Imágenes de página
PDF
ePub

ges

des Dieux, & ils ne font tous enfemble qu'une feule voix, une feule pensée, un feul cœur. Une même félicité fait comme un flux & reflux dans ces ames unies.Dans ce ravissement divin, les fiecles coulent plus rapidement que les heures parmi les mortels; & cependant mille & mille fiecles écoulez n'ôtent rien à leur felicité toujours nouvelle & toujours entie re. Ils regnent tous ensemble, non fur des trônes que la main des hommes peut renverfer, mais en eux-mêmes avec une puiffance immuable; car ils n'ont plus befoin d'être redoutables par une puiffance empruntée d'un peuple vil & miferable; ils ne portent plus ces vains diadêmes dont l'éclat cache tant de craintes & de noirs foucis. Les Dieux mêmes les ont couronnez de leurs propres mains avec des couronnes que rien ne peut flêtrir.

Tele

Telemaque qui cherchoit fon pere & qui avoit efperé de le trouver dans ces beaux lieux, fut fi faifi de ce goût de paix & de félicité, qu'il eût voulu y trouver Ulyffe, & qu'il s'affligeoit d'être contraint lui-même de retourner enfuite dans la focieté des mortels. C'eft ici,difoit-il, que la veritable vie se trouve,& la nôtre n'eft qu'une mort. Mais ce qui l'étonnoit, c'étoit d'avoir vu tant de Rois punis dans leTartare,& d'en voir fi peu dans les Champs Elifées ; il comprit qu'il y a peu de -Rois affez fermes & affez courageux pour résister à leur propre puiffance, & pour rejetter la flaterie de tant de gens qui excitent toutes leurs paffions. Ainfi les bons Rois font très-rares; & la plûpart font fi méchans, que les Dieux ne feroient pas juftes, fi après avoir fouffert qu'ils ayent abufé de leur puiffance pendant

la

la vie, ils ne les puniffoient après

Leur mort.

Telemaque ne voyant point fon pere Ulyffe parmi tous ces Rois, chercha du moins des yeux le divin Laërte fon grand-pere. Pendant qu'il le cherchoit inutilement, un vieillard venerable & plein de majesté s'avança vers lui. Sa vieilleffe ne reffembloit point à celle des hommes, que le poids des années accable fur la terre. On voyoit feulement qu'il avoit été vieux avant fa mort; c'étoit un mélange de tout ce que la vieilleffe a de grave avec toutes les graces de la jeuneffe; car les graces renaiffent même dans les vieillards les plus caduques, au moment où ils font introduits dans les Champs Elifées. Cet homme s'avançoit avec empreffement & regardoit Telemaque avec complaifance comme une perfonne qui lui étoit fort chere. Tome II. L

Tele

Telemaque qui ne le reconnoif foit point, étoit en peine & en sufpens.

ces ;

Je te pardonne, ô mon cher fils, lui dit ce vieillard, de ne me point reconnoître ; je fuis Arcefius pere de Laërte. J'avois fini mes jours un peu avant qu'Ulyffe mon petit-fils partît pour aller au fiege de Troye: alors tu étois encore un petit enfant entre les bras de ta nourrice; dès-lors j'avois conçû de toi de grandes efperanelles n'ont point été trompeufes, puifque je te vois defcendu dans le Royaume de Pluton pour chercher ton pere, & que les Dieux te foûtiennent dans cette entreprise. O heureux enfant! les Dieux t'aiment & te prépa rent une gloire égale à celle de ton pere! O heureux moi-même de te revoir! Ceffe de chercher Ulyffe en ces lieux, il vit encore ; il est réfervé pour relever notre

maifon dans l'ifle d'Ithaque. Laërte même, quoique le poids des années l'ait abattu, jouit encore de la lumiere, & attend que fon fils revienne lui fermer les yeux. Ainfi les hommes paffent comme les fleurs qui s'épanouif fent le matin, & qui le foir font flétries & foulées aux pieds. Les générations des hommes s'écou lent comme les ondes d'un fleuve rapide, rien ne peut arrêter le tems qui entraîne après lui tout ce qui paroît le plus immobile. Toi-même, ô mon fils! mon cher fils, toi-même qui jouis mainte nant d'une jeuneffe fi vive & fi féconde en plaisirs, fouviens-toi que ce bel âge n'eft qu'une fleur qui fera prefque auffitôt fechée qu'éclofe; tu te verras change infenfiblement les graces riantes, les doux plaifirs qui t'accompagnent, la force,la fanté,la joie,s'évanouiront comme un beau fonge, il ne L 2

t'en

« AnteriorContinuar »