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ne fongea qu'à le trahir pour fon propre interêt; il le tua par der. riere pendant qu'il fuyoit, lui coupa la tête, & la porta dans le camp des alliez, efperant une grande récompense d'un crime qui finiffoit la guerre. Mais on eut horreur de ce fcelerat, & on le fit mourir. Telemaque ayant vu la tête de Metrodore,qui étoit un jeune homme d'une merveilleuse beauté, & d'un naturel excellent, que les plaifirs & les mauvais exemples avoient corrompu, ne pût retenir fes larmes. Helas! s'écria-t-il, voilà ce que fait le poifon de la profperité pour un jeune Prince; plus il a d'élevation & de vivacité, plus il s'éloigne de tous fes fentimens de vertu ; & maintenant je ferois peutêtre de même, fi les malheurs où je fuis né graces aux Dieux, & les inftructions de Mentor ne m'avoient pris à me moderer.

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Les Dauniens affemblez de mandérent comme l'unique condition de paix, qu'on leur permît de faire un Roi de leur nation qui pût effacer par fes vertus l'opprobre dont l'impie Adrafte avoit couvert la Royauté. Ils remercioient les Dieux d'avoir frappé le Tyran; ils venoient en foule baiser la main de Telemaque, qui avoit été trempée dans le fang de ce monftre, & leur défaite étoit pour eux comme un triomphe. Ainfi tomba en un moment, fans aucune refsource, cette puiffance qui menaçoit toutes les autres dans l'Hefperie, & qui faifoit trembler tant de peuples. Semblable à ces terrains qui paroiffent fermes & immobiles, mais que l'on fappe peu à peu par-deffous. Longtems on fe moque du foible travail qui en attaque les fondemens, rien ne paroît affoibli,tout eft uni, rien ne s'ébranle; cepen

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dant tous les foûtiens font détruits peu à peu,jufqu'au moment où tout-à coup le terrain s'abaiffe & ouvre un abîme. Ainfi une puiffance injufte & trompeufe, quelque profperité qu'elle fe procure par fes violences, creufe elle-même un précipice fous fes pieds. La fraude & l'inhumanité fapent peu à peu tous les plus folides fon demens de l'autorité légitime. On l'admire,on la craint; on tremble devant elle jufqu'au moment où elle n'eft déja plus; elle tombe de fon propre poids, & rien ne la peut relever,parce qu'elle a détruit de fes propres mains les vrais fou tiens de la bonne foi & de la jufti ce, qui attirent l'amour & la confiance.

Les Chefs. de l'armée s'affemblérent dès le lendemain pour accorder un Roi aux Dauniens. On prenoit plaifir à voir les deux camps confondus par une amitié

fi inefperée, & les deux armées qui n'en faifoient plus qu'une. Le fage Neftor ne put fe trouver dans ce confeil, parceque la douleur jointe à la vieilleffe avoit fétri fon cœur,comme la pluye abat & fait languir le foir une fleur,qui étoit le matin pendant la naiffance de l'Aurore, la gloire & l'ornement des vertes campagnes. Ses yeux étoient devenus deux fontaines de larmes qui ne pouvoient tarir. Loin d'eux s'enfuyoit le doux fommeil, qui charme les plus cuifantes peines; l'efperance: qui eft la vie du cœur de l'homme, étoit éteinte en lui. Toute nourriture étoit amere à cet infortuné Vieillard, la lumiere même lui étoit odieufe; fon ame ne demandoit plus qu'à quitter fon corps, & qu'à fe plonger dans l'é... ternelle nuit de l'Empire de Pluton. Tous fes amis lui parloient en vain, fon cœur en défaillance 0.6 éroit::

étoit dégoûté de toute amitié, comme un malade eft dégoûté des meilleurs alimens. A tout ce qu'on pouvoit lui dire de plus touchant,il ne répondoit que par des gémiffemens & des fanglots. De tems en tems on l'entendoit dire: O Pififtrate, Pififtrate, Pififtrate, mon fils, tu m'appelles ! Je te fuis, Pififtrate, tu me rendras la mort douce, ô mon cher fils: je ne defire plus pour tout bien que de te revoir fur les rives du Styx. Puis il paffoit des heures entieres fans prononcer aucune parole, mais gémiffant, levant les mains & les yeux noyez de larmes vers le Ciel.

Cependant les Princes assem. blez attendoient Telemaque qui étoit auprès du corps de Pififtrate. Il répandoit fur fon corps des fleurs à pleines mains; il y ajoûtoit des parfums exquis & verfoit des larmes ameres. O mon cher

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