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compagnon, lui difoit-il, je n'oublierai jamais de t'avoir vû à Pylos, de t'avoir fuivi à Sparte, de t'avoir retrouvé fur les bords de la grande Hefperie. Je te dois mille & mille foins; je t'aimois, tu m'aimois auffi: j'ai connu ta valeur, elle auroit furpaffé celle de plufieurs Grecs fameux. Helas elle t'a fait mourir avec gloire; mais elle a dérobé au monde une vertu naiffante qui eût égalé celle de ton pere. Oui,ta fageffe & ton éloquence dans un âge mûr auroit été femblable à celle de ce Vieillard, l'admiration de toute la Grece Tu avois déja cette douce infinuation, à laquelle on ne pouvoit résister quand tu parlois ces manieres naïves de ra conter cette fage modération, qui eft un charme pour appaiser les efprits irritez : cette autorité qui vient de la prudence & de la force des bons confeils. Quand tu

par

parlois, tous prêtoient l'oreille, tous étoient prévenus, tous avoient envie de trouver que tu avois raifon; ta parole fimple & fans fafte couloit dans les cœurs comme la rofée fur l'herbe naisfante. Helas tant de biens que nous poffedions il y a quelques. heures nous font enlevez pour jamais Pififtrate, que j'ai embraffé ce matin, n'est plus; il ne nous en refte qu'un douloureux fouvenir. Au moins fi tu avois fermé les yeux de Neftor, & non pas que nous euffions fermé les tiens,il ne verroit pas tout ce qu'il voit, & il ne feroit pas le plus malheureux

de tous les peres.

Après ces paroles Telemaque fit laver la playe fanglante qui

étoit dans le côté de Pifistrate. Il le fit étendre fur un lit de pourpre, où la tête panchée avec la pâleur de la mort,il reffembloit à un jeune arbre,qui ayant couvert

la

La terre de fon ombre, & pouffé vers le Ciel fes rameaux fleuris, a été entamé par le tranchant de la Coignée d'un bucheron.Il ne tient plus à fa racine ni à la terre, mere féconde qui nourrit fes tiges dans fon fein : il languit,fa verdure s'efface; il ne peut plus fe foûtenir, il tombe; fes rameaux qui cachoient le Ciel, traînent fur la pouffiere, flêtris, & deffeichez; il n'eft plus qu'un tronc abattu & dépouillé de toutes fes graces.. Ainfi Pififtrate en proye à la mort étoit déja emporté par ceux qui devoient le mettre dans le bu cher fatal. Déja la flame montoit vers le Ciel. Une troupe de Pyliens, les yeux baiffez & pleins de larmes, leurs armes renversées, le conduifoient lentement. Le corps eft bientôt brûlé, les cendres font mifes dans une urne d'or; & Telemaque qui prend foin de tout, confie cette urne comme

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un grand trefor à Callimaque,qui avoit été le gouverneur de Pisistrate. Gardez, lui dit-il, ces cendres, triftes, mais précieux reftes de celui que vous avez aimé.Gardez-les

pour fon

pere;

mais atten

dez à les lui donner quand il aura affez de force pour les demander: ce qui irrite la douleur en un tems, l'adoucit en un autre..

Enfuite Telemaque entra dans l'affemblée des Rois liguez, où chacun garda le filence pour l'écouter,dès qu'on l'apperçut; il en rougit, & on ne pouvoit le faire parler. Les louanges qu'on lui donna par des acclamations publiques fur tout ce qu'il venoit de faire, augmentérent fa honte ; il auroit voulu fe pouvoir cacher : ce fut la premiere fois qu'il parut embaraffé & incertain. Enfin il demanda comme une grace,qu'on ne lui donnât plus aucune louange. Ce n'eft pas,dit-il, que je ne les

aime, fur tout quand elles font données par de fi bons juges de la vertu: mais c'eft que je crains de les aimer trop; elles corrompent les hommes, elles les rempliffent d'eux-mêmes, elles les rendent vains & présomptueux ; il faut les mériter & les fuïr: les meilleures louanges reffemblent aux fausses. Les plus méchans de tous les hommes qui font les tyrans, font ceux qui fe font fait le plus louer par des flateurs. Quel plaifir y a

t-il à être loué comme eux ? Les bonnes louanges font celles que vous me donnerez en mon absence, fi je fuis affez heureux pour en mériter. Si vous me croyez veritablement bon, vous devez croire auffi que je veux être modefte & craindre la vanité. Epargnez-moi donc, fi vous m'eftimez, & ne me louez pas comme un homme amoureux de louanges.

Après avoir parlé ainsi, Tele

maque

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