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que j'ai apprife dès l'enfance, & que je ne puis plus parler à perfonne depuis fi longtems dans cette folitude. Ne fois point effrayé de voir un homme fi malheureux, tu dois en avoir pitié.

: A peine Neoptoleme m'eut dit, Je fuis Grec, que je m'écriai: O douce parole après tant d'années de filence & de douleur fans confolation : O, mon fils! quel malheur, quelle tempête, ou plûtôt quel vent favorable t'a conduit ici pour finir mes maux ? Il me répondit: Je fuis de l'ifle de Scyros j'y retourne; on dit que je fuis fils d'Achille, tu fçais tout.

Des paroles fi courtes ne con tentoient pas ma curiofité, je lui dis: O fils d'un pere que j'ai tant aimé cher nourriffon de Lycomede, comment viens tu donc ici ? d'où viens-tu ? Il me répondit. qu'il venoit du fiege de Troye. Tu n'étois pas,lui dis-je, de la premie

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re expedition. Et toi,me dit-il, en étois-tu ? Alors je lui répondis? Tu ne connois,je le vois bien,ni le nom dePhiloctete ni fes malheurs. Helas! infortuné que je fuis, mes perfecuteurs m'infultent dans ma mifere la Grece ignore que je fouffre; ma douleur augmente; les Atrides m'ont mis en cet état que les Dieux le leur rendent. Enfuite je lui racontai de quelle maniere les Grecs m'avoient abandonné. Aussitôt qu'il eut écou té mes plaintes, il fit les fiennes Après la mort d'Achille, me ditil.... ( D'abord je l'interrompis, en lui difant : Quoi! Achille eft mort? Pardonne-moi, mon fils, fi je trouble ton recit par les larmes que je dois à ton pere.) Neoptoleme me répondit: Vous me confolez en m'interrompant, qu'il m'eft doux de voir Philoctete pleurer mon pere on

Neoptoleme reprenant fon dif

cours

cours,me dit : Après la mort d'Achille, Ulyffe & Phenix me vinrent chercher, affurant qu'on ne pou voit fans moi renverser la ville de Troye. Ils n'eurent aucune peine à m'emmener; car la douleur de la mort d'Achille, & le defir d'heriter de fa gloire dans cette celebre guerre,m'engageoit affez à les fuivre. J'arrive au fiege, l'armée s'affemble autour de moi; chacun jure qu'il revoit Achille: mais, helas! il n'étoit plus. Jeune & fans experience,je croyois pouvoir tout efperer de ceux qui me donnoient tant de louanges. D'abord je de mande aux Atrides les armes de mon pere; ils me répondent cruellement: Tu auras le refte de ce qui lui appartenoit, mais pour fes armes elles font destinées à Ulyffe.

Auffitôt je me trouble, je pleure,je m'emporte: mais Ulyffe, fans s'émouvoir,me difoit: Jeune homime, tu n'étois pas avec nous dans

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les

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les périls de ce long fiege; tu n'as pas merité de telles armes, & tu parles déja trop fierement; jamais tu ne les auras. Dépouillé injuste ment par Ulyffe, je m'en retourne dans l'ifle de Scyros, moins indigné contre Ulyffe que contre les Atrides. Que quiconque eft leur ennemi,puiffe être l'ami desDieux! O Philoctete j'ai tout dit..

Alors je demandai à Neoptoleme comment Ajax Telamonien n'avoit pas empêché cette injustice. Il eft mort, me répondit-il. Il

eft

mort, m'écriai-je & Ulyffe ne meurt pas, au contraire il fleurit dans l'armée. Enfuite je lui demandai des nouvelles d'Antilo que fils du fage Neftor, & de Patrocle fi cheri par Achille; ils font morts auffi, me dit-il. Auffitôt je m'écriai encore : Quoi morts! Helas que me dis-tu? Ainfi la cruelle guerre moiffonne les bons, & épargne les méchans. Ulyffe eft

donc

donc en vie,Terfite l'eft auffi fans. doute. Voilà ce que font les Dieux; & nous les louerions encore.

Pendant que j'étois dans cette fureur contre votre pere,Neoptoleme continuoit à me tromper. It ajoûta ces triftes paroles: Loin de l'armée Grecque, où le mal prévaut fur le bien, je vais vivre content dans la fauvage ifle de Scyros Adieu, je parts, que les Dieux vous guériffent.

Auffitôt je lui dis: O mon fils, je te conjure par les manes de ton pere, par ta mere, par tout ce que tu as de plus cher fur la terre, de ne me pas laiffer feul dans les maux que tu vois. Je n'ignore pas combien je te ferai à charge, mais il y auroit de la honte à m'abandonner, jette-moi à la proue, à la poupe, dans la fentine même, par tout ou je t'incommoderai le moins. Il n'y a que les grands coeurs qui fachent combien il y a Es

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