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fort & ne prennent rien. Ainfi Telemaque ne peut contenter sa tendreffe; il voit Arcefius, il l'entend, il lui parle, il ne peut le toucher. Enfin il lui demande qui font ces hommes qu'il voit autour de lui.

Tu vois, mon fils, lui répondit le fage vieillard, ces hommes qui ont été l'ornement de leur fiecle, la gloire & le bonheur du genre humain. Tu vois le petit nombre des Rois qui ont été dignes de l'être, & qui ont fait avec fidélité la fonction des Dieux fur la terre. Ces autres que tu vois affez près d'eux, mais féparez par ce petit nuage, ont une gloire beaucoup moindre ce font des Heros à la verité; mais la récompenfe de leur valeur & de leurs expeditions militaires, ne peut être comparée avec celle des Rois fages, juftes & bienfaifans.

Parmi ces Heros, tu vois The-
Is

fée

fée qui a le vifage un peu triste: il a reffenti le malheur d'être trop credule pour une femme artifi cieuse, & il eft encore affligé d'avoir fi injuftement demandé à Neptune la mort cruelle de fon fils Hipolyte. Heureux s'il n'eût point été fi prompt & fi facile à irriter. Tu vois auffi Achille appuyé fur fa lance, à cause de cette bleffure qu'il reçut au talon de la main du lâche Pâris, & qui finit fa vie. S'il eût été auffi fage, juste & moderé, qu'il étoit intrépide, les Dieux lui auroient accordé un long regne; mais ils ont eu pitié des Phtiotes & des Dolopes, fur lefquels il devoit naturellement regner après Pelée : ils n'ont pas voulu livrer tant de peuples à la merci d'un homme fougueux plus facile à irriter que la mer la plus orageufe.Les Parques ont accourci le fil de fes jours, & il a été comme une fleur à peine éclose,

que

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que le tranchant de la charue coupe, & qui tombe avant la fin du jour, où on l'avoit vû naître. Les Dieux n'ont voulu s'en fervir que comme des torrens & des tempêtes, pour punir les hommes de leurs crimes; ils ont fait fervir Achille à abattre les murs de Troye, pour venger le parjure de Laomedon, & les injuftes amours de Pâris. Après avoir ainfi employé cet instrument de leurs vengeances, ils fe font appaifez,& ils ont refufé aux larmes de Thetis de laiffer plus longtems fur la terre ce jeune Heros qui n'y étoit propre qu'à troubler les hommes, qu'à renverser les Villes & les Royaumes.

Mais vois-tu cet autre avec ce visage farouche? c'est Ajax fils de Telamon, & coufin d'Achille : tu n'ignores pas fans doute quelle fût fa gloire dans les combats. Après la mort d'Achille il pré

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tendit

tendit qu'on ne pouvoit donner fes armes à nul autre qu'à lui; ton pere ne crut pas les lui devoir ceder, les Grecs jugérent en faveur d'Ulyffe. Ajax fe tua de defefpoir, l'indignation & la fureur font en core peintes fur fon visage. N'approche pas de lui, mon fils, car il croiroit que tu voudrois lui infulter dans fon malheur, & il est jufte de le plaindre : ne remar ques-tu pas qu'il nous regarde avec peine, & qu'il entre brufquement dans ce fombre bocage, parce que nouslui fommes odieux? Tu vois de cet autre côté Hector qui eût été invincible, fi le fils de Thetis n'eût point été au monde dans le même tems. Mais voilà Agamemnon qui paffe & qui porte encore fur lui les marques de Ja perfidie de Clitemnestre. O mon fils je fremis en penfant aux malheurs de cette famille de Pimpie Tantale. La divifion des

deux freres Atrée & Thyefte a rempli cette maison d'horreur & de fang. Helas! combien un crime en attire d'autres Agamemnon revenant à la tête des Grecs du fiege de Troye, n'a pas eu le tems de jouir en paix de la gloire qu'il avoit acquife, telle eft la deftinée de prefque tous les Conquerans. Tous ces hommes que tu vois ont été redoutables dans la guerre, mais ils n'ont point été aimables & vertueux. Auffi ne font-ils que dans la feconde demeure des Champs Elifées.

Pour ceux-ci, ils ont regné avec juftice, & ont aimé leurs peuples = ils font les amis des Dieux: pendant qu'Achille & Agamemnon pleins de leurs querelles & de leurs combats confervent encore ici leurs peines & leurs défauts naturels, pendant qu'ils regrettent en vain la vie qu'ils ont perdue, & qu'ils s'affligent de n'être

plus

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