Imágenes de página
PDF
ePub

VARIÉTÉS

BIBLIOGRAPHIQUES

DEUX LETTRES INÉDITES D'ANTOINE VITRÉ

Adrien Baillet (Jugement des savans, t. I, p. 370), a dit d'Antoine Vitré : « Il n'y a personne qui soit encore allé si loin que lui jusqu'à présent, et peu s'en est fallu qu'il n'ait porté l'imprimerie au période de sa perfection ». Baillet vante surtout la Bible polyglotte dont Le Jay lui confia l'impression, et il s'échauffe jusqu'à proclamer ses dix volumes : « le chef-d'œuvre, le dernier effort de l'art », et jusqu'à les saluer du titre de «divin ouvrage ». Baillet ajoute que << ses autres éditions soutiennent aussi parfaitement bien la réputation où il était du premier homme de France pour son métier », qu'il a effacé par l'éclat de son nom Robert Estienne lui-même, que l'on a vu sortir de ses presses « entre ses autres ouvrages exquis, des Heures de prières qui passent tout ce qu'il y a eu de plus délicat et de plus achevé dans les imprimeries de Hollande ». Daunou, dans un article très-développé de la Biographie universelle, a parlé de Vitré avec moins d'enthousiasme, mais il a pourtant déclaré que c'est un des hommes qui ont le plus honoré la typographie française (1). » On connaît bien peu de lettres d'Antoine Vitré. Celles que je donne ici m'ont paru dignes d'intéresser les bibliophiles : l'une est relative à la publication du Grand Dictionnaire des Précieuses, de Somaize; l'autre à la publication des Mémoires de La Rochefoucauld, de ceux de Brantôme et de la Relation de Fontraille.

PHILIPPE TAMIZEY DE LARROQUE.

(1) Daunou, à la fin de son excellent article, indique toutes les sources à consulter sur Antoine Vitré. Complètes quand elles parurent pour la première fois, ces indications sont presque encore complètes aujourd'hui, et je ne trouve à citer, de plus, que l'article Typographie, dont M. A. F. Didot a enrichi la dernière édition de l'Encyclopédie moderne, et que l'opuscule spécial dans lequel M. Aug. Bernard, après l'académicien de Guignes, a si bien vengé Vitré des calomnies dirigées contre lui par La Caille, Chevillier, les auteurs du Menagiana, Gabriel Peignot, etc.: A. Vitré et les caractères orientaux de l'ancienne imprimerie royale. (París, 1850, in-8.)

I

Au chancelier Séguier (1).

Monseigneur,

Je prends la hardiesse d'advertir V. G. d'une chose sur laquelle elle fera telle réflexion qu'il luy plaira. Un libraire, Ribou, a obtenu un privilége d'imprimer un livre intitulé le Grand Dictionnaire des Pretieuses (2). Ce livre, Monseigneur, parle presque de toutes les grandes dames et de plusieurs autres personnes de qualité de l'un et de l'autre sexe sous des noms de roman. Il y en a de fort mal traitez, mais il est vray qu'il falloit deviner, et personne ne pouvoit raisonnablement prendre pour soy ce que l'autheur en dit; mais, Monseigneur, le libraire, pour mieux vendre son livre, a prié l'autheur de luy donner la clef de son livre, c'est-à-dire deschiffrer toutes les personnes qui sont nommées dans le livre; l'ayant, il ne s'est pas contenté de le faire veoir à quelques particuliers, mais il l'a fait imprimer, qui est un troisiesine volume plus petit à la vérité que les deux autres. V. G. n'en a point donné le privilège, cependant il se vend avec le livre, et je voy que plusieurs personnes en parlent comme d'un livre qui se vend avec privilège, où il y a des personnes assez mal traitées. Comme vous avez eu la bonté de me tesmoigner que V. G. n'auroit pas désagreable ces sortes d'advis, j'ay pris la hardiesse de vous donner celui-cy, et de vous asseurer, Monseigneur, qu'il n'y a personne qui ait plus de ressentiment que j'en ay de l'honneur de vostre protection dont je tascheray de mériter la continuation, par toutes les respectueuses obeyssances que vous doit, Monseigneur,

Ce 9 aoust 1661.

Vostre très humble, très obeyssant et très fileile serviteur,

ANTOINE VITRE.

(1) Bibliothèque nationale, fonds français, vol. 17400, p. 98.

(2) Le Grand Dictionnaire des préticuses, historique, poétique, géographique, cosmographique, chronologique et armoirique, etc. Paris, Jean Ribou, 1661, 2 vol. petit in-8. La Clef, jointe à quelques exemplaires, est un opuscule de 46 pages. On sait que M. C. Livet a donné, dans la Bibliothèque elzévirienne, une nouvelle éd:tion du Dictionnaire des Précieuses avec divers documents et avec un ample etcurieux commentaire (1856, 2 val.).

Monseigneur,

II

Au même (1).

Ce 5 aoust 1662.

J'ay cru que V. G. n'auroit pas désagréable que je luy donnasse advis qu'on va vendre, si on ne les vend desjà icy, les Mémoires de M. de La Rochefoucaul (2). Hier, un de mes amis, qui est un honneste homme, m'asseura qu'on luy avoit dit au Palais que les libraires en avoient receu de Hollande. V. G. sçait qu'il y a beaucoup de personnes offensées, et vifs et morts. On m'a aussi asseuré qu'on imprime encore les Mémoires de Brantome (3), et ceux de M. de Fontrailles (4). De la manière qu'on m'a parlé de ces deux derniers, il semble qu'ils ont dessein de les imprimer icy et de vous en demander le privilège. Monseigneur, je ne sçay s'ils le feront, mais j'ay cru estre obligé de donner cet advis à V. G. à tout évènement. Je la supplie très humblement de trouver bon que je prenne cette occasion pour luy demander aussi avec un très profond respect la continuation de sa puissante protection et qu'elle me permette de me dire toute ma vie de S. G.

Monseigneur,

Le très humble, très obeissant et très fidelle serviteur,

ANTOINE VITRÉ.

(1) Ibidem, vol. 17401, p. 23.

(2) Ces Mémoires furent imprimés, en 1662, à Bruxelles, chez Fr. Foppens, et parurent avec la fausse indication de Cologne, P. Van Dyck. On les réimprima en 1663, 1664, 1665, 1669. (Petit in-12.)

(3) Le Manuel du Libraire ne signale pas d'édition des Mémoires de Brantome antérieure à celle de 1665-1666 (Leyde (pour Bruxelles), Jean Sambix (pour Fr. Foppens); 9 vol. pet. in-12.) Peut-être l'impression annoncée par Vitré, déjà commencée en 1662, ne fut-elle terminée que trois ans après.

(4) La Relation faite par M. de Fontrailles des choses particulières de la cour pendant la faveur de M. Le Grand, parut pour la première fois à la suite des Mémoires de Montrésor, Recueil de plusieurs pièces servant à l'histoire. (Cologne, Pierre du Marteau, 1663).

PARIS

SES ORGANES, SES FONCTIONS ET SA VIE DANS LA MOITIÉ DU XIX SIÈCLE

[blocks in formation]

Plus M. Maxime du Camp avance dans l'œuvre laborieuse qu'il a entreprise, plus le succès qui a accueilli cette œuvre à son début s'affirme et s'accroît. Chacun veut lire ces pages émouvantes où l'honorable écrivain nous dépeint si bien d'après nature ce qu'il appelle les organes et la vie de la grande cité. Jadis, le Tableau de Paris, par Mercier, était une sorte de lanterne magique qui montrait aux yeux du lecteur un grand nombre de verres enluminés n'ayant d'autre but que de distraire et d'égayer la galerie. Aujourd'hui, l'étude de M. Maxime du Camp n'est pas seulement une grande distraction, c'est encore un puissant enseignement.

Dans le tome III, où il passait en revue les malfaiteurs, les prisons, les prostituées, etc., etc., l'auteur nous a fait voir Paris et toute sa honte; le tome IVe nous le présente avec son cortège de misères et d'infirmités.

C'est d'abord la mendicité qui s'avance, suivie de malingreux, d'écloppés et de truands plus ou moins maquillés, tristes rejetons de ces races immondes qui grouillaient il y a plusieurs siècles dans la Cour des miracles, et qui renaissent en tout temps, ne fût-ce que pour jeter une sorte de défi à l'humanité tout entière.

Au mois de juin 1777, l'infortuné Louis XVI, le plus humain des rois modernes, écrivait à Amelot pour lui témoigner la douleur qu'il avait ressentie en voyant la grande quantité de mendiants dont les rues de Paris et de Versailles étaient remplies. Il y aurait, disaitil, des mesures tout à la fois d'humanité et de rigueur à prendre pour, d'un côté, secourir la misère réelle et détruire la mendicité effrontée et paresseuse, source de crimes et de scandales. >>

Ce roi avait raison; mais il luttait contre plus fort que lui. Rien ne pourra déraciner la mendicité. C'est plus qu'un fléau, c'est une passion. Qui a mendié mendiera, et vainement la loi déploiera toutes

ses rigueurs contre ceux qui tendent la main, elle n'arrivera jamais à les vaincre. C'est la paresse et le vice qui poussent à la mendicité, et malheureusement tout s'émousse contre l'inertie.

Ah! s'il n'y avait que des besogneux de bon aloi, on arriverait encore assez facilement à soulager l'infortune. Les chapitres que M. Maxime du Camp consacre à l'assistance publique nous le prouvent bien. Dans aucun pays, en effet, la charité n'est aussi grande qu'en France : les établissements de bienfaisance se multiplient à l'infini; les quêtes s'organisent à propos du moindre malheur, et sans l'inconduite, la malesuada fames ne serait plus à craindre; mais l'imprévoyance, le goût brutal des plaisirs grossiers et l'oubli de tous les devoirs déjouent les calculs de la philanthropie, et la misère surnage toujours.

Après avoir analysé la merveilleuse organisation de l'assistance publique, M. Maxime du Camp introduit le lecteur dans les hôpitaux et lui indique comment y fonctionnent les services généraux et les services spéciaux, prenant soin de signaler les avantages qu'ils présentent et les inconvénients qui en résultent.

Des hôpitaux proprement dits, l'auteur passe aux hospices particuliers. Au premier rang figure la maison des Enfants-Trouvés, au dernier, la Salpêtrière, refuge de la vieillesse, c'est-à-dire l'alpha et l'oméga de l'humanité souffrante. Puis viennent les asiles d'aliénés, Charenton, Bicêtre, Sainte-Anne, Vaucluse, la Ville-Evrard, en un mot les établissements publics où vont s'éteindre souvent les plus belles intelligences.

M. Maxime du Camp examine tout en profond observateur : le plus petit détail trouve place sous sa plume, et en présence de tant d'infortunés qui se tordent, se débattent et souffrent de ce mal horrible qu'on appelle la folie, il se demande si la loi, d'une part, la science, de l'autre, ont réellement dit leur dernier mot. Et alors il reproche à l'une de s'être trop préoccupée de la personne même du malade et pas assez de ses biens; à l'autre de n'avoir pas réclamé un cours de pathologie mentale à l'Ecole de médecine de Paris et de ne pas avoir consacré un hôpital clinique au traitement des aliénés. M. Maxime du Camp appelle de tous ses vœux le remède à ces deux choses. Il conjure le gouvernement et l'assistance publique de s'entendre à cet égard. « Avec leur concours et par leur accord, dit

« AnteriorContinuar »