d'un jeune homme. Si vous tombiez dans les plus affreuses extrémitez où la guerre précipite quel quefois les hommes, il faudroit vous préferver par votre vigilance & par les efforts de votre vertu car le vrai courage ne se laisse ja mais abatre. Mais fi vous aviez une fois rompu la barriere de l'honneur & de la bonne foi,cette perte eft irréparable, vous ne pour riez plus rétablir ni la confiance necessaire au fuccès de toutes les affaires importantes, ni ramener les hommes aux principes de la. vertu, après que vous leur auriez appris à les méprifer. Que crai gnez-vous ? N'avez-vous pas af fez de courage pour vaincre fans tromper? Votre vertu jointe aux forces de tant de peuples, ne vous fuffit-elle pas ? Combatons, mou rons, s'il le faut, plûtôt que de vaincre fi indignement. Adrafte Pimpie Adrafte eft dans nos mains, pourvû que nous ayon's horreur d'imiter fa lâcheté & fa mauvaise foi. Lorfque Telemaque acheva ce difcours, il fentit que la douce persuasion avoit coulé de fes lévres, & avoit paffé jusqu'au fond des cœurs. Il remarqua un profond filence dans l'affemblée;cha cun penfoit,non à lui, ni aux graces de fes paroles, mais à la force de la verité qui fe faifoit fentir dans la fuite de fon raifonnement. L'étonnement étoit peint fur les visages.Enfin on entendit un murmure fourd qui fe répandoit peu à peu dans l'affemblée. Les uns regardoient les autres, & n'ofoient parler les premiers. On attendoit que les Chefs de l'armée fe décla. raffent, & chacun avoit de la peine à retenir fes fentimens. Enfin le grave Neftor prononça ces pa roles: Digne fils d'Ulyffe, les Dieux vous ont fait parler, & Minerve qui a tant de fois infpiré votre pere, a mis dans votre cœur le confeil fage & genereux que vous avez donné. Je ne regarde point votre jeuneffe,je ne confidere que Minerve dans tout ce que vous venez de dire. Vous avez parlé pour la vertu, fans elle les plus grands avantages font de vrayes pertes ; fans elle on s'attire bientôt la vengeance de fes ennemis, la défiance de fes alliez, l'horreur de tous les gens de bien, & la jufte colere des Dieux. Laiffons donc Venuse entre les mains des Lucaniens, & ne fongeons plus qu'à vaincre Adrafte par notre courage. Il dit; & toute l'affemblée ap. plaudit à fes fages paroles: mais en applaudiffant, chacun étonné tournoit les yeux vers le fils d'U lyffe, & on croyoit voir reluire en lui la fageffe de Minerve qui l'infpiroit. Il s'éleva bientôt une autre queftion dans le confeil des Rois, où il n'acquit pas moins de gloire. Adrafte toujours cruel & perfide envoya dans le camp un Transfuge nommé Acante, qui devoit empoifonner les plus illuf tres Chefs de l'armée : fur tout il avoit ordre de ne rien épargner pour faire mourir le jeune Telemaque qui étoit déja la terreur des Dauniens. Telemaque qui a voit trop de courage & de candeur pour être enclin à la défiance,reçut fans peine avec amitié ce malheureux, qui avoit vû Ulyffe en Sicile, & qui lui racontoit les avantures de ce Heros. Ille nourriffoit & tâchoit de le confoler dans fon malheur ; car Acante le plaignoit d'avoir été trompé & traité indignement par Adrafte: mais c'étoit nourrir & réchauffer dans fon fein une vipere venimeufe toute prête à faire une bleffure mor mortelle. On furprit un autre Transfuge nommé Arion, qu'Acante envoyoit vers Adrafte pour lui apprendre l'état du camp des alliez,& pour lui affurer qu'il empoifonneroit le lendemain les principaux Rois avec Telemaque dans un feftin que celui-ci lui devoit donner. Arion pris avoua fa trahison : on soupçonna qu'il étoit d'intelligence avec Acante, parce qu'ils étoient bons amis: mais Acante profondément dif fimulé & intrépide, se défendoit avec tant d'art, qu'on ne pouvoit le convaincre, ni découvrir le fond de la conjuration. Plufieurs des Rois furent d'avis qu'il faloit dans le doute facrifier Ácante à la fûreté publique. Ik faut, difoient-ils, le faire mourir, la vie d'un feul homme n'est rien quand il s'agit d'affurer celle de tant de Rois. Qu'importe qu'un innocent périffe, quand il s'agit de |