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mandé à être conduit vers ceux qui gouvernent dans cette côte de l'Hefperie, & on l'amene ici pour le faire parler aux Rois af Temblez.

A peine ce difcours fut-il achevé, qu'on vit entrer cet inconnu avec une majesté qui furprit toute l'assemblée. On auroit crû facilement que c'étoit le DieuMars, quand il affemble fur les montagnes de la Thrace fes troupes fanguinaires. Il commença à parler ainfi:

O vous, Pasteurs des peuples qui êtes fans doute affemblez ici pour défendre la patrie contre fes ennemis, ou pour faire fleurir les plus juftes loix, écoutez un homme que la fortune a perfecuté.Faffent les Dieux que vous n'éprou viez jamais de femblables malheurs. Je fuis Diomede Roi d'Etolie qui bleffai Venus au fiege de Troye. La vengeance de cette Déeffe

Déeffe me pourfuit dans tout l'Univers. Neptune qui ne peut rien refuser à la divine fille de la Mer m'a livré à la rage des vents & des Alots, qui ont brifé plufieurs fois mes vaiffeaux contre les écueils. L'inexorable Venus m'a ôté toute efperance de revoir mon Roiaume,ma famille, & cette douce lumiere du païs où j'ai commencé de voir le jour en naiffant. Non, je ne reverrai jamais tout ce qui m'a été le plus cher au monde. Je viens après tant de naufrages chercher fur ces rives inconnues un peu de repos & une retraite affurée. Si vous craignez les Dieux, & fur tout Jupiter qui a foin des étrangers: fi vous êtes fenfibles à la compaffion, ne me refusez pas dans ces vastes païs quelque coin de terre infertile, quelques deferts,quelques fables,ou quelques rochers efcarpez, pour y fonder avec mes compagnons une Ville P 3

qui

qui foit du moins une triste image de notre patrie perdue. Nous ne demandons qu'un peu d'espace qui vous foit inutile.Nous vivrons en paix avec vous dans une étroite alliance; vos ennemis feront les nôtres; nous entrerons dans tous vos interêts; nous ne demandons que la liberté de vivre selon nos loix.

Pendant que Diomede parloit ainfi, Telemaque ayant les yeux attachez fur lui, montra fur fon vifage toutes les differentes paffions. Quand Diomede commen. ça à parler de ses longs malheurs, il efpera que cet homme majeftueux feroit fon pere. Auffitôt qu'il eut déclaré qu'il étoit Diomede, le vifage de Telemaque fe flêtrit comme une belle fleur que les noirs aquilons viennent de ternir de leur foufle cruel. Enfuite les paroles de Diomede qui fe plaignoit de la longue colere d'une Divini

té,

té, l'attendrirent par le fouvenir des mêmes difgraces fouffertes par fon pere & par lui. Des larmes mêlées & de douceur & de joie, coulérent fur fes joues,& il fe jetta tout-à-coup fur Diomede pour l'embraffer.

!

Je fuis,dit-il, le fils d'Ulyffe que vous avez connu, & qui ne vous fut pas inutile quand vous prîtes les chevaux fameux de Rhesus. Les Dieux l'ont traité comme vous fans pitié. Si les Oracles de l'Erebe ne font pas trompeurs, il vit encore: mais helas il ne vit point pour moi. J'ai abandonné Ithaque pour le chercher ; je ne puis revoir maintenant ni Ithaque nilui. Jugez par mes malheurs de la compaffion que j'ai pour les autres. L'avantage qu'il y a à être malheureux,c'eft qu'on fçait compatir aux peines d'autrui. Quoique je ne fois ici qu'étranger, je puis,ô grand Diomede, (car mal

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gré

gré les miferes qui ont accablé ma patrie dans mon enfance, je n'ai pas été affez mal élevé pour ignorer quelle eft votre gloire dans les combats. ) Je puis, ô le plus invincible de tous les Grecs, après Achille,vous procurer quelque fecours. Ces Princes que vous voyez font humains; ils favent qu'il n'y a ni vertu, ni vrai courage, ni gloire folide fans l'humanité.Le malheur ajoûte un nouveau luftre à la gloire des grands hommes; il leur manque quelque chofe tandis qu'ils n'ont jamais été malheureux. Il manque dans leur vie des exemples de patience & de fermeté; la vertu fouffrante attendrit tous les cœurs qui ont quelque goût pour la vertu. Laisfez-nous donc le foin de vous confoler, puifque les Dieux vous menent à nous, c'eft un préfent qu'ils nous font, & nous devons nous croire heureux de pouvoir adoucir vos peines. Pen

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