Ceux qui l'auroient vi ainfi dans fon naturel, auroient jugé qu'il étoit incapable d'aimer autre chofe que lui-même ; qu'il n'étoit fenfible qu'à fa gloire & à fon plaifir. Mais cette indifference pour les autres, & cette attention continuelle fur lui-même, ne venoient que du transport continuel où il étoit jetté par la violence de fes paffions. Il avoit été flaté par fa mere dès le berceau, & il étoit un grand exemple du malheur de ceux qui naiffent dans l'élevation. Les rigueurs de la fortune qu'il fentit dès fa premiere jeunesse n'avoient pû moderer cette impetuofité & cette hauteur. Dépourvû de tout, abandonné, expofé à tantde maux,il n'avoit rien perdu de fa fierté. Elle fe relevoit toujours comme la palme souple fe releve fans ceffe d'elle-même quelque effort qu'on faffe pour l'abaiffer.

Pen

Pendant que Telemaque étoit avec Mentor, ces défauts ne paroiffoient point, & ils dimi nuoient tous les jours. Semblable àun courfier fougueux qui bondit dans les vaftes prairies, que ni les rochers escarpez, ni les précipices,ni les torrens n'arrêtent,qui ne connoît que la voix & la main d'un feul homme capable de le dompter, Telemaque plein d'une noble ardeur ne pouvoit être retenu que par le feul Mentor; mais auffi un de fes regards l'arrêtoit tout-à-coup dans fa plus grande impetuofité: il entendoit d'abord ce que fignifioit ce regard. I rappelloit auffitôt dans fon cœur tous les fentimens de vertu. Sa fageffe rendoit en un moment fon vifage doux & ferein. Neptune quand il éleve fon trident,& qu'il menace les flots foûlevez,n'appaife point plus foudainement les noires tempêtes.

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Quand

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Quand Telemaque fe trouva feul, toutes fes paffions fufpendues comme un torrent arrêté par une forte digue,reprirent leurs cours; il ne put fouffrir l'arrogance des Lacedemoniens & de Phalante qui étoit à leur tête. Cette Colo nie qui étoit venue fonderTarente,étoit composée de jeunes hommes nez pendant le fiege de Troye, qui n'avoient eu aucune éducation, leur naiffance illegi time, le déreglement de leurs meres, la licence dans laquelle ils ávoient été élevez,leur donnoient je ne fçai quoi de farouche & de barbare. Ils reffembloient plûtôt. à une troupe de brigands, qu'à une Colonie Grecque.

Phalante en toute occafion cherchoit à contredire Telemaque. Souvent il l'interrompoit dans les affemblées,méprifant fes confeils comme ceux d'un jeune homme fans experience. Il en fai. foit

foit des railleries, le traitant de foible & d'effeminé, il faifoit remarquer aux Chefs de l'armée fes moindres fautes. Il tâchoit de fe. mer par tout la jaloufie,& de rendre la fierté de Telemaque odieufe à tous les Alliez.

Un jour Telemaque ayant fait fur les Dauniens quelques prifonniers, Phalante prétendit que ces captifs lui appartenoient, parce que c'étoit lui, difoit-il, qui à la

tête de fes Lacedemoniens avoit défait cette troupe d'ennemis, & que Telemaque trouvant les Dauniens déja vaincus & mis en fuite, n'avoit eu d'autre peine que celle de leur donner la vie,& de les mener dans le camp. Telemaque fou tenoit au contraire,que c'étoit lui qui avoit empêché Phalante d'être vaincu, & qui avoit remporté la victoire fur les Dauniens. Ils allérent tous deux défendre leur 'cause dans l'affemblée des Rois alliez.

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alliez. Telemaque s'y emporta jufqu'à menacer Phalante, ils fe fuffent batus fur le champ, fi on ne les eût arrêtez.

Phalante avoit un frere nommé Hippias, celebre dans toute l'armée par fa valeur,par fa force & par fon adreffe.Pollux,difoient les Tarentins, ne combattoit pas mieux du cefte; Castor n'eût pu le furpaffer pour conduire un cheval: il avoit prefque la taille & la force d'Hercule. Toute l'armée le craignoit; car il étoit encore plus querelleux & plus brutal qu'il n'étoit fort & vaillant.

Hippias ayant vu avec quelle hauteur Telemaque avoit menacé fon frere, va à la hâte prendre les prifonniers pour les emmener à Tarente fans attendre le jugement de l'affemblée. Telemaque à qui on vint le dire en fecret, fortit en fremiffant de rage:tel qu'un fanglier écumant qui cherche le

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