Imágenes de página
PDF
ePub

corriger mon mauvais naturel, C'est vous qui me donnez la fageffe de profiter de mes fautes pour me défier de moi-même c'est vous qui retenez mes paffions impetueufes ; c'eft vous qui me faites fentir le plaifir de foulager le malheureux; fans vous je ferois haï, & digne de l'être, fans vous je ferois des fautes irréparables; je ferois comme un enfant qui ne sentant pas fa foibleffe, quitte fa mere & tombe dès le premier pas.

Neftor & Philoctete étoient étonnez de voir Telemaque devenu fi doux, fi attentif à obliger les hommes, fi officieux, fi fecourable, fi ingenieux pour prévenir tous les befoins, ils ne favoient que croire; ils ne reconnoissoient plus en lui le même homme. Ce qui les furprit davantage, fut le foin qu'il prit des funerailles d'Hippias; il alla lui-même re

tirer fon corps fanglant & défiguré, de l'endroit où il étoit caché fous un monceau de corps morts; il verfa fur lui des larmes pieufes; il dit: O grande ombre tu le fçais maintenant combien j'ai eftimé ta valeur. Il est vrai que ta fierté m'avoit irrité, mais tes défauts venoient d'une jeuneffe ardente. Je fçai combien cet âge a befoin qu'on lui pardonne nous euffions dans la fuite été fincerement unis; j'avois tort de mon côté, ô Dieux ! pourquoi me le ravir, avant que j'aie pû le forcer de m'aimer ?

[ocr errors]

Enfuite Telemaque fit laver le corps dans des liqueurs odoriferantes; puis on prépara par fon ordre un bucher. Les grands pins gémiffans fous les coups des haches tombent en roulant du haur des montagnes. Les chênes, ces vieux enfans de la terre qui fembloient menacer le ciel, les hauts

рец

peupliers, les ormeaux, dont les têtes font fi vertes & fi ornées d'un épais feuillage,les hêtres qui font l'honneur des forêts, viennent tomber fur le bord du fleuve Galefe. Là s'éleve avec ordre un bûcher qui reffemble à un bâtiment régulier, la flâme commence à paroître, un tourbillon de fumée monte jufqu'au ciel. Les Lacedemoniens s'avancent d'un pas lent & lugubre, tenant leurs piques renversées & leurs yeux baiffez: la douleur amere eft peinte fur ces vifages farouches, & les larmes coulent abondamment puis on voyoit venir Pherecide, vieillard moins abatu par le nombre des années,que par la douleur de furvivre à Hippias qu'il avoit élevé depuis fon enfance. Il levoit vers le Ciel fes mains, & fes yeux noyez de larmes. Depuis la mort d'Hippias il refufoit toute nourriture, le doux fommeil n'avoit

pû appefantir fes paupieres,ni fufpendre un moment fa cuifante peine : il marchoit d'un pas tremblant,fuivant la foule, & ne fçachant où il alloit. Nulle parole ne fortoit de fa bouche, car fon cœur étoit trop ferré : c'étoit un filence de defefpoir & d'abattement. Mais quand il vit le bûcher allumé, il parut tout-à-coup furieux, & il s'écria: O Hippias, Hippias! Je ne te verrai plus; Hippias n'eft plus, & je vis encore ! O mon cher Hippias! C'est moi cruel moi impitoyable qui t'ai appris à méprifer la mort ; je croyois que tes mains fermeroient mes yeux, & que tu recueillirois mon dernier foupir. O Dieux cruels vous prolongez ma vie pour me faire voir celle d'Hippias! O cher en. fant que j'ai nourri,& qui m'a coû té tant de foin,je ne te verrai plus, mais je verrai ta mere qui mourra de trifteffe en me reprochant

[ocr errors]

>

ta

ta mort ; je verrai ta jeune époufe frappant fa poitrine, arrachant fes cheveux, & j'en ferai caufe. O chere ombre, appelle-moi fur les rives du Styx, la lumiere m'est odieufe; c'est toi feul, mon cher Hippias, que je veux revoir. Hippias Hippias! ô mon cherHippias! je ne vis encore que pour rendre à tes cendres le dernier devoir.

Cependant on voyoit le corps du jeune Hippias étendu qu'on portoit dans un cercueil orné de pourpre, d'or & d'argent: la mort qui avoit éteint fes yeux, n'avoit pû effacer toute fa beauté, & les graces étoient encore à demi peintes fur fon vifage pâle; on voyoit floter autour de fon cou plus blanc que la neige, mais panché fur l'épaule, fes longs cheveux noirs plus beaux que ceux d'Atis ou de Ganimede,qui alloient être réduits en cendre; on remarquoit dans le côté la bleffure profonde par où tout fon fang s'étoit écoulé,

« AnteriorContinuar »