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leur dire que tout va bien; & pendant qu'ils font dans leurs plaifirs, ils ne veulent rien voir ni entendre qui puiffe interrompre leur joie. Faut-il reprendre, corriger, détromper quelqu'un, résister aux prétentions, & aux passions injuftes d'un homme importun? ils en donneront toûjours la commiffion à une autre perfonne, plûtôt que de parler eux-mêmes avec une douce fermeté. Dans ces occa. fions, ils fe laifferoient plûtôt arracher les graces les plus injuftes ; ils gâteroient les affaires les plus importantes, faute de favoir décider contre le fentiment de ceux avec qui ils ont à faire tous les jours. Cette foibleffe qu'on fent en eux, fait que chacun ne fonge qu'à s'en prévaloir; on les preffe, on les importune, on les accable, & on réuffit en les accablant.D'abord on les flâte, & on les encenfe S2 pour

pour s'infinuer; mais dès qu'on eft dans leur confiance, & qu'on eft auprès d'eux dans les emplois de quelque autorité, on les mene loin, on leur impose le joug, ils en gémiffent, ils veulent fouvent le fecouer, mais ils le portent toute leur vieils font jaloux de ne paroître point gouvernez, & ils le font toujours, ils ne peuvent même fe paffer de l'être; car ils font femblables à ces foibles tiges de elles-mêvignes, qui n'ayant par mes aucun foûtien, rampent toûjours autour du tronc de quelque grand arbre.

Je ne fouffrirai point, ô Telemaque, que vous tombiez dans ce défaut,qui rend un homme imbecile pour le gouvernement. Vous qui êtes tendre jufqu'à n'ofer parler à Idomenée, vous ne ferez plus touché de fes peines, dès que vous ferez forti de Salente. Ce n'eft

point

point fa douleur qui vous attendrit,c'eft fa prefence qui vous embaraffe. Allez parler vous-même à Idomenée, apprenez dans cette occafion à être tendre, & ferme tout ensemble : montrez-lui votre douleur de le quiter; mais montrez-lui auffi d'un ton décifif la neceffité de votre départ.

Telemaque n'ofoit ni résister à Mentor, ni aller trouver Idomenée, il étoit honteux de fa crainte, & n'avoit pas le courage de la furmonter; il hefitoit, il faifoit deux pas, & revenoit incontinent pour alleguer à Mentor quelque nouvelle raifon de differer : mais le feul regard de Mentor lui ôtoit la parole, & faifoit difparoître tous fes beaux prétextes. Eft-ce donc là, difoit Mentor en foûriant, ce vainqueur des Dauniens liberateur de la grande Hefperie, & ce fils du fage Ulyffe, qui doit S 3 être

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ce

être après lui l'oracle de la Gre ce? Il n'ofe dire à Idomenée qu'il ne peut plus retarder fon retour dans fa patrie pour revoir fon pere. O peuple d'Ithaque: combien feriez-vous malheureux un jour,fi vous aviez un Roi que la mauvai, fe honte domine,& qui facrifie les plusgrands interêts à fes foiblesses fur les plus petites choses. Voyez, Telemaque, quelle difference il y a entre la valeur dans les combats &le courage dans les affaires:vous n'avez point craint les armes d'Adrafte,& vous craignez la tristesse d'Idomenée. Voilà ce qui deshonore les Princes, qui ont fait les plus grandes actions: après avoir paru des Heros dans la guerre, ils fe montrent les derniers des hommes dans les actions communes où d'autres fe foûtiennent avec vigueur.

Telemaque fentant la verité de

ces

ces paroles,& piqué de ce reproche, partit brufquement fans s'écouter foi-même : mais à peine commença-t-il à paroître dans le lieu où Idomenée étoit affis, fes yeux baiffez, languiffans & abatus de trifteffe, qu'ils fe craignirent l'un l'autre : il n'ofoit le regarder; ils s'entendoient fans fe rien dire, & chacun craignoit que l'autre ne rompît le filence; ils fe mirent tous deux à pleurer. Enfin Idomenée preffé d'un excès de douleur, s'écria: A quoi fert de rechercher la vertu,fi elle récompense fi mal ceux qui l'aiment? Après m'avoir remontré ma foibleffe on m'abandonne : Hé bien : je vais retomber dans tous mes malheurs; qu'on ne me parle plus de bien gouverner; non, je ne puis le faire, je fuis las des hommes. Où voulez-vous al. ler, Telemaque? Votre pere n'est plus, vous le cherchez inutile

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