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salem et la chute de Babylone. Un abbé de la Bourlie paraît tout à coup au milieu d'eux dans leurs retraites sauvages, et leur apporte de l'argent et des armes.

C'était le fils du marquis de Guiscard, sous-gouverneur du roi, l'un des plus sages hommes du royaume. Le fils était bien indigne d'un tel père. Réfugié en Hollande pour un crime, il va exciter les Cévennes à la révolte: on le vit quelque temps après passer à Londres, où il fut arrêté, en 1711, pour avoir trahi le ministère anglais, après avoir trahi son pays. Amené devant le conseil, il prit sur la table un de ces longs canifs avec lesquels on peut commettre un meurtre; il en frappa le chancelier Harlai, depuis comte d'Oxford, et on le conduisit en prison chargé de fers: il prévint son supplice en se donnant la mort lui-même. Ce fut donc cet homme qui, au nom des Anglais, des Hollandais et du duc de Savoie, vint encourager les fanatiques, et leur promit de puissants

secours.

(1703.) Une grande partie du pays les favorisait secrètement : leur cri de guerre était : « Point d'impôts, et liberté de conscience. » Ce cri séduit partout la populace. Ces fureurs justifiaient aux yeux du peuple le dessein qu'avait eu Louis XIV d'extirper le calvinisme; mais sans la révocation de l'édit de Nantes on n'aurait pas eu à combattre ces fureurs. Le roi envoie d'abord le maréchal de Montrevel avec quelques troupes1. Il fait la guerre à ces misérables avec une barbarie qui surpasse la leur : on roue, on brûle les prisonniers; mais aussi les soldats qui tombent entre les mains des révoltés périssent par des morts cruelles. Le roi, obligé de soutenir la guerre partout, ne pouvait envoyer contre eux que peu de troupes: il était difficile de les surprendre dans des rochers presque inaccessibles alors, dans des cavernes, dans des bois, où ils se rendaient par des chemins non frayés, et dont ils descendaient tout à coup comme des bêtes féroces; ils défirent même dans un combat réglé des troupes de la marine. On employa contre eux successivement trois maréchaux de France.

Voir Sismondi, Histoire des Français, t. XXVI, p. 397. Simon, chap. cxvII.

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Au maréchal de Montrevel succéda, en 1704, le maréchal de Villars. Comme il lui était plus difficile encore de les trouver que de les battre, le maréchal de Villars, après s'être fait craindre, leur fit proposer une amnistie. Quelques-uns d'entre eux y consentirent, détrompés des promesses d'être secourus par le duc de Savoie, qui, à l'exemple de tant de souverains, les persécutait chez lui, et avait voulu les protéger chez ses ennemis.

Le plus accrédité de leurs chefs, et le seul qui mérite d'être nommé, était Cavalier1. Je l'ai vu depuis en Hollande et en Angleterre c'était un petit homme blond, d'une physionomie douce et agréable on l'appelait David dans son parti. De garçon boulanger il était devenu chef d'une assez grande multitude, à l'âge de vingt-trois ans, par son courage, et à l'aide d'une prophétesse qui le fit reconnaître sur un ordre exprès du Saint-Esprit. On le trouva à la tête de huit cents hommes qu'il cnrégimentait quand on lui proposa l'amnistie. Il demanda des otages, on lui en donna: il vint, suivi d'un des chefs, à Nîmes, où il traita avec le maréchal de Villars.

(1704.) Il promit de former quatre régiments de révoltés qui serviraient le roi sous quatre colonels, dont il serait le premier, et dont il nomma les trois autres ces régiments devaient avoir l'exercice libre de leur religion, comme les troupes étrangères à la solde de France; mais cet exercice ne devait point être permis ailleurs.

On acceptait ces conditions, quand des émissaires de Hollande vinrent en empêcher l'effet avec de l'argent et des promesses. Ils détachèrent de Cavalier les principaux fanatiques mais ayant donné sa parole au maréchal de Villars, il la voulut tenir. Il accepta le brevet de colonel, et commença à former son régiment avec cent trente hommes qui lui étaient affectionnés.

J'ai entendu souvent de la bouche du maréchal de Villars qu'il avait demandé à ce jeune homme comment il pouvait à son âge avoir eu tant d'autorité sur des hommes si féroces et si indisciplinables. Il répondit que quand on lui désobéissait,

'On peut encore citer après Cavalier, Ravanel et Roland. Ces chefs étaient en même temps prêtres et soldats.

sa prophétesse, qu'on appelait la grande Marie, était sur-lechamp inspirée, et condamnait à mort les réfractaires, qu'on tuait sans raisonner1. Ayant fait depuis la même question à Cavalier, j'en eus la même réponse.

Cette négociation singulière se faisait après la bataille d'Hochstet. Louis XIV, qui avait proscrit le calvinisme avec tant de hauteur, fit la paix, sous le nom d'Amnistie, avec un garçon boulanger; et le maréchal de Villars lui présenta le brevet de colonel, et celui d'une pension de douze cents livres. Le nouveau colonel alla à Versailles; il y reçut les ordres du ministre de la guerre. Le roi le vit, et haussa les épaules. Cavalier, observé par le ministère, craignit, et se retira en Piémont de là il passa en Hollande et en Angleterre. Il fit la guerre en Espagne, et y commanda un régiment de réfugiés français à la bataille d'Almanza. Ce qui arriva à ce régiment sert à prouver la rage des guerres civiles, et combien la religion ajoute à cette fureur. La troupe de Cavalier se trouva opposée à un régiment français : dès qu'ils se reconnurent, ils fondirent l'un sur l'autre avec la baïonnette, sans tirer. On a déjà remarqué que la baïonnette agit peu dans les combats; la contenance de la première ligne, composée de trois rangs, après avoir fait feu, décide du sort de la journée; mais ici la fureur fit ce que ne fait presque jamais la valeur : il ne resta pas trois cents hommes de ces régiments. Le maréchal de Berwick contait souvent avec étonnement cette aventure.

Cavalier est mort officier général et gouverneur de l'île de Jersey, avec une grande réputation de valeur, n'ayant de ses premières fureurs conservé que le courage, et ayant peu à

'Ce trait doit se trouver dans les véritables Mémoires du maréchal de Villars. Le premier tome est certainement de lui: il est conforme au manuscrit que j'ai vu; les deux autres sont d'une main étrangère et différente. (Note de Voltaire.) — Le trait cité par Voltaire se trouve en effet dans les Mémoires de Villars. Nous ajouterons que le maréchal a rendu au chef des camisards ce témoignage éclatant : « Il agit dans » cette journée (combat de Nagel, 16 avril 1704) d'une manière qui >> surprit tout le monde. Il se comporta, dans les circonstances les plus » épineuses et les plus délicates, comme l'aurait pu faire un grand >> général. >>

peu substitué la prudence à un fanatisme qui n'était plus soutenu par l'exemple.

Le maréchal de Villars, rappelé du Languedoc, fut remplacé par le maréchal de Berwick. Les malheurs des armes du roi enhardissaient alors les fanatiques du Languedoc, qui espéraient du secours du ciel et en recevaient des alliés : on leur faisait toucher de l'argent par la voie de Genève; ils attendaient des officiers qui devaient leur être envoyés de Hollande et d'Angleterre; ils avaient des intelligences dans toutes les villes de la province.

On peut mettre au rang des plus grandes conspirations celle qu'ils formèrent de saisir dans Nîmes le duc de Berwick et l'intendant Bâville', de faire révolter le Languedoc et le Dauphiné, et d'y introduire les ennemis. Le secret fut gardé par plus de mille conjurés; l'indiscrétion d'un seul fit tout découvrir plus de deux cents personnes périrent dans les supplices. Le maréchal de Berwick fit exterminer par le fer et par le feu tout ce qu'on rencontra de ces malheureux : les uns moururent les armes à la main, les autres sur les roues ou dans les flammes; quelques-uns, plus adonnés à la prophétie qu'aux armes, trouvèrent moyen d'aller en Hollande. Les réfugiés français les y reçurent comme des envoyés célestes; ils marchèrent au-devant d'eux, chantant des psaumes, et jonchant leur chemin de branches d'arbres. Plusieurs de ces prophètes allèrent en Angleterre; mais, trouvant que l'Eglise épiscopale tenait trop de l'Église romaine, ils voulurent faire dominer la leur. Leur persuasion était si pleine que, ne doutant pas qu'avec beaucoup de foi on ne fit beau

Nicolas Lamoignon de Bàville, né en 1648, mort en 1724. On lui doit un travail fort curieux Mémoire pour servir à l'histoire du Languedoc, par feu M. de Bâville. Amsterdam, 1736, in-12. Voir son portrait dans Saint-Simon. — La guerre des Cévennes fut à proprement parler la Vendée protestante des premières années du dix-huitième siècle: même enthousiasme, même héroïsme. Seulement les camisards furent beaucoup plus cruels que les Vendéens. Ce curieux épisode de notre histoire a été depuis Voltaire soigneusement étudié dans le détail. Les papiers administratifs du règne de Louis XIV, les archives du dépôt de la guerre ont fourni une foule de documents. (Voir Moret, Quinze ans du règne de Louis XIV. Paris, 1851, t. Ier, p. 335 à 389.)

coup de miracles, ils offrirent de ressusciter un mort, et même tel mort que l'on voudrait choisir. Partout le peuple est peuple, et les presbytériens pouvaient se joindre à ces fanatiques contre le clergé anglican. Qui croirait qu'un des plus grands géomètres de l'Europe, Fatio Duillier, et un homme de lettres fort savant, nommé Daudé, fussent à la tête de ces énergumènes? Le fanatisme rend la science même sa complice, et étouffe la raison.

Le ministère anglais prit le parti qu'on aurait dû toujours prendre avec les hommes à miracles: on leur permit de déterrer un mort dans le cimetière de l'église cathédrale. La place fut entourée de gardes; tout se passa juridiquement : la scène finit par mettre au pilori les prophètes.

Ces excès du fanatisme ne pouvaient guère réussir en Angleterre, où la philosophie commençait à dominer; ils ne troublaient plus l'Allemagne depuis que les trois religions, la catholique, l'évangéliste et la réformée, y étaient également protégées par les traités de Vestphalie; les Provinces-Unies admettaient dans leur sein toutes les religions, par une tolérance politique. Enfin il n'y eut sur la fin de ce siècle que la France qui essuya de grandes querelles ecclésiastiques, malgré les progrès de la raison. Cette raison, si lente à s'introduire chez les doctes, pouvait à peine encore percer chez les docteurs, encore moins dans le commun des citoyens. Il faut d'abord qu'elle soit établie dans les principales têtes; elle descend aux autres de proche en proche, et gouverne enfin le peuple même qui ne la connaît pas, mais qui, voyant que ses supérieurs sont modérés, apprend aussi à l'être. C'est un des grands ouvrages du temps, et ce temps n'était pas encore

venu.

CHAPITRE XXXVII.

Du jansénisme'.

Le calvinisme devait nécessairement enfanter des guerres civiles, et ébranler les fondements des États. Le jansénisme ne pouvait exciter que des querelles théologiques et des guerres de plume; car les réformateurs du seizième siècle

'Voir Saint-Simon, chap. CCL, CCXC, CCCL.

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