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de conferver ceux qui reprefen tent les Dieux au milieu des hom

mes ?

Quelle maxime inhumaine ! quelle politique barbare,répondit Telemaque. Quoi vous êtes fi prodigues du fang humain ! O vous qui êtes établis les Pafteurs des hommes, & qui ne commandez fur eux que pour les conferver, comme un Pasteur conferve fon troupeau vous êtes donc les loups cruels, & non pas les Paf teurs, du moins vous n'êtes Pafteurs que pour tondre & pour égorger le troupeau, au lieu de le conduire dans les pâturages. Selon vous on eft coupable dès qu'on eft accufé; un foupçon mé rite la mort : les innocens font à la merci des envieux & des calomniateurs ; & à mesure que la défiance tyrannique croîtra dans vos cœurs, il faudra auffi égorger plus de victimes.

Tele

Telemaque difoit ces paroles avec une autorité & une vehemence qui entraînoit les cœurs,& qui couvroit de honte les auteurs d'un fi lâche confeil. Enfuite fe radouciffant,il leur dit : Pour moi je n'aime pas affez la vie pour vivre à ce prix-là, j'aime mieux qu' Acante foit méchant que fi je l'étois, & qu'il m'arrache la vie par une trahison, que fi je le faifois moi-même périr injuftement dans le doute. Mais écoutez, ô vous qui étant établis Rois, c'eft-à-dire Juges des peuples, devez favoir juger les hommes avec justice, prudence,& modération; laiffezmoi interroger Acante en votre prefence.

Auffitôt il interroge cet homme fur fon commerce avec Arion; il le preffe fur une infinité de circonftances. Il fait femblant plufieurs fois de le renvoyer à Adraf te, comme un Transfuge digne

d'être

d'être puni, pour obferver s'il avoit peur d'être ainfi renvoyé, ou non: mais le visage & la voix d'Acante demeurérent tranquiles. Enfin ne pouvant tirer la verité du fond de fon cœur, il lui dit: Donnez moi votre anneau, je veux l'envoyer à Adraste. A cette demande de fon anneau, Acante pâlit, il fut embaraffé.Telemaque dont les yeux étoient toujours attachez fur lui, l'apperçût, il prit cet anneau. Je m'en vais,lui dit-il, l'envoyer à Adraste par les mains d'un Lucanien nommé Polytrope,que vous connoiffez, & qui paroîtra y aller fecrettement de votre part. Si nous pouvons découvrir par cette voye votre intelli gence avec Adrafte, on vous fera périr impitoyablement par les tourmens les plus cruels.Si au contraire vous avouez dès-à-prefent votre faute, on vous la pardonnera,& on fe contentera de vous en

voyer dans une ifle de la mer, où vous ne manquerez de rien. Alors Acante avoua tout,& Telemaque obtint des Rois qu'on lui donne. roit la vie, parce qu'il la lui avoit promife. On l'envoya dans une des ifles Echinades,où il vécut en paix.

Peu de tems après un Daunien d'une naissance obscure,mais d'un efprit violent & hardi, nommé Diofcore, vint la nuit dans le camp des alliez, leur offrir d'égorger dans fa tente le Roi Adrafte. Il le pouvoit ; car on est maître de la vie des autres, quand on ne compte plus pour rien la fienne. Cet homme ne refpiroit que la vengeance,parce qu'Adrafte lui avoit enlevé fa femme qu'il aimoit éperdûement, & qui étoit égale en beauté à Venus même. Il avoit des intelligences fecrettes pour entrer la nuit dans la tente du Roi, & pour être favorisé dans

cette

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cette entreprise par plufieurs Capitaines Dauniens: mais il croyoit avoir befoin que les Rois alliez attaquaffent en même tems le camp d'Adrafte, afin que dans ce trouble il pût plus facilement fe fauver & enlever fa femme. Il étoit content de périr s'il ne pouvoit l'enlever après avoir tué le Roi. Auffitôt que Diofcore eut expliqué aux Rois fon deffein,tout le mon de fe tourna vers Telemaque, comme pour lui demander une décifion. Les Dieux, répondit-il, qui nous ont préfervé des traîtres, nous défendent de nous en fer vir. Quand même nous n'aurions pas affez de vertu pour détester la trahison, notre feul interêt fuffiroit pour la rejetter ; dès que nous l'aurons autorisée par notre exemple, nous mériterons qu'elle fe tourne contre nous; dès ce moment qui d'entre nous fera en fûreté Adrafte pourra bien éviter

le

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