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vices.Là ils regardoient,& ne pouvoient s'empêcher de voir leur vanité groffiere & avide des plus ridicules louanges; leur dureté pour les hommes, dont ils avoient dû faire la félicité; leur insensibilité pour la vertu ; leur crainte d'entendre la verité, leur inclination pour les hommes lâches & flateurs: leur inaplication, leur moleffe, leur indolance, leur défiance déplacée,leur faste, & leur exceffive magnificence fondée fur la ruine des peuples : leur ambi tion pour acheter un peu de vaine gloire par le fang de leurs Citoyens. Enfin leur cruauté qui cherche chaque jour de nouvelles délices parmi les larmes,& le def efpoir de tant de malheureux. Ils fe voyoient fans ceffe dans ce miroir: ils fe trouvoient plus horribles & plus monftrueux, que n'est la Chimere vaincue par Bellerophon; ni l'Hydre de Lerne aba

tue par Hercule; ni Cerbere même, quoiqu'il vomiffe de fes trois gueules béantes un fang noir & venimeux qui eft capable d'empefter toute la race des mortels vivans fur la terre.

En même tems, d'un autre côté, une autre furie leur répétoit avec infulte toutes les louanges que leurs Aateurs leur avoient données pendant leur vie,& leur presentoit un autre miroir,où ils fe voyoient tels que la flaterie les avoit dépeints; l'oppofition de ces deux peintures fi contraires, étoit le fupplice de leur vanité. On remarquoit que les plus méchans d'entre ces Rois étoient ceux à qui on avoit donné les plus magnifiques louanges pendant leur vie, parce que les méchans font plus craints que les bons,& qu'ils exigent fans pudeur les lâches flateries des Poëtes & des Orateurs de leur tems. On les entend gémir dans ces

pro.

profondes tenebres,où ils ne peuvent voir que les infultes,& les dérifions qu'ils ont à fouffrir;ils n'ont rien autour d'eux qui ne les repouffe, qui ne les contredife, qui ne les confonde; au lieu que fur la terre ils fe jouoient de la vie des hommes,& prétendoient que tout étoit fait pour les fervir. Dans le Tartare ils font livrez à tous les caprices de certains esclaves qui leur font fentir à leur tour une cruelle fervitude; ils fervent avec douleur,& il ne leur refte aucune efperance de pouvoir jamais adou cir leur captivité; ils font fous les coups de ces efclaves devenus leurs tyrans impitoyables,comme une enclume eft fous les coups de marteaux des Cyclopes, quand Vulcain les preffe de travailler dans les fournaises ardentes du Mont-Etna..

Là Telemaque apperçut des vifages pâles, hideux & contristez. K4

C'est

C'est une trifteffe noire qui ronge ces criminels; ils ont horreur d'eux-mêmes, & ils ne peuvent non plus fe délivrer de cette horreur, que de leur propre nature: ils n'ont point de befoin d'autres châtimens de leurs fautes que de leurs fautes mêmes, ils les voyent fans ceffe dans toute leur énormité, elles fe préfentent à eux comme des fpectres horribles, elles les pourfuivent. Pour s'en garantir ils cherchent une mort plus puiffante que celle qui les a féparez de leurs corps. Dans le defefpoir où ils font,ils appellent à leur fecours une mort qui puiffe éteindre tout fentiment & toute connoiffance en eux; ils demandent aux abîmes de les engloutir pour fe dérober aux rayons vengeurs de la verité qui les perfecute; mais ils font réservez à la vengeance qui diftile fur eux goute à goute, qui ne tarira jamais. La verité

&

qu'ils ont craint de voir, fait leur fupplice; ils la voyent,& n'ont des yeux que pour la voir s'élever contr'eux: fa vûe les perce,les déchire, les arrache à eux-mêmes; elle eft comme la foudre;fans rien détruire audehors, elle pénetre jufqu'au fond des entrailles; femblable à un métal dans une fournaise ardente, l'ame eft comme fondue par ce feu vengeur; il ne laiffe aucune confiftance, & il ne confume rien : il diffout jufqu'aux premiers principes de la vie, & on ne peut mourir. On eft arraché à foi-même: on n'y peut plus trou ver ni appui ni repos pour un feul instant; on ne vit plus que par la rage qu'on a contre foi-même,& par une perte de toute efperance qui rend forcené.

Parmi ces objets qui faifoient dreffer les cheveux de Telemaque fur fa tête, il vit plufieurs des anciers Rois de Lydie qui étoient

KS punis

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