Imágenes de página
PDF
ePub

seconde ou de troisième main; on recherche, on demande les anciens textes, et si on ne les lit pas couramment, on en suit mot mot le sens et l'esprit dans des traductions littérales qui les reproduisent le plus exactement possible.

C'est le savant académicien M. Natalis de Wailly, qui, le pre mier, a réclamé cette rénovation des études historiques; le premier aussi, il a donné l'exemple aux érudits, en publiant, dans un nou veau système, la Conquête de Constantinople, par Villehardouin, et l'Histoire de saint Louis, par le sire de Joinville. Nous n'avons à nous occuper ici que de cette dernière publication, qui est arrivée, dans une troisième édition que publie la librairie Firmin Didot, à sa perfection complète et définitive. Cette troisième édition est, en effet, supérieure aux deux précédentes, mais elle en diffère presque entièrement, tant il est vrai qu'un éditeur consciencieux aspire à transformer, à améliorer sans cesse son travail, qui ne le satisfait pas, malgré les éloges des juges les plus compétents, lorsqu'il croit pouvoir y ajouter quelque perfectionnement.

Le savant M. Ambroise Firmin Didot avait déjà publié, avec le concours de M. Francisque Michel, une très-bonne édition de Joinville, dont la notice biographique, qu'il a rédigée lui-même, est un excellent ouvrage, rempli de recherches curieuses et empreint d'une gaine critique d'historien et d'archéologue; mais M. Francisque Michel n'avait fait que réimprimer le texte donné par Capperonnier, en 1761, dans l'édition sortie des presses de l'Imprimerie royale, en adoptant çà et là le texte revu par Daunou pour la collection des Historiens des Gaules. M. Ambroise Firmin Didot n'a donc fait aucune réserve en faveur de son édition, si justement estimée qu'elle put être, quand il a consenti à prendre sous les auspices de sa librairie, qui conserve les nobles traditions de ses ancêtres, la nouvelle édition de Joinville que M. Natalis de Wailly, son collègue à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, lui proposait de publier pour servir d'introduction et de modèle à la collection projetée des chefsd'œuvre historiques et littéraires du moyen âge.

Ce que M. Natalis de Wailly a fait, ce qu'il a voulu faire, c'est surtout une édition philologique de Joinville: le texte de cet écrivain avait subi quelques altérations, à cause du rajeunissement de la langue et de l'orthographe; il en résultait un certain nombre d'abs

curités et de non-sens, qui avaient défié la sagacité des précédents éditeurs. M. Natalis de Wailly avait sous les yeux, pour rectifier ce texte plus ou moins altéré, trois manuscrits que ses prédécesseurs n'avaient pas connus ou dont ils n'avaient pas tiré tout le parti qu'on pouvait en attendre. M. de Wailly s'est donc appliqué à rétablir le texte et l'orthographe d'après les chartes mêmes du sire de Joinville, qu'il appelait à son aide; il a fait usage aussi du Credo de Joinville, dont la Bibliothèque du roi a possédé le manuscrit original, lequel s'en est allé, par suite de vicissitudes encore inexpliquées, s'enfouir dans la bibliothèque particulière de lord Asburnham, en Angleterre; mais M. de Wailly a dû faire passer avec beaucoup de précaution dans l'Histoire de saint Louis les formes de langue, de dialecte et d'orthographe, que Joinville avait adoptées dans son Credo, composé vingt ou trente ans avant sa Chronique.

Rendons pleine justice au beau travail philologique de M. Natalis de Wailly, qui a réellement reconstitué le vrai texte de Joinville avec le secours de trois manuscrits, dont le plus ancien remonte à la moitié du XIV siècle et dont le plus moderne est de la fin du xvr® . Nous regrettons que le savant éditeur n'ait point essayé de se procurer deux autres manuscrits, que nous n'avons pas vus, mais qui doivent exister dans la bibliothèque du Vatican, l'un ayant fait partie des manuscrits de la reine Christine de Suède (Histoire du roy saint Louis, no 345), l'autre provenant de la collection d'Alexandre Petau (n° 286), mais n'offrant qu'un fragment du livre de Joinville. Le même livre semble avoir existé, sous ce titre Traité des gestes de saint Louis, dans cette célèbre collection de manuscrits. Il y avait, en outre, une copie abrégée de cet ouvrage parmi les manuscrits de Peiresc.

M. Natalis de Wailly a fixé d'une manière à peu près incontestable le texte du sire de Joinville, en le ramenant à une observation rigoureuse de la grammaire du XIIe siècle, que le savant académioien connaît mieux que personne. C'est dans son édition qu'il faudra désormais chercher le texte original de cet admirable livre qu'on a si bien nommé le bréviaire des rois et le manuel du peuple. Le premier éditeur, Pierre-Antoine de Rieux, avait complétement remanié et défiguré ce texte, qu'il publia en 1547, à Poitiers, sur un vieux manuscrit trouvé en Anjou, dans les archives du roi René ; le se

cond éditeur, Claude Mesnard, fit paraitre en 1617 la copie fidèle d'un autre manuscrit qu'il avait découvert à Laval, chez le sieur de la Mesnerie. Ces deux manuscrits n'ont pas été conservés, non plus que celui qui était en la possession de La Croix du Maine, en 1580, à l'époque où il imprimait sa Bibliothèque françoise, qui fait mention de l'Histoire du roy saint Louis, par le sire de Joinville, « laquelle, dit-il, nous avons par devers nous escrité à la main sur parchemin, en langage françois usité pour lors ». Serait-ce là le manuscrit primitif, que l'auteur avait fait exécuter pour son usage en 1309? Quoi qu'il en soit, Ducange n'avait pu rencontrer aucun manuscrit de cette Histoire, lorsqu'il la réimprima, en fondant ensemble l'édition de Pierre-Antoine de Rieux et celle de Claude Mesnard. Ce ne fut qu'en 1761 que trois savants bibliothécaires, Melot, Sallier et Capperonnier, mirent au jour un texte que l'on regardait comme au thentique, quoiqu'il fut certainement postérieur de quarante ou cinquante ans à la mort de Joinville, qui avait eu lieu vers 1319. On ne doit pas désespérer encore de retrouver l'exemplaire que Joinville avait offert à Louis le Hutin en 1309, et celui qu'il s'était réservé, exemplaire sans doute identique à l'exemplaire de dédicace, pour les archives de son château de Joinville.

Le nouvel éditeur ne pouvait songer à faire entrer dans son volume les fameuses dissertations historiques dont Ducange a enrichi son édition, mais il a suppléé autant que possible à cette omission volontaire et nécessaire, en ajoutant au texte plusieurs notices d'érudition et d'archéologie sur des sujets qui se rapportent essentiellement à l'histoire de saint Louis : le système monétaire, les armes offensives et défensives, le costume, la domesticité féodale, etc. Ces notices, traitées de main de maître, aident beaucoup à l'intelligence du texte de Joinville et à la connaissance intime du XIIe siècle. Les notes géographiques, le glossaire et la table des matières sont peut-être un peu trop ainples; nous aurions préféré que M. Natalis de Wailly mit en valeur l'autorité historique de l'ouvrage de Joinville, en rappro prochant du texte de cet historiophile du saint roi un certain nombre de passages empruntés à la Chronique de Guillaume de Nangis, à l'ouvrage du confesseur de la reine Marguerite sur la vie et les miracles de Louis IX, et à d'autres relations contemporaines. M. Natalis de Wailly a bien compris que le defaut du livre de Join

ville était l'absence de chronologie; il a donc inséré dans son com mentaire un très-bon résumé chronologique des récits du sénéchal de Champagne, qui écrivait de mémoire, trente-cinq ans après les événements, et qui ne se piquait pas de les placer rigoureusement à leurs dates. Il nous semble que, dans une prochaine édition, M. de Wailly rendrait service au lecteur, en inscrivant ces dates au bas des pages du texte et en les accompagnant de renvois aux sources et aux preuves. Il faut que ce superbe volume contienne tout ce qui peut servir à former une monographie de saint Louis.

Que dire maintenant de l'exécution matérielle de ce volume, si ce n'est qu'elle est digne de son contenu et de son exécution littéraire, De pareils livres, aussi beaux et aussi bons, doivent inévitablement inaugurer une réforme radicale dans la composition de nos bibliothèques de travail, de récréation et de luxe,

P. L. JACOB, bibliophile.

LETTRE A PROPOS DES

COLLECTIONNEURS DE L'ANCIENNE FRANCE

Mon cher monsieur Aubry,

Voici déjà douze jours que je suis en possession du livre de M. Bonnaffé, et vous devez me regarder comme un ingrat de n'avoir pas plus vite répondu à la grâce tout aimable que vous avez mise à m'adresser ce charmant ouvrage.

C'est que j'ai voulu le lire avant de vous remercier. Aujourd'hui, je l'ai dégusté, depuis la première ligne jusqu'à la dernière; et je puis, à juste titre, vous dire doublement merci.

Les collectionneurs de l'ancienne France sont dignes de leurs ainés, les collectionneurs de l'ancienne Rome; et on fait, avec un charme indicible, un voyage à travers toutes ces belles choses, pour la plupart disparues, avec un guide savant, aimable, éclairé comme M. Bonnaffé. Je regrette seulement que son ouvrage ait été terminé avant la publication de l'intéressant voyage de Lister, que vient de nous donner la Société des Bibliophiles françois. Il eut trouvé, dans

les notes de Lister, et celles non moins curieuses d'Evelyn, de quoi arrondir encore sa gerbe; et, sans rien ôter à l'intérêt de Lister, il nous eût donné quelques pages charmantes de plus.

Mes études sur nos anciens poëtes français m'ont fait découvrir deux collectionneurs, auxquels on ne songerait guère. D'abord, ce počte, qui taillait sa plume avec son épée, Gascon, bien que né au Havre, nous a laissé le cabinet de M. de Scudéry, gouverneur de Notre-Dame-de-la-Garde. Première (et seule) partie (Paris, Courbé, 1646, in-4 de 8 ff. et 231 pages), avec un titre gravé. Je crois que ce riche cabinet était imaginaire; mais il n'en contient pas moins la description de nombreux ouvrages de peinture, sculpture et gravure, dont certains existent encore aujourd'hui.

Un autre amateur plus sérieux était Jacques Dulorens, le poète satyrique. Il était ami du statuaire Biard et du peintre Vignon, et semble avoir réellement possédé une Vierge qu'il attribue à Léonard de Vinci; un Moïse sauvé des eaux, de Véronèse; une Madeleine, qu'il avait payée 3,000 livres, etc. Je l'ai d'ailleurs signalé dans le n° 247 du Bulletin du Bouquiniste, 1er avril 1867.

Mais tout cela n'ôte rien a l'intérêt que présente le charmant livre de M. Bonnaffé. Dans le cadre où il s'est renfermé, il lui était impossible de tout dire. Il devait choisir et il a choisi la fleur du panier.

Tous ceux qu'enchante, comme moi, ce que le vulgaire traite, avec un superbe dédain, de bric-à-brac, seront heureux de le lire ; et vous remercieront, comme moi, de l'avoir publié.

A vous, mon cher monsieur Aubry, toute ma gratitude et mes plus cordiaux sentiments.

PROSPER BLANCHEMAIN.

« AnteriorContinuar »