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Quelquesfois on me demandoit à quoy i'eusse pensé estre bon, qui se feust advisé de se servir de moy pendant que i'en avois l'aage;

Dum melior vires sanguis dabat, æmula necdum
Temporibus geminis canebat sparsa senectus:1

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A rien, dis ie: et m'excuse volontiers de ne sçavoir faire chose qui m'esclave à aultruy. Mais i'eusse dict ses veritez2 à mon maistre, et eusse contreroollé3 ses mœurs, s'il eust voulu: non en gros, par leçons scholastiques que ie ne sçais point, et n'en veois naistre aulcune vraye 10 reformation en ceulx qui les sçavent; mais les observant pas à pas, en toute opportunité, et en iugeant à l'œil, piece à piece, simplement et naturellement; luy faisant veoir quel il est en l'opinion commune; m'opposant à ses flatteurs. Il n'y a nul de nous qui ne valust moins 15 que les roys, s'il estoit ainsi continuellement corrompu, comme ils sont, de cette canaille de gents: comment, si Alexandre, ce grand et roy et philosophe, ne s'en peut deffendre? I'eusse eu assez de fidelité, de iugement et de liberté, pour cela. Ce seroit un office sans nom, aul- 20 trement il perdroit son effect et sa grace; et est un roolle qui ne peult indifferemment appartenir à touts: car la verité mesme n'a pas ce privilege d'estre employee à toute heure et en toute sorte; son usage, tout noble qu'il est, a ses circonscriptions et limites. Il advient souvent, 251 comme le monde est, qu'on la lasche à l'aureille du prince, non seulement sans fruict, mais dommageablement, et encores iniustement: et ne me fera lon pas accroire qu'une saincte remontrance ne puisse estre appliquee vicieusement; et que l'interest de la substance ne doibve souvent 30 ceder à l'interest de la forme.

Ie vouldrois, à ce mestier, un homme content de sa fortune,

Quod sit, esse velit; nihilque malit,1

et nay de moyenne fortune: d'autant que, d'une part, 5 il n'auroit point de crainte de toucher vifvement et profondement le cœur du maistre, pour ne perdre par là le cours de son advancement; et d'aultre part, pour estre d'une condition moyenne, il auroit plus aysee communication à toute sorte de gents. Ie le vouldrois à un homme

Io seul; car respandre le privilege de cette liberté et privauté à plusieurs, engendreroit une nuisible irreverence; ouy, et de celuy là ie requerrois surtout la fidelité du silence.

Un roy n'est pas à croire, quand il se vante de sa constance à attendre le rencontre de l'ennemy, pour sa gloire; 15 si, pour son proufit et amendement, il ne peult souffrir la liberté des paroles d'un amy, qui n'ont aultre effort que de luy pincer l'ouïe, le reste de leur effect estant en sa main. Or, il n'est aulcune condition d'hommes qui ayt si grand besoing, que ceulx là, de vrays et libres ad20 vertissements: ils soubstiennent une vie publicque, et ont à agreer à l'opinion de tant de spectateurs, que, comme on a accoustumé de leur taire tout ce qui les divertit de leur route, ils se treuvent, sans le sentir, engagez en la haine et detestation de leurs peuples, pour des occasions 25 souvent qu'ils eussent peu eviter, à nul interest de leurs plaisirs mesme, qui les en eust advisez et redressez à temps. Communement leurs favoris regardent à soy, plus qu'au maistre: et il leur va de bon; d'autant qu'à la verité, la pluspart des offices de la vraye amitié sont, 30 envers le souverain, en un rude et perilleux essay; de maniere qu'il y faict besoing, non seulement de beaucoup d'affection et de franchise, mais encores de courage.

NOTES

NOTES

QUE PHILOSOPHER C'EST APPRENDRE A MOURIR

It con

This essay opens with a consideration of the meaning of the sentence of Cicero which forms the title of the essay. tinues with the assertion that to lose the fear of death is part of that pleasure or volupté (as Montaigne chooses to call it from a wilful desire to shock those to whom this word "est si fort à contre cœur"), which is "le dernier but de nostre visée;" and from this he passes into a noble passage regarding the pleasure of virtue: "Ceux qui nous vont instruisant” etc. The last sentence could hardly be finer. (All this paragraph belongs to 1595.) Continuing, he says: "le but de nostre carrière c'est la mort; c'est l'object nécessaire de nostre visée." In one of the latest and one of the noblest of his writings, the essay De la physionomie, he precisely contradicts this remark; he had risen from a "theological" to a “humane” conception of death. He recognizes, "Si nous avons sceu vivre, c'est injustice de nous apprendre à mourir, si nous avons sceu vivre constamment et tranquillement, nous sçavons mourir de mesme . . . Il m'est advis que c'est bien le bout, non pourtant le but de la vie, c'est sa fin, son extremité, non pourtant son object; elle doibt estre elle-mesme à soi sa visée, son desseing; son droit estude est se regler, se conduire, se souffrir. Au nombre de plusieurs autres offices, que comprend le général et principal chapitre de 'sçavoir vivre' est cet article de 'sçavoir mourir', et des plus legiers, si nostre crainte ne luy donnait poids." Here we have the mature Montaigne, serene, simple, natural. In the present essay, he had not yet shaken off the conventional emotions of his day; he was still youthful in mind, though he tells us he was thirty-nine years old.

In the considerations he here turns to on the common length of life it is worth observing, as showing the different standard for it in his day and ours, and not less in his and earlier (Bible)

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