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voir s'il verra fon pere, & de s'é loigner de la prefence horrible du Tyran qui tient en crainte les vivans & les morts:il apperçoit bientôt affez près de lui le noir Tarta re; il en fortoit une fumée noire & épaiffe, dont l'odeur empeftée donneroit la mort, fi elle fe répan doit dans la demeure des vivans: cette fumée couvroit un fleuve de feu & des tourbillons de flâme dont le bruit femblable à celui des torrens les plus impétueux quand ils s'élancent des plus hauts ro chers dans le fond des abîmes,faifoit qu'on ne pouvoit rien entendre diftinctement dans ces triftes lieux.

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Telemaque fecretement animé par Minerve, entre fan's craintè dans ce goufre. D'abord il apper un grand nombre d'hommes qui avoient vêcu dans les plus baffes conditions, & qui étoient punis pour avoir cherché les ri

chef

cheffe's par des fraudes, des trahi fons & des cruautez : il y remar qua beaucoup d'impies hypocri tes, qui faifant femblant d'aimer la Religion, s'en étoient fervis comme d'un beau pretexte pour contenter leur ambition, & pour fe jouer des hommes credules. Ces hommes qui avoient abufé de la vertu même,quoiqu'elle foit le plus grand don des Dieux,étoient punis comme les plus fcelerats de tous les hommes. Les enfans qui avoient égorgé leurs peres & leurs meres, les époufes qui avoient trempé leurs mains dans le fang de leurs maris, les traîtres qui avoient livré leur patrie après avoir violé tous les fermens,fouffroient des peines moins cruelles que ces hypocrites. Les trois Juges des enfers l'avoient ainfi voulu, & voici leur raison. C'eft que les hy pocrites ne fe contentent pas d'ê tre méchans comme le refte des impies;

impies, ils veulent encore paffer pour bons, & font par leur fauffe vertu que les hommes n'ofent plus fe fier à la veritable. Les Dieux dont ils fe font jouez, & qu'ils ont rendus méprifables aux hommes, prennent plaifir à employer toute leur puiffance pour le venger de

leur infulte.

Auprès de ceux-ci paroiffoient d'autres hommes que le vulgaire ne croit guére coupables,& que la vengeance divine pourfuit impi. toyablement : ce font les ingrats, les menteurs, les flateurs qui ont loué le vice; les critiques malins qui ont tâché de flêtrir la plus pure vertu. Enfin ceux qui ont jugé temerairement des chofes fans les connoître à fond,& qui par là ont nui à la réputation des innocens. Mais parmi toutes les ingrati tudes,celle qui étoit punie comme la plus noire, c'est celle qui fe commet envers les Dieux. Quoi

donc,

donc,difoit Minos, on paffe pour un monftre,quand on manque de reconnoiffance pour fon pere ou pour fon ami, de qui on a reçu quelques fecours, & on fait gloire d'être ingrat envers les Dieux,de qui on tient la vie, & tous les biens qu'elle renferme! Ne leur doit-on pas fa naiffance plus qu'au pere & à la mere de qui on eft né? Plus les crimes font impunis & excufez fur la terre,plus ils font dans les enfers l'objet d'une vengeance implacable à qui rien n'échape. Telemaque voyant les trois Juges qui étoient affis, qui condamnoient un homme,ofa leur demander quels étoient fes crimes. Auffi tôt le condamné prenant la parole,s'écria : Je n'ai jamais fait aucun mal, j'ai mis tout mon plaifir à faire du bien; j'ai été magnifique, liberal, jufte, compatiffant; que peut-on donc me reprocher? Alors Minos lui dit : On ne te reproche

:

rien à l'égard des hommes: mais ne devois-tu pas moins aux hommes qu'aux Dieux ? Quelle eft donc cette juftice dont tu te vantes? Tu n'as manqué à aucun devoir envers les hommes qui ne font rien. Tu as été vertueux; mais tu as rapporté toute ta vertu à toimême, & non aux Dieux qui te l'avoient donnée; car tu voulois jouir du fruit de ta propre vertu, & te renfermer en toi-même. Tu as été ta divinité, mais les Dieux qui ont tout fait, & qui n'ont rien fait que pour eux-mêmes,ne peuvent renoncer à leurs droits, tu les as oubliez ; ils t'oublieront, ils te livreront à toi-même,puifque tu as voulu être à toi, & non pas à eux. Cherche donc maintenant, fi tu le peus, ta con. folation dans ton propre cœur. Te voilà à jamais féparé des hommes aufquels tu as voulu plaire:te voilà feul avec toi-même qui étois Tome II.

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ton

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