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CHRONIQUE

D'ENGUERRAN

DE MONSTRELET.

LIVRE SECOND.

1422-1444.

DE L'AN MCCCCXLI.

[Du 16 avril 1441 au 1er avril 1442.]

CHAPITRE CCLVIII.

Comment la duchesse de Bourgongne se parti du roy Charles estant à
Laon et retourna au Quesnoy, où alors estoit le duc de Bourgongne
son mari.

Au commencement de cest an, Charles, roy de
France, estant à Laon, où il avoit solempnisé la feste
de la résurrection Jhésucrist en l'ostel ébiscopal de
l'évesque d'ycelle cité de Laon, tenant pluiseurs grans

consaulz sur les requestes que luy avoit faites la duchesse de Bourgongne et ceulx de son conseil, en la fin desquelz consaulx finablement, comme j'ay jà déclairié, ly en furent peu accordées. Dont elle ne fut point bien contente, et appercut assés clèrement, et aussy firent ceulz qui estoient avec elle, que les gouverneurs d'ycelui Roy n'avoient mie bien agréable le duc de Bourgongne, ne ses besongnes. Et pour tant, elle véant que sa demeure yluceq ne ly estoit mie gramment prouffitable, prinst congié au dessusdit Roy, et le remercia de l'honneur et bonne récepcion qu'il luy avoit faite. Et après luy dist: « Monseigneur, de toutes les requestes que je vous ay faites ne m'en avés nulles octroiiées ne accordées, jà soit-il seloncq mon advis qu'elles fussent assés raisonnables. » A quoy le Roy ly respondi assés courtoisement, en disant : « Belle seur, ce poise nous que aultrement ne se puet faire. Car seloncq ce que nous trouvons en nostre conseil, à cui en avons parlé bien au long, ycelles requestes nous seroient moult préjudiciables à accorder. » Après lesquelles parolles elle prinst congé, comme dict est, au Roy, et à son fils le Daulfin. Puis se parti de là et s'en vint ou giste à Saint-Quentin, avec elle toutes ses gens. Et le raconduisi le connestable et aulcuns aultres, grand espace. Duquel lieu de Saint-Quentin elle s'en vint lendemain disner au Chastel en Cambrésis 1. Et à ceste heure estoient alés aulcunes gens dudit roy, fouragier ou pays de Haynau et ès marches à l'environ; et emmenoient moult grosses proies, c'est assavoir chevaulx, vaches, et aultres biens et bestailz. Si furent

1. Cateau-Cambrésis (Nord).

tost et radement poursievis des gens de ladicte duchesse. Lesquelz en occirent trois ou quatre en la place, et les aultres se sauvèrent par force de bien coure, réservé deux qui furent ratains et pris, et menés au Quesnoy-le-Conte, où ils eurent les hateriaulx coppés. Auquel lieu du Quesnoy ala au giste ycelle duchesse de Bourgongne, où estoit le duc son mari, à cuy elle racompta tout ce qu'elle avoit trouvé envers le roy de France et ceulx qui le gouvernoient. Et pour vrai, la plus grand partie des nobles qui avoient esté avec elle en ycelui voiage, n'estoient point si françois à leur retour qu'ils estoient quand ils alèrent devers le Roy, pour aulcunes parolles qu'ils avoient oyes et veues en yceulz de ce party. Pour lesquelz rappors, le dessusdit duc de Bourgongne se pensa en luy meisme, et s'en devisa avec aulcuns de son plus privé conseil, que grand besoing lui estoit de luy et ses pays tenir seurs et bien garnis de gens, considérans que a peu de occasion on seroit tost enclin de lui faire grief ou dommage. Nientmains, si y avoit-il tous jours des vaillans, discrès, prudens et saiges hommes, qui moult désiroient et contendoient de les tenir en paix et bonne union. Et par espécial de la partie du Roy se y employèrent l'archevesque de Rains, grand chancelier de France. Et jà soit-il que la dessusdicte duchesse de Bourgongne se fust départie de devers le Roy, comme vous avés oy ci-devant, si y avoit-il, de jour en jour, aulcuns hommes de bien alans et venans de partie à aultre pour entretenir et concorder ce qui ferait à faire entre eulx.

CHAPITRE CCLIX.

Comment la forteresce de Montagu, appertenant au damoiseau de Commarcis, fut abatue et désolée par le commandement du duc de Bourgongne.

En oultre, messire Robert de Salebrusse, seigneur de Commarcis, poursievoit très fort le Roy et ceulz de son conseil pour ravoir la forteresce de Montagu. Lequel seigneur de Commarcis n'estoit point en la grace du duc de Bourgongne, mais l'avoit en très grande indignacion et hayne pour pluiseurs injures qu'il avoit fait en ses pays, et aussy à ses gens et subgectz. Et pour tant ne vouloit consentir pour nulle riens que ycelle forteresce luy fust rendue, ains vouloit qu'elle fust démolie et abatue. Et pareillement le désiroient pluiseurs bonnes villes, comme Rains, Laon, Saint-Quentin et aultres, pour ce que de très long temps gens s'estoient acoustumés d'eulx y tenir. Lesquelz moult fort avoient travillié et oppressé par leurs courses et pilleries ceulz desdictes villes et du plat pays à l'environ. Et finablement la conclusion fut telle, que ceulx qui estoient dedens baillèrent seurté de le rendre au Roy, à l'entrée du mois de juing prochainement ensievant, en tel estat qu'il plairoit audit duc de Bourgongne, c'est assavoir entière ou désolée. Et de ce fut le Roy content. Pendant lequel temps, le duc de Bourgongne fict mettre ouvriers en œuvre en grand nombre pour ycelle forteresce abatre et démolir. Et ainsy en fut fait. Mais durant le temps dessusdit, ycelui damoiseau de Commarcis cuida trouver aulcuns moyens secrètement de

le ravoir en sa main pour argent, à aulcuns de ceulx qui l'avoient en garde. Lesquelx furent de ce accusés, et pour ceste cause prins, et en y eut quatre qui eurent les hateriaux coppés. Lequel en estoit l'un, le prévost de la ville dudit Montagu. Ainsy et par telle manière fut désolée ycelle forteresce, laquelle estoit scituée et assise hault sur une montaigne, en moult fort lieu. A l'occasion de laquelle le pays avoit eu moult à souffrir, comme dict est dessus.

CHAPITRE CCLX.

Comment le roy de France ala mettre le siège devant la ville de Creyl, laquelle il conquist.

Item, après que le roy de France eut sousjourné par l'espace d'un mois ou environ dedens la cité de Laon, il se parti de là, et par Soissons et Noyon s'en ala à Compiengne, où il sousjourna par aulcuns jours, en attendant son armée qui se préparoit pour aler devant la ville de Creyl. Et non obstant que Guillemme de Flavy, capitaine d'ycelle ville de Compiengne, euyst son pardon et rémission du Roy, pour la mort du seigneur du Rieu, mareschal de France, qui estoit mort en ses prisons, toutefois n'ala il point devers le Roy. Mais par avant sa venue, pour la doubte des amis dudit seigneur mareschal, s'en ala avec le seigneur d'Offemont pour estre plus seur de sa personne. Et lors venoient gens de pluiseurs parties dudit royaume de France devers le Roy, qui par avant avoient esté mandés. Et peu de jours ensievans, se départy ledit Roy de ladicte ville de Compiengne et s'en ala à Senlis, où il

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