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rique; les Pays-Bas, le Milanais, le royaume de Naples, la Bohême, la Hongrie, l'Allemagne même (si on peut le dire), étaient devenus son patrimoine; et si tant d'États avaient été réunis sous un seul chef de cette maison, il est à croire que l'Europe lui aurait enfin été asservie.

DE L'ALLEMAGNE.

L'empire d'Allemagne est le plus puissant voisin qu'ait la France: il est d'une plus grande étendue; moins riche peutêtre en argent, mais plus fécond en hommes robustes et patients dans le travail. La nation allemande est gouvernée, peu s'en faut, comme l'était la France sous les premiers rois Capétiens, qui étaient des chefs, souvent mal obéis, de plusieurs grands vassaux et d'un grand nombre de petits. Aujourd'hui soixante villes libres, et qu'on nomme impériales, environ autant de souverains séculiers, près de quarante princes ecclésiastiques, soit abbés, soit évêques, neuf électeurs, parmi lesquels on peut compter aujourd'hui quatre rois, enfin l'empereur, chef de tous ces potentats, composent ce grand corps germanique, que le flegme allemand a fait subsister jusqu'à nos jours, avec presque autant d'ordre qu'il y avait autrefois de confusion dans le gouvernement français.

Chaque membre de l'Empire a ses droits, ses priviléges, ses obligations; et la connaissance difficile de tant de lois, souvent contestées, fait ce que l'on appelle en Allemagne l'étude du droit public, pour laquelle la nation germanique est si renommée.

L'empereur, par lui-même, ne serait guère, à la vérité, plus puissant ni plus riche qu'un doge de Venise. Vous savez que l'Allemagne, partagée en villes et en principautés, ne laisse au chef de tant d'Etats que la prééminence avec d'extrêmes honneurs, sans domaines, sans argent, et par conséquent sans. pouvoir.

Il ne possède pas à titre d'empereur un seul village. Cependant cette dignité, souvent aussi vaine que suprême, était

'Les éditions données du vivant de Voltaire portent les unes quatre rois, les autres trois rois, selon que l'électeur de Saxe était ou n'était pas roi de Pologne.

devenue si puissante entre les mains des Autrichiens, qu'on a craint souvent qu'ils ne convertissent en monarchie absolue cette république de princes.

Deux partis divisaient alors et partagent encore aujourd'hui l'Europe chrétienne, et surtout l'Allemagne.

Le premier est celui des catholiques, plus ou moins soumis au pape; le second est celui des ennemis de la domination spirituelle et temporelle du pape et des prélats catholiques. Nous appelons ceux de ce parti du nom général de protestants, quoiqu'ils soient divisés en luthériens, calvinistes et autres, qui se haïssent entre eux presque autant qu'ils haïssent Rome.

En Allemagne, la Saxe, une partie du Brandebourg, le Palatinat, une partie de la Bohême, de la Hongrie, les États de la maison de Brunsvick, le Virtemberg, la Hesse, suivent la religion luthérienne, qu'on nomme évangélique. Toutes les villes libres impériales ont embrassé cette secte, qui a semblé plus convenable que la religion catholique à des peuples jaloux de leur liberté.

Les calvinistes, répandus parmi les luthériens, qui sont les plus forts, ne font qu'un parti médiocre; les catholiques composent le reste de l'Empire, et, ayant à leur tête la maison d'Autriche, ils étaient sans doute les plus puissants.

Non-sculement l'Allemagne, mais tous les Etats chrétiens saignaient encore des plaies qu'ils avaient reçues de tant de guerres de religion, fureur particulière aux chrétiens, ignorée des idolâtres, et suite malheureuse de l'esprit dogmatique introduit depuis si longtemps dans toutes les conditions. Il y a peu de points de controverse qui n'aient causé une guerre civile, et les nations étrangères (peut-être notre postérité) ne pourront un jour comprendre que nos pères se soient égorgés mutuellement, pendant tant d'années, en prêchant la patience. Je vous ai déjà fait voir comment Ferdinand II fut près de changer l'aristocratie allemande en une monarchie absolue, et comment il fut sur le point d'être détrôné par Gustave-Adolphe. Son fils, Ferdinand III, qui hérita de sa politique, et fit comme lui la guerre de son cabinet, régna pendant la minorité de Louis XIV.

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L'Allemagne n'était point alors aussi florissante qu'elle l'est Dans l'Essai sur les mœurs et dans les Annales de l'Empire.

devenue depuis; le luxe y était inconnu, et les commodités de la vie étaient encore très-rares chez les plus grands seigneurs. Elles n'y ont été portées que vers l'an 1686 par les réfugiés français, qui allèrent y établir leurs manufactures. Ce pays fertile et peuplé manquait de commerce et d'argent; la gravité des mœurs, et la lenteur particulière aux Allemands, les privaient de ces plaisirs et de ces arts agréables, que la sagacité italienne cultivait depuis tant d'années, et que l'industrie française commençait dès lors à perfectionner. Les Allemands, riches chez eux, étaient pauvres ailleurs; et cette pauvreté, jointe à la difficulté de réunir en peu de temps sous les mêmes étendards tant de peuples différents, les mettait à peu près, comme aujourd'hui, dans l'impossibilité de porter et de soutenir longtemps la guerre chez leurs voisins. Aussi c'est presque toujours dans l'Empire que les Français ont fait la guerre contre les empereurs. La différence du gouvernement et du génie paraît rendre les Français plus propres pour l'attaque, et les Allemands pour la défense.

DE L'ESPAGNE.

L'Espagne, gouvernée par la branche aînée de la maison d'Autriche, avait imprimé, après la mort de Charles-Quint, plus de terreur que la nation germanique. Les rois d'Espagne étaient incomparablement plus absolus et plus riches. Les mines du Mexique et du Potosi semblaient leur fournir de quoi acheter la liberté de l'Europe. Vous avez vu ce projet de la monarchie, ou plutôt de la supériorité universelle sur notre continent chrétien, commencé par Charles-Quint, et soutenu par Philippe II.

La grandeur espagnole ne fut plus sous Philippe III qu'un vaste corps sans substance, qui avait plus de réputation que de force.

Philippe IV, héritier de la faiblesse de son père, perdit le Portugal par sa négligence, le Roussillon par la faiblesse de ses armes, et la Catalogne par l'abus du despotisme. De tels rois ne pouvaient être longtemps heureux dans leurs guerres contre la France. S'ils obtenaient quelques avantages par les divisions et les fautes de leurs ennemis, ils en perdaient le fruit par leur incapacité. De plus, ils commandaient à des peuples

que leurs priviléges mettaient en droit de mal servir les Castillans avaient la prérogative de ne point combattre hors de leur patrie; les Aragonais disputaient sans cesse leur liberté contre le conseil royal, et les Catalans, qui regardaient leurs rois comme leurs ennemis, ne leur permettaient pas même de lever des milices dans leurs provinces.

L'Espagne cependant, réunie avec l'Empire, mettait un poids redoutable dans la balance de l'Europe.

DU PORTUGAL.

Le Portugal redevenait alors un royaume. Jean, duc de Bragance, prince qui passait pour faible, avait arraché cette province à un roi plus faible que lui. Les Portugais cultivaient par nécessité le commerce, que l'Espagne négligeait par fierté ; ils venaient de se liguer avec la France et la Hollande, en 1641, contre l'Espagne. Cette révolution du Portugal valut à la France plus que n'eussent fait les plus signalées victoires. Le ministère français, qui n'avait contribué en rien à cet événement, en retira sans peine le plus grand avantage qu'on puisse avoir contre son ennemi, celui de le voir attaqué par une puissance irréconciliable.

Le Portugal, secouant le joug de l'Espagne, étendant son commerce, et augmentant sa puissance, rappelle ici l'idée de la Hollande qui jouissait des mêmes avantages d'une manière bien différente.

DES PROVINCES-UNIES.

Ce petit État des sept Provinces-Unies, pays fertile en pâturages, mais stérile en grains, malsain, et presque submergé par la mer, était depuis environ un demi-siècle un exemple presque unique sur la terre de ce que peuvent l'amour de la liberté et le travail infatigable. Ces peuples pauvres, peu nombreux, bien moins aguerris que les moindres milices espagnoles, et qui n'étaient comptés encore pour rien dans l'Europe, résistèrent à toutes les forces de leur maître et de leur tyran, Philippe II, éludèrent les desseins de plusieurs princes qui voulaient les secourir pour les asservir, et fondèrent une puissance que nous avons vue balancer le pouvoir de l'Espagne

même. Le désespoir qu'inspire la tyrannie les avait d'abord armés la liberté avait élevé leur courage, et les princes de la maison d'Orange en avaient fait d'excellents soldats. A peine vainqueurs de leurs maîtres, ils établirent une forme de gouvernement qui conserve, autant qu'il est possible, l'égalité, le droit le plus naturel des hommes 1.

Cet État, d'une espèce si nouvelle, était depuis sa fondation attaché intimement à la France; l'intérêt les réunissait; ils avaient les mêmes ennemis; Henri le Grand et Louis XIII avaient été ses alliés et ses protecteurs.

DE L'ANGLETERRE.

L'Angleterre, beaucoup plus puissante, affectait la souveraineté des mers, et prétendait mettre une balance entre les dominations de l'Europe; mais Charles Ier, qui régnait depuis 1625, loin de pouvoir soutenir le poids de cette balance, sentait le sceptre échapper déjà de sa main : il avait voulu rendre son pouvoir en Angleterre indépendant des lois, et changer la religion en Écosse. Trop opiniàtre pour se désister de ses desseins, et trop faible pour les exécuter, bon mari, bon maître, bon père, honnête homme, mais monarque mal conseillé, il s'engagea dans une guerre civile, qui lui fit perdre enfin, comme nous l'avons déjà dit, le trône et la vie sur un échafaud, par une révolution presque inouïe 2.

Cette guerre civile, commencée dans la minorité de Louis XIV, empêcha pour un temps l'Angleterre d'entrer dans les intérêts de ses voisins: elle perdit sa considération avec son bonheur; son commerce fut interrompu; les autres nations la crurent ensevelie sous ses ruines, jusqu'au temps où elle devint tout à coup plus formidable que jamais, sous la domination de Cromwell, qui l'assujettit en portant l'Évangile dans une main, l'épée dans l'autre, le masque de la religion sur le visage, et

Voir, sur la situation de la Hollande à l'époque de Louis XIV : Macaulay, History of England, t. II, p. 399 et suiv.

'La haine contre Charles Ier fut poussée si loin parmi quelques républicains anglais, que jusque dans les premières années du dixhuitième siècle, les membres d'un club de Londres, le club de la Téte de veau, faisaient servir sur leur table, à l'anniversaire de l'exécution de Charles Ier, une tête de veau qui figurait la tête du roi.

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