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let sur son lit comme un chien, etc. Patairas! Ossa sur Pélion! comme tout cela s'écroule. Grand Victor, ô mon maître, tu es bien le plus admirable ouvrier qui ait jamais exercé le métier de poésie, mais l'or que tu cisèles n'est pas sans alliage. Tel se croit MichelAnge et n'est que le Bernin. C'est la postérité qui juge et met chacun à son rang.

Publier des lettres de chasses écrites sous un Valois, se sentir quelques documents nouveaux dans la main et ne point aller jusqu'à Charles IX, eût été résister à la plus légitime des tentations. Aussi M. le comte de La Ferrière a-t-il consacré huit chapitres intéressants à la chasse sous les Valois. C'était bien le vrai temps de la chasse royale, à cor et à cri, venatio clamosa, le glorieux passe-temps des gentilshommes français, anglais et polonais, où le gibier se force et ne se tue pas, noble exercice qui n'était pas encore trop entaché de la roture des chasses à l'allemande et à l'italienne, où l'on se servait de rêts, de panneaux et d'épieux. Les dames couraient le cerf.

La jambe au vent, le toquet en tête, la reine Eléonore (1) et la dauphine Catherine chevauchaient comme Diane et les poètes lauréats chantaient les dames et la chasse, Ronsard quittait sa lyre pour sonner de la trompe.

M. de La Ferrière n'a eu garde d'oublier le mâchelaurier mendomois. Mais puisqu'il le signalait comme počte de vénerie et ami de Charles IX, comment n'a t-il pas cité les deux strophes suivantes de

(1) Si le roi François, suivant un passage d'une lettre déjà citée, avait en sa chambre un jeune chien « le meilleur que l'on vit oncques, la Royne Eleonor avait Mignonne.

Mignonne naquit aussi grande.
Quasi comme vous la voyez
Mignonne vaut (et m'en eroyez)
Un petit trésor, aussi est-ce
Le passe-temps et la liesse
De la Rogne à qui si fort plaît:
Que de sa belle main la prit.
Mignonne est la petite chienne

Et la Royne est ja dame sienne !

1

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Mais elle n'était morceau de personne, pas même du chien du roi.

Le jeu d'amours n'a éprouvé

Car encore n'avons trouvé

Un mari digned ese prendre

A une Mignonne si tendre

(Clément Manor, épigr. 226.)

l'ode III du livre III, dans lesquelles Ronsard prête à Catherine un goût de jeunesse que M. de La Ferrière, après Brantôme, signale comme lui étant venu plus tard, par nécessité de position?

Les vers qui sont à l'enfant (1)
Commenceront par la mère,
Laquelle du quatorze ans
Portant au bois la sagette,
La robe et les arcs luisans
Aux pucelles de Taygète;
Son poil au vent s'ébattait
D'une ondoyante secousse
Et sur le flanc lui battait;
Toujours la trompe et la trousse,
Toujours dès l'aube du jour
Allait aux forêts en quête
Ou de rêts tout à l'entour
Cernait le trac d'une bête,
Ou prenait les cerfs au cours,
Ou, par le pendant des roches,
Sans chiens abattait les ours

Et les sangliers aux dents croches.

Peut-être notre savant ami fait-il à tous ses lecteurs l'honneur de croire qu'ils savent Ronsard par cœur, autrement, pendant qu'il était en train de ronsardiser, comment n'a-t-il pas pris pour épigraphe de son chapitre VII les vers suivants?

Eurymédon (2) entrait aux jours de son printemps;
Son plaisir, son déduit, ses jeux, ses passe-temps
Etaient par le travail d'honorer sa jeunesse ;
Son corps était adroit, son esprit généreux;
Dédaignant, comme un prince actif et vigoureux,
De rouiller au logis ses beaux ans de paresse;
C'était un méléagre au métier de chasser;
Il savait par sur tous laisser courre et lancer,
Bien démêler d'un cerf les ruses et la feinte,
Le bon temps, le vieil temps, l'essui, le rembûcher,
Les gaignages, la nuit, le lit et le coucher,
Et bien prendre le droit, et bien faire l'enceinte.
Et comme s'il fût né d'une nymphe des bois,
I jugeait d'un viel cerf à la perche, aux espois,
A la meule, andouillers et à l'embrunissure,
A la grosse perlure, aux gouttières, aux cors,

(1) François II.

(2) « Late regnans, comme qui dirait grand roi. »

(MARCASSUS, note sur Ronsard.)

Aux dagues, aux brocards bien nourris et bien forts,
A la belle empaumure et à la couronnure,
Il savait for-huer et bien parler aux chiens,
Faisait bien la brisée, et le premier des siens
Connaissait bien le pied, la sole et les allures,
Fumées, hardouers et frayoirs, et savait,
Sans avoir vu le cerf, quelle tête il avait
En voyant seulement ses erres et foulures.

Pauvre Eurymėdon! tous les poètes ne te furent pas si doux.
Sauvage... triomphant du sang de quelque bête
Esaü, de qui les ris, les jeux

Sentaient bien un tyran, un traître, un furieux,
Pour se faire cruel, ta jeunesse égarée

N'aimait rien que le sang et prenait sa curée

A tuer sans pitié les cerfs qui gémissaient,

A traverser les daims et les faons qui naissaient, etc.
(D'AUBIGNĖ. Tragiques. Les Princes.)

En évoquant en moi, à propos du livre de M. de La Ferrière, ces souvenirs poétiques d'un autre âge qui seront toujours mon plus cher souci, malgré la terrible prose du moment, je m'étais demandé si l'on ne pourrait pas ajouter aux livres de MM. Pichon, Chevreul, de Noirmont et de La Ferrière un chapitre intéressant intitulé : les Poëtes de la chasse au seizième siècle. En ce temps, poētes et rois se saluaient parfois de la couronne; mais, à part les poemes de Gaucher et de Passerat, et les vers de Baif, qui sont plus ou moins de commande, la moisson ne serait pas riche. Quel qu'il soit, le poète a toujours le cœur essentiellement inflammable et pitoyable. Son sentiment doit même déborder, puisqu'il chante. François Ier avait beaucoup su amener avec « sa bande » et des plus inconnus comme ce Desmiroirs qu'il avait à sa suite à Argentan, en 1517; ils signalent en passant « les grands bois et les cerfs, prompts à courir; mais ce qu'ils apprécient le plus, c'est « le bon air, le bon vin et la bonne compagnie. A la chasse, ils tournent incessamment la tête vers les belles dames empanachées qui chevauchent sur leurs baquenées, et s'il fallait prendre un parti dans l'hallali, ils seraient du côté des victimes. Le grand Ronsard lui-même, qui certes n'était ni pleurard ni transi, ne dit-il pas, par la bouche de la sensible Cal

lirée :

Celui fut ennemi des déités puissantes,
Et cruel viola de nature les lois,

Qui le premier rompit le silence des bois

Et les nymphes qui sont dans les arbres naissantes.
Qui premier, de limiers et de meutes pressantes,
De piqueurs, de veneurs, de trompes et d'abois,
Donna par les forêts un passe-temps aux rois
De la course et du sang des bêtes innocentes?

Quant aux savants de la Pléiade, les plus didactiques mêlaient la pastorale à la grammaire. Ils chantaient les créatures de Dieu et ne cherchaient point à les détruire. Qui donc oserait abuser par un miroir trompeur et prendre en un traître filet cette gente alouette,

Qui, guindée par le zeffire,
Sublime, en l'er vire et revire
Et déclicque un si joli cri

Qui rit, quérit et tire l'ire

Des esprits mieux que je n'écri.

(J. PELETIER, du Mans.)

Chercherons-nous un chasseur dans l'école de Marot?

Un seul

nous répondra pour tous; ce sera Maurice Siève « le Lyonnois », le blasonneur du « sourcil de beauté nompareille. »

Délie aux champs troussée et accoutrée,
Comme un veneur s'en allait ébattant;
Sur le chemin d'amour fut rencontrée,
Qui va partout jeunes amants guettant,
Et lui a dit, prés d'elle voletant:
Comment vas-tu sans armes à la chasse?
- N'ai-je mes yeux, dit-elle, dont je chasse
Et par lesquels j'ai maint gibier surpris?
Que sert ton arc qui rien ne te pourchasse
Vu mêmement que par eux je t'ai pris?

C'est ainsi que les poètes et les savants comprennent la chasse, et c'est la seule à laquelle ils soient propres. Oui, les savants! M. de La Ferrière compte comme une conquête cynégétique le traité de vénerie que composa Budé pour plaire au roi François Ier. Mais il ne dit pas qu'à suivre la cour par complaisance, le pauvre Guillaume Budé gagna la fièvre dont il mourut, lui qui aimait, plus que le grec, son foyer domestique, sa femme et ses onze enfants. Cuique

suum.

Gustave LE VAVASSEUR.

LA NORMANDIE A L'ÉTRANGER

PAR LE COMTE DE LA FERRIÈRE-PERCY

1 vol. in-8. Aubry, 1873. Prix 10 fr.

Les livres de M. de La Ferrière sont toujours des bonnes fortunes pour les curieux; ils ne comprennent d'ordinaire que des documents inédits, et encore ces documents sont de premier choix. Le volume que nous venons de lire et dont nous ne pouvons parler que brievement ici, concerne exclusivement la Normandie pendant les xvI' et XVII° siècles tous proviennent d'archives étrangères et ont par conséquent un intérêt doublement important. C'est à l'Angleterre que M. de La Ferrière a fait cette fois ses emprunts.

Nous serions fort embarrassés pour faire un choix parmi ces trésors véritables: M. de La Ferrière a eu l'art de relier toutes ces pièces par un récit suivi des plus instructifs et des plus agréables à lire. Nous avons remarqué des pièces très-importantes sur les ambassades de La Boderie, que M. de La Ferrière, le premier, a fait connaître avec les détails que méritaient sa personne et sa mission. Les rapports de Montgommery avec la reine d'Angleterre, après la mort d'Henri II, sont des plus curieux. Nous signalerons aussi toutes les pièces relatives à Catherine de Médicis et aux opérations militaires tentées autour du Havre, occupé alors par les Anglais : le rôle tout à fait inconnu de Civille, célèbre seulement jusqu'ici par sa bravoure, et sa mort, suivie d'une résurrection des plus dramatiques, comme on sait. Ce volume est également riche en pièces nouvelles sur Henri IV et sa campagne en Normandie.

Un seul chapitre est consacré au XVIIe siècle, mais il n'est pas le moins digne d'examen : le rétablissement du parlement de Rouen, les intelligences des protestants normands avec l'Angleterre, l'anecdote de l'enlèvement de la fille d'un riche marchand huguenot, divers détails au sujet de Mézerai, pour ne citer que quelques documents, justifient mes éloges.

Une excellente table complète ce recueil en y rendant les recherches très-faciles. Nous espérons que bientôt M. de La Ferrière nous donnera un volume semblable sur le xvIII° siècle.

E. DE BARTHÉLEMY.

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