Imágenes de página
PDF
ePub

excès de rage & de defefpoir. Mais Caron difoit aux efclaves: Tirezle par fa chaîne ; relevez-le malgré lui, il n'aura pas même la con. folation de cacher fa honte : il faut que tous les ombres du Styx en foient témoins, pour juftifier les Dieux qui ont fouffert fi longtems que cet impie régnât fur la terre. Ce n'eft encore là, ô Baby+ lonien, que le commencement de tes douleurs; prépare-toi à être jugé par l'inflexible Minos Juge des enfers.

Pendant ce difcours du terrible Caron,la barque touchoit dé ja le rivage de l'Empire de Pluton; toutes les ombres accouroient pour confiderer cet homme vivant, qui paroiffoit au milieu de ces morts dans la barque; mais dans le moment où Telemaque mit pied à terre, elles s'enfuirent; femblables aux ombres de la nuit, que la moindre clarté du jour dif

fipe. Caron montrant au jeune Grec un front moins ridé, & des yeux moins farouches qu'à l'ordinaire, lui dit: Mortel cheri des Dieux, puifqu'il t'eft donné d'entrer dans le Royaume de la nuit, inacceffible aux autres vivans hâte-toi d'aller où les deftins t'appellent; va par ce chemin fombre au Palais de Pluton, que tu trouveras fur fon Trône; il te permettra d'entrer dans les lieux dont il m'eft défendu de te découvrir le fecret.

Auffitôt Telemaque s'avance à grands pas; il voit de tous côtez voltiger des ombres plus nombreufes que les grains de fable qui couvrent les rivages de la mer, & dans l'agitation de cette multitude infinie, il eft faifi d'une horreur divine, obfervant le profond filence de ces valtes lieux. Ses cheveux fe dreffent fur fa tête, quand il aborde le noir féjour

de

de l'impitoyable Pluton; il fent fes genoux chancelans, la voix lui manque, & c'eft avec peine qu'il peut prononcer au Dieu ces paroles: Vous voyez, ô terrible Divinité,le fils du malheureux Ulyffe ; je viens vous demander fi mon pe re eft defcendu dans votre Empi re, ou s'il eft encore errant fur la

terre.

Pluton étoit fur un Trône d'é béne, fon vifage étoit pâle & fe. vere, fes yeux creux & étincelans, fon front ridé & menaçant. La vûe d'un homme vivant lui étoit odieufe,comme la lumiere offenfe les yeux des animaux qui ont accoutumé de ne fortir de leurs retraites que pendant la nuit. A fon côté paroiffoit Proferpine, qui at. tiroit feule fes regards,& qui fembloit un peu adoucir fon cœur : elle jouiffoit d'une beauté tou jours nouvelle, mais elle paroif foit avoir joint à fes graces divines

je

je ne fçai quoi de dur & de cruel

de fon époux.

[ocr errors]

Aux pieds du trône étoit la mort pâle & dévorante avec fa faux tranchante qu'elle aiguifoit fans ceffe. Autour d'elle voloient les noirs foucis, les cruelles défian. ces, les vengeances toutes dégoût. tantes de fang, & couvertes de playes, les haines injuftes,l'avari ce qui fe ronge elle-même; le def efpoir qui fe déchire de fes pro. pres mains, l'ambition forcenée qui renverfe tout, la trahifon qui veut fe repaître de fang, & qui ne peut jouir des maux qu'elle a faits, l'envie qui verfe fon venin mor tel autour d'elle, & qui fe tourne en rage dans l'impuiffance où elle eft de nuire, l'impiété qui fe creufe elle-même un abîme fans fond où elle fe précipite fans efperance; les spectres hideux; les fantômes qui reprefentent les morts pour épouvanter les vivans; les fonges

[ocr errors]

affreux;

affreux; les infomnies auffi cruelles que les triftes fonges. Toutes cès images funeftes environnoient le fier Pluton, & rempliffoient le Palais où il habite : il répondit à Telemaque d'une voix baffe, qui fit mugir le fond de l'Erebe. Jeu! ne mortel, le deftin t'a fait violer cet azile facré des ombres ; fuis ta haute destinée; je ne te dirai point où eft ton pere; il fuffit que tu fois libre de le chercher : puifqu'il a été Roi fur la terre, tu n'as qu'à parcourir d'un côté l'endroit du noir Tartare où les mauvais Rois font punis,&de l'autre les Champs Elifées où les bons Rois font récompenfez. Mais tu ne peus aller d'ici dans les Champs Elifées qu'après avoir paffé par le Tar tare. Hâte-toi d'y aller, & de for. tir de mon Empire.

[ocr errors]

A l'instant Telemaque femble voler dans ces efpaces vuides & immenses, tant il lui tarde de fa

« AnteriorContinuar »