Imágenes de página
PDF
ePub

dats font gagnés par fes latgeffes, & plus encore par la licence pernicieufe où il les laiffe vivre : il est enflé de fa victoire. Voilà une lettre qu'il a écrite à un de ses amis fur fon projet de fe faire roi : on n'en peut plus douter, après une preuve fi évidente.

:

Je lus cette lettre, & elle me parut de la main de Philoclès. On avoit parfaitement imité fon écriture; & c'étoit Protéfilas qui l'avoit faite avec Timocrate. Cette lettre me jetta dans une étrange furprise je la relifois fans ceffe, & ne pouvois me perfuader qu'elle für de Philoclès, repaffant dans mon efprit troublé toutes les marques touchantes qu'il m'avoit données de fon défintéresfement & de fa bonne foi. Cependant, que pouvois-je faire? quel moyen de réfifter à une lettre où je croyois être sûr de reconnoître l'écriture de Philoclès?

Quand Timocrate vit que je ne pouvois plus résister à fon artifice, il le pouffa plus loin. Oferois je, me dit-il en héfitant, vous faire remarquer un mot qui

que

:

eft dans cette lettre? Philoclès dit à fon ami qu'il peut parler en confiance à Protéfilas fur une chofe qu'il ne défigne que par un chiffre affurément Protéfilas eft entré dans le deffein de Philoclès, & ils fe font raccommodés à vos dépens. Vous favez c'eft Protéfilas qui vous a preffé d'envoyer Philoclès contre les Carpathiens. Depuis un certain tems, il a cellé de vous parler contre lui, comme il le faifoit fouvent autrefois; au contraire, il le loue, il l'excufe en toute occafion: ils se voyent depuis quelque tems avec affez d'honnêteté. Sans doute Protéfilas a pris avec Philoclès des mefures pour paftager avec lui la conquête de Carpathie. Vous voyez même qu'il a voulu qu'on fit cette entreprise contre toutes les regles, & qu'il s'expofe à faire périr votre armée navale, pour contenter fon ambition. Croyez-vous qu'il voulût fervir ainfi à celle de Philoclès, s'ils étoient encore mal enfemble? Non, non, on ne peut plus douter que ces deux hommes ne foient réunis pour s'élever ensemble à unè

grande autorité, & peut-être pour renverfer le trône où vous régnez. En vous

parlant ainfi, je fais que je m'expose à leur reffentiment, fi, malgré mes avis finceres, vous leur laiffez encore votre autorité dans les mains: mais qu'importe', pourvu que je dise la vérité ?

Ces dernieres paroles de Timocrate firent une grande impreffion fur moi: je ne doutai plus de la trahifon de Philoclès, & je me défiai de Protéfilas comme de fon ami. Cependant Timocrate me difoit fans ceffe: Si vous attendez que Philoclès ait conquis l'ifle de Carpathie, il ne fera plus tems d'arrêter fes deffeins; hâtez-vous de vous en affurer pendant que vous le pouvez. J'avois horreur de la profonde diffimulation des hommes; je ne favois plus à qui me fier. Après avoir découvert la trahifon de Philoclès, je ne voyois plus d'hommes fur la terre dont la vertu pût me raffurer. J'étois réfolu de faire périr au plutôt ce perfide; mais je craignois Protéfilas, & je ne favois comment faire à fon égard. Je craignois

1

de le trouver coupable, & je craignois auffi de me fier à lui.

Enfin, dans mon trouble, je ne pus m'empêcher de lui dire que Philoclès m'étoit devenu fufpect. Il en parut furpris; il me représenta fa conduite droite & modérée; il m'exagéra fes fervices; en un mot, il fit tout ce qu'il falloit pour me perfuader qu'il étoit trop bien avec lui. D'un autre côté, Timocrate ne perdoit pas un moment pour me faire remarquer cette intelligence, & pour m'obliger à perdre Philoclès pendant que je pouvois encore m'affurer de lui. Voyez, mon cher Mentor, combien les rois font malheureux & expofés à être le jouet des autres hommes, lors même que les autres hommes paroiffent tremblans à leurs pieds.

Je crus faire un coup d'une profonde politique, & déconcerter Protéfilas, en envoyant fecrétement à l'armée navale Timocrate pour faire mourir Philoclès. Protéfilas pouffa jufqu'au bout fa diffimulation, & me trompa d'autant mieux,

qu'il parut plus naturellement comme un homme qui fe' laiffoit tromper. Timocrate partit donc, & trouva Philoclès affez embarraffé dans fa defcente: il manquoit de tout; car Protéfilas, ne fachant fi fa lettre fuppofée pourroit faire périr fon ennemi, vouloit avoir en même tems une autre reffource prête, par le mauvais fuccès d'une entreprise dont il m'avoit fait tant efpérer, & qui ne manqueroit pas de m'irriter contre Philoclès. Celui-ci foutenoit cette guerre fi difficile, par fon courage, par fon génie, & & par l'amour les que troupes avoient pour lui. Quoique tout le monde reconnût dans l'armée que cette defcente étoit téméraire & funette pour les Crétois, chacun travailloit à la faire réuffir, comme s'il eût vu, fa vie & fon bonheur attachés au fuccès; chacun étoit content de hafarder fa vie à toute heure fous un chef fi fage & fi appliqué à fe faire aimer.

Timocráte avoit tout à craindre, en voulant faire périr ce chef au milieu

« AnteriorContinuar »