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lez,pouffans vers le ciel d'une voix plaintive & mourante des cris douloureux. Le coeur de Telema que en fut percé, il ne put retenir fes larmes; il détourna plufieurs fois fes yeux, étant faifi d'horreur & de compaffionil ne pouvoit voir fans frémir ces corps encore vivans & dévouez à une longue & cruelle mort ils paroiffoient femblables à la chair des victimes qu'on a brûlées fur les autels, & dont l'odeur fe répand de tous côtez.

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T

Helas s'écrioit Telemaque, voilà donc les maux que la guer re entraîne après elle ! Quelle fureur aveugle pouffe les malheureux mortels : ils ont fi peu de jours à vivre fur la terre, ces jours font fi miferables pourquoi précipiter une mort deja fi prochai ne pourquoi ajoûter tant de défolations affreufes à l'amertume dont les Dieux ont rempli cette

vie fi courte? Les hommes font tous freres,& ils s'entredéchirent, les bêtes farouches font moins cruelles qu'eux. Les lions ne font point la guerre aux lions,ni les tygres aux tygres; ils n'attaquent que les animaux d'efpece differente. L'homme feul, malgré fa raison, fait ce que les animaux fans raifon ne firent jamais. Mais encore pourquoi ces guerres?N'y a-t-il pas affez de terre dans l'U nivers pour en donner à tous les hommes plus qu'ils n'en peuvent cultiver ? Combien y a-t-il de terres defertes? Le genre humain ne fauroit les remplir. Quoi donc une fauffe gloire, un vain titre de Conquerant, qu'un Prince veut acquerir, allume la guerre dans des païs immenfes ! Ainfi un feul homme donné au monde par la colere des Dieux, en facrifie brutalement tant d'autres à fa vanité. Il faut que tout périffe, que H 2

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tout

tout nage dans le fang, qué tout foit dévoré par les flames; que tout ce qui échape au fer & au feu, ne puiffe échaper à la faim encore plus cruelle afin que cet homme, qui fe joue de la nature humaine entiere,trouve dans cette destruction générale fon plaifir & fa gloire. Quelle gloire monftrueuse! Peut-on trop abhorrer & trop méprifer des hommes qui ont tellement oublié l'humanité ? Non, non, bien loin d'être des demi-Dieux, ce ne font pas même des hommes; ils doivent être même en execration dans tous les fiecles, dont ils ont cru être admirez.Oh!que les Rois doivent bien prendre garde aux guerres qu'ils entreprennent:Elles doivent être juftes; ce n'eft pas affez, il faut qu'elles foient néceffaires pour le bien public, Le fang du peuple ne doit être verfé que pour fauver ce même peuple dans

les

les befoins extrêmes. Mais les confeils flâteurs, les fauffes idées de gloire, les vaines jalousies,l'injuste avidité, qui fe couvre de beaux prétextes; enfin les engagemens infenfibles entraînent prefque toujours les Rois dans des guerres qui les rendent malheureux, où ils hazardent tout fans neceffité, & où ils font autant de mal à leurs fujets qu'à leurs ennemis. Ainfi raisonnoit Telemaque.

Mais il ne fe contentoit pas de déplorer les maux de la guerre ; il tâchoit de les adoucir. On le voyoit aller dans les tentes fecourir lui-même les malades & les mourans, il leur donnoit de l'argent & des remedes,il les confoloit, & les encourageoit par des difcours pleins d'amitié, & envoyoit vifiter ceux qu'il ne pouvoit vifiter lui-même.

Parmi les Crétois qui étoient
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avec

avec lui,il y avoit deux vieillards, dont l'un fe nommoit Traumaphile, & l'autre Nozophuge. Traumaphile avoit été au fiege de Troye avec Idomenée,& avoit appris des enfans d'Efculape l'art divin de guérir les playes. Il répandoit dans les bleffures les plus profondes & les plus envenimées, une liqueur odoriferante, qui confumoit les chairs mortes & corrompues, fans avoir besoin de faire aucune incifion, & qui formoit promtement de nouvelles chairs plus faines & plus belles que les premieres. Pour Nozophuge, il n'avoit jamais vu les enfans d'Efculape; mais il avoit eu par le moyen de Merione, un livre facré & myfterieux qu'Efculape avoit donné à fes enfans. D'ailleurs Nozophuge étoit ami des Dieux ; il avoit compofé des Hymnes en l'honneur des enfans de Latone; il offroit tous les jours le facrifice

d'une

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