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régent du royaume, devenus riches par ce bouleversement de l'État appelé système : « Pour moi, je n'ai jamais rien » gagné que sur les ennemis. » Ses discours, où il se permettait le même courage que dans ses actions, rabaissaient trop les autres hommes, déjà assez irrités par son bonheur.

Il était, en ces commencements de la guerre, l'un des lieutenants généraux qui commandaient des détachements dans l'Alsace. Le prince de Bade, à la tête de l'armée impériale, venait de prendre Landau, défendu par Mélac pendant quatre mois. Ce prince faisait des progrès. Il avait les avantages du nombre, du terrain, et d'un commencement de campagne heureux. Son armée était dans ces montagnes du Brisgau qui touchent à la Forêt-Noire, et cette forêt immense séparait les troupes bavaroises des françaises. Catinat commandait dans Strasbourg. Sa circonspection l'empêcha d'entreprendre d'aller attaquer le prince de Bade avec tant de désavantages : l'armée de France eût été perdue sans ressource, et l'Alsace eût été ouverte par un mauvais succès. Villars, qui avait résolu d'être maréchal de France ou de périr, hasarda ce que Catinat n'osait faire ; il en obtint permission de la cour. Il marcha aux Impériaux avec une armée inférieure, vers Fridlingen, et donna la bataille qui porte ce nom.

(14 octobre 1702.) La cavalerie se battait dans la plaine: l'infanterie française gravit au haut de la montagne, et attaqua l'infanterie allemande retranchée dans des bois. J'ai entendu dire plus d'une fois au maréchal de Villars que, la bataille étant gagnée, comme il marchait à la tête de son infanterie, une voix cria : « Nous sommes coupés. » A ce mot, tous ses régiments s'enfuirent. Il court à eux, et leur crie : « Allons, mes amis, la victoire est à nous : vive le roi ! » les soldats répondent, Vive le roil en tremblant, et recommencent à fuir. La plus grande peine qu'eut le général, ce fut de rallier les vainqueurs. Si deux régiments ennemis avaient paru dans le moment de cette terreur panique, les Français étaient battus: tant la fortune décide souvent du gain des batailles !

Le prince de Bade, après avoir perdu trois mille hommes, son canon, son champ de bataille, après avoir été poursuivi deux lieues à travers les bois et les défilés, tandis que, pour

preuve de sa défaite, le fort de Fridlingen capitulait, manda cependant à Vienne qu'il avait remporté la victoire, et fit chanter un Te Deum plus honteux pour lui que la bataille perdue 1.

Les Français, remis de leur terreur panique, proclamèrent Villars maréchal de France sur le champ de bataille; et le roi, quinze jours après, confirma ce que la voix des soldats lui avait donné.

(Août 1703.) Le maréchal de Villars joint enfin l'électeur de Bavière avec ses troupes victorieuses: il le trouve vainqueur de son côté, gagnant du terrain, et maître de la ville impériale de Ratisbonne, où l'Empire assemblé venait de conjurer sa perte 2.

Villars était plus fait pour bien servir l'État, en ne suivant que son génie, que pour agir de concert avec un prince. II mena, ou plutôt il entraîna l'électeur au delà du Danube; et quand le fleuve fut passé, l'électeur se repentit, voyant que le moindre échec laisserait ses États à la merci de l'empereur. Le comte de Styrum, à la tête d'un corps d'environ vingt mille hommes, allait se joindre à la grande armée du prince de Bade, auprès de Donavert. « Il faut les prévenir, dit le ma>> réchal au prince : il faut tomber sur Styrum et marcher » tout à l'heure. » L'électeur temporisait : il répondait qu'il en devait conférer avec ses généraux et ses ministres. « C'est >> moi qui suis votre ministre et votre général, lui répliquait » Villars : vous faut-il d'autre conseil que moi, quand il s'agit » de donner bataille ? » Le prince, occupé du danger de ses États, reculait encore; il se fâchait contre le général : « Eh » bien, lui dit Villars, si votre altesse électorale ne veut pas » saisir l'occasion avec ses Bavarois, je vais combattre avec

Voir : Lettre de Villars au roi, 17 octobre 1702; général Pelet, t. II, p. 845. Mémoires de Villars, Collection Michaud, t. IX,

p. 99-100.

'Le plan adopté par Villars dans cette campagne fut exactement le même que celui de Napoléon dans les guerres de 1805 et de 1809. Le maréchal voulait marcher sur Vienne, et décréter dans la capitale même de l'empire que l'empire avait cessé d'exister. Il échoua, comme on le voit ci-dessus, par des circonstances plus fortes que sa volonté.

» les Français; » et aussitôt il donna ordre pour l'attaque. Le prince indigné, et ne voyant dans ce Français qu'un téméraire, fut obligé de combattre malgré lui. C'était dans les plaines d'Hochstet, auprès de Donavert (20 septembre 1703).

Après la première charge on vit encore un effet de ce que peut la fortune dans les combats. L'armée ennemie et la française, saisies d'une terreur panique, prirent la fuite toutes deux en même temps, et le maréchal de Villars se vit presque seul quelques minutes sur le champ de bataille : il rallia les troupes, les ramena au combat, et remporta la victoire. On tua trois mille Impériaux; on en prit quatre mille: ils perdirent leur canon et leur bagage. L'électeur se rendit maître d'Augsbourg. Le chemin de Vienne était ouvert : il fut agité dans le conseil de l'empereur s'il sortirait de sa capitale.

La terreur de l'empereur était excusable: il était alors battu partout. Le duc de Bourgogne, ayant sous lui les maréchaux de Tallart et de Vauban, venait de prendre le vieux Brisach (6 septembre 1703). Tallart venait non-seulement de reprendre Landau, mais il avait encore défait auprès de Spire le prince de Hesse (15 novembre 1703), depuis roi de Suède, qui voulait secourir la ville. Si l'on en croit le marquis de Feuquières, cet officier et ce juge si instruit dans l'art militaire, mais si sévère dans ses jugements, le maréchal de Tallart ne gagna cette bataille que par une faute et par une méprise. Mais enfin il écrivit du champ de bataille au roi : « Sire, votre armée a » pris plus d'étendards et de drapeaux qu'elle n'a perdu de >> simples soldats. >>

Cette action fut celle de toute la guerre où la baïonnette fit le plus de carnage : les Français, par leur impétuosité, avaient un grand avantage en se servant de cette arme. Elle est de

Tout ceci doit se trouver dans les Mémoires du maréchal de Villars manuscrits; j'y ai lu ces détails. Le premier tome imprimé de ces Mémoires est absolument de lui; les deux autres sont d'une main étrangère et un peu différente.

On voit, par les dépêches du maréchal, combien il avait à souffrir de la cour de Bavière : « Peut-être valait-il mieux lui plaire que de » le bien servir. Ses gens en usent ainsi. Les Bavarois, les étran»gers, tous ceux qui l'ont volé, friponné au jeu, livré à l'empereur, » ont fait avec lui leur fortune, etc. » (Note de Voltaire.)

venue depuis plus menaçante que meurtrière; le feu soutenu et roulant a prévalu1. Les Allemands et les Anglais s'accoutumèrent à tirer par divisions avec plus d'ordre et de promptitude que les Français. Les Prussiens furent les premiers qui chargèrent leurs fusils avec des baguettes de fer: le second roi de Prusse les disciplina de sorte qu'ils pouvaient tirer six coups par minute très-aisément. Trois rangs tirant à la fois, et avançant ensuite rapidement, décident aujourd'hui du sort des batailles : les canons de campagne font un effet non moins redoutable; les bataillons que ce feu ébranle n'attendent pas l'attaque des baïonnettes, et la cavalerie achève de les rompre. Ainsi la baïonnette effraye plus qu'elle ne tue, et l'épée est devenue absolument inutile à l'infanterie : la force du corps, l'adresse, le courage d'un combattant, ne lui servent plus de rien. Les bataillons sont devenus de grandes machines, dont la mieux montée dérange nécessairement celle qui lui est opposée. C'est précisément par cette raison que le prince Eugène a gagné contre les Turcs les célèbres batailles de Témisvar et de Belgrade, où les Turcs auraient eu probablement l'avantage par leur nombre supérieur, s'il y avait eu ce qu'on appelle une mêlée. Ainsi l'art de se détruire est non-seulement tout autre de ce qu'il était avant l'invention de la poudre, mais de ce qu'il était il y a cent ans.

Cependant la fortune de la France se soutenant d'abord si heureusement du côté de l'Allemagne, on présumait que le maréchal de Villars la pousserait encore plus loin avec cette impétuosité qui déconcertait la lenteur allemande mais ce même caractère qui en faisait un chef redoutable le rendait incompatible avec l'électeur de Bavière. Le roi voulait qu'un général ne fût fier qu'avec l'ennemi; et l'électeur de Bavière fut assez malheureux pour demander un autre maréchal de France.

A l'époque de Louis XIV, il restait encore quelque chose de la manière de combattre du moyen àge; et les luttes étaient plus meurtrières que de notre temps. On s'abordait presque toujours corps à corps; la cavalerie mettait souvent pied à terre pour attaquer l'infanterie l'épée à la main; et dans plusieurs batailles le tiers des hommes engagés fut atteint, proportion énorme et qui dépasse de beaucoup celle des actions les plus sanglantes des guerres contemporaines.

Villars lui-même, fatigué des petites intrigues d'une cour orageuse et intéressée, des irrésolutions de l'électeur, et plus encore des lettres du ministre d'État Chamillart, plein de prévention contre lui, comme d'ignorance, demanda au roi sa retraite. Ce fut la seule récompense qu'il eut des opérations de guerre les plus savantes, et d'une bataille gagnée 1. Chamillart, pour le malheur de la France, l'envoya dans le fond des Cévennes réprimer des paysans fanatiques, et il ôta aux armées françaises le seul général qui pût alors, ainsi que le duc de Vendôme, leur inspirer un courage invincible. On parlera de ces fanatiques dans le chapitre de la religion: Louis XIV avait alors des ennemis plus terribles, plus heureux, et plus irréconciliables que ces habitants des Cévennes.

CHAPITRE XIX.

Perte de la bataille de Blenheim ou d'Hochstet, et ses suites.

Le duc de Marlborough était revenu vers les Pays-Bas, au commencement de 1703, avec la même conduite et la même fortune. Il avait pris Bonn, résidence de l'électeur de Cologne; de là il avait repris Hui, Limbourg, et s'était rendu maître de tout le bas Rhin. Le maréchal de Villeroi, au sortir de sa

Peu d'époques sont aussi favorables à l'étude de la guerre que la fin du règne de Louis XIV. La science et l'art avaient fait assez de progrès pour que les théories et les exemples eussent acquis de l'autorité. Il faut encore en revenir à ces temps pour acquérir une solide instruction dans la fortification, l'attaque et la défense des places, restées à peu près stationnaires depuis Vauban. Alors les opérations stratégiques, longuement préparées, sagement exécutées, étaient soumises à la discussion dans la correspondance de la cour et des généraux. En lisant les pièces de la correspondance, on suit pas à pas ces guerres lentes et compassées; on parcourt leur théâtre; on assiste aux opérations des deux armées; car les mouvements des ennemis y sont généralement bien exposés. On se prépare ainsi à l'étude de nos campagnes, chefs-d'œuvre de l'art, où la victoire à tire d'aile, où les inspirations du champ de bataille dirigeaient les opérations. (Le général Pelet, Mem. milit. relatifs à la succession d'Espagne, t. Ier, introd., p. IV.)

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