimez les peuples, n'oubliez rien pour en être aimé. La crainte eft néceffaire quand l'amour manque : mais il la faut toujours employer à regret comme les remedes violens & les plus dangereux. Confiderez tou jours de loin toutes les fuites de ce que vous voulez entreprendre ; prévoyez les plus terribles inconveniens, & fachez que le vrai courage confifte à envifager tous les périls, & à les mépriser quand ils deviennent néceffaires ; celui qui ne veut pas les voir, n'a pas affez de courage pour enfupporter tran

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