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de gloire à être bon ne me laiffe point en un defert où il n'y a au. cun veftige d'homme, mene-moi dans ta patrie ou dans l'Eubée,qui n'eft pas loin du Mont Oeta, de Trachine, & des bords agreables du fleuve Sperchius! renvoye-moi à mon pere. Helas que je crains qu'il ne foit mort je lui avois mandé de m'envoyer un vaiffeau : ou il eft mort; ou bien ceux qui m'avoient promis de lui dire ma mifere, ne l'ont pas fait. J'ai recours à toi, ô mon fils fouvienstoi de la fragilité des chofes humaines. Celui qui eft dans la profperité,doit craindre d'en abufer, & fecourir les malheureux. Voilà ce que l'excès de la dou leur me faifoit dire à Neoptoleme, il me promit de m'emmener. Alors je m'écriai encore: O heureux jourô aimable Neoptoleme, di gne de la gloire de ton pere:Chers Compagnons de ce voyage, fouf

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frez que je dife adieu à cette trifte demeure. Voyez où j'ai vêcu; comprenez ce que j'ai fouffert,nul autre n'eût pû le fouffrir: mais la neceffité m'avoit inftruit, & elle apprend aux hommes ce qu'ils ne pourroient jamais favoir autrement. Ceux qui n'ont jamais fouffert ne favent rien; ils ne connoif fent ni les biens ni les maux ; ils ignorent les hommes ; ils s'ignorent eux-mêmes. Après avoir pars lé ainfi, je pris mon arc & mes flêches.

Neoptoleme me pria de fouffrir qu'il baisât ces armes fi celebres & confacrées par l'invincible Her. cule. Je lui répondis : Tu peux tout, c'eft toi, mon fils, qui me rends aujourd'hui la lumiere, ma patrie, mon pere accablé de vieil leffe,mes amis,moi-même, tu peux toucher fes armes,& te vanter d'être feul d'entre les Grecs qui ait merité de les toucher. Auffitôt

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Neoptoleme entre dans ma grote pour admirer mes armies. Cependant une douleur cruelle me faifit, elle me trouble,je ne fçai plus ce que je fais; je demande un glaive tranchant pour couper mon pied, je m'écrie: O mort rant defirée, que ne viens-tu ? ô jeune homme, brûle-moi tout-à-l'heure comme je brûlai le fils de Jupiter r ô terre! ô terre, reçois un mourant qui ne peut plus fe relever! De ce tranfport de douleur, je tombe foudainement felon ma coûtume dans un affoupiffement profond, une grande fueur com mença à me foulager; un fang noir & corrompu coula de ma playe Pendant mon fommeil il eut été facile à Neoptoleme d'emporter mes armes & de partir; mais il étoit fils d'Achille, & n'étoit pas né pour tromper.

En m'éveillant je reconnus fon embarras il foûpiroit comme un hom

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me qui ne fçait pas diffimuler, qui agit contre fon cœur.Me veuxtu donc furprendre, lui dis-je ? Qu'y a-t-il donc Il faut, me répondit-il, que vous me fuiviez au fiege de Troye. Je repris auffitôt: Ah qu'as-tu dit,mon fils? Rends moi cet arc, je fuis trahi,ne m'arrache pas la vie. Helas il ne répond rien; il me regarde tranqui lement, rien ne le touche. O rivages ô promontoires de cette isle! ô bêtes farouches !ô rochers ef carpez ! c'est à vous que je me plains, car je n'ai que vous à qui je puiffe me plaindre vous êtes accoutumez à mes gémiffemens, Faut-il que je fois trahi par le fils d'Achille Il m'enleve Parc facré d'Hercule il veut me traîner dans le camp des Grecs pour triompher de moi il ne voit pas que c'eft triompher d'un mort, d'une ombre, d'une image vaine. O s'il m'eût attaqué dans ma force

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Mais encore à prefent ce n'eft que par furprife que ferai-je ? Rends, mon fils, fois femblable à ton pere, femblable à toi-même.Que distu ? Tu ne dis rien ! O rocher fauvage, je reviens à toi, nud, miferable, abandonné, fans nourriture ;

mourrai feul dans cet antre : n'ayant plus mon arc pour tuer les bêtes, les bêtes me dévoreront, n'importe. Mais, mon fils, tu ne parois pas méchant,quelque confeil te pouffe; rends-moi mes armes, va-t-en.

Neoptoleme les larmes aux yeux difoit tout bas : Plût aux Dieux que je ne fuffe jamais parti de Scyros Cependant je m'écrie: Ah! que vois-je ? N'eft-ce pas Ulyffe? Auffitôt j'entends fa voix, & il me répond: Oui, c'eft moi. Si le fombre Royaume de Pluton fe fut entr'ouvert, & que j'euffe vu le noir Tartare que les Dieux mêmes. craignent d'entrevoir, je n'aurois

pas

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