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est connue : son fils, Charles-Emmanuel, aurait acquis une gloire au-dessus des couronnes, en remettant à son pere celle qu'il tenait de lui, si ce pere seul l'eût redemandée, et si la conjoncture des temps l'eût permis; mais c'était, dit on, une maîtresse ambitieuse qui voulait régner, et tout le conseil fut forcé d'en prévenir les suites funestes, et de faire arrêter celui qui avait été son souverain. Il mourut depuis en prison, en 1732. Il est très faux que la cour de France voulut envoyer vingt mille hommes pour défendre le pere contre le fils, comme on l'a dit dans les mémoires de ce temps-là. Ni l'abdication de ce roi, ni sa tentative pour reprendre le sceptre, ni sa prison, ni sa mort, ne causerent le moindre mouvement chez les nations voisines : ce fut un terrible évenement qui n'eut aucune suite.

Tout était paisible depuis la Russie jusqu'à l'Espagne, lorsque la mort d'Auguste II, roi de Pologne, électeur de Saxe, replongea l'Europe dans les dissentions et dans les malheurs dont elle est si rarement exempte.

CHAPITRE IV.

Stanislas Leczinski deux fois roi de Pologne, et deux fois dépossédé. Guerre de 1734. La Lorraine réunie à la France.

LE

ɛ roi Stanislas, beau-pere de Louis XV, déja nommé roi de Pologne, en 1704, fut élu roi, en 1733, de la maniere la plus légitime et la plus so

lennelle. Mais l'empereur Charles VI fit procéder à une autre élection, appuyée par ses armes et par celles de la Russie. Le fils du dernier roi de Pologne, électeur de Saxe, qui avait épousé une niece de Charles VI, l'emporta sur son concurrent. Ainsi la maison d'Autriche, qui n'avait pas eu le pouvoir de se conserver l'Espagne et les Indes occidentales, et qui en dernier lieu n'avait pu même établir une compagnie de commercé à Ostende, eut le crẻ. dit d'ôter la couronne de Pologne au beau-pere de Louis XV. La France vit renouveler ce qui était arrivé au prince de Conti, qui solennellement élu, mais n'ayant ni argent ni troupes, et plus recommandé que soutenu, perdit le royaume où il avait été appelé.

Le roi Stanislas alla à Dantzick soutenir son élection. Le grand nombre, qui l'avait choisi, céda bientôt au petit nombre qui lui était contraire. Ce pays, où le peuple est esclave, où la noblesse vend ses suffrages, où il n'y a jamais dans le trésor public de quoi entretenir les armées, où les lois sont sans vigueur, où la liberté ne produit que des divisions; ce pays, dis-je, se vantait en vain d'une noblesse belliqueuse, qui peut monter à cheval au nombre de cent mille hommes. Dix mille Russes firent d'abord disparaître tout ce qui était assemblé en faveur de Stanislas. La nation polonaise qui, un siecle auparavant, regardait les Russes avec mépris était alors intimidée et conduite par eux. L'empire de Russie était devenu formidable, depuis que Pierrele-Grand l'avait formé. Dix mille esclaves russes disciplinés disperserent toute la noblesse de Polo

gne; et le roi Stanislas, renfermé dans la ville de Dantzick, y fut bientôt assiégé par une armée de Russes.

L'empereur d'Allemagne, uni avec la Russie, était sûr du succès. Il eût fallu pour tenir la balance égale que la France eût envoyé par mer une nombreuse armée ; mais l'Angleterre n'aurait pas vu ces préparatifs immenses sans se déclarer. Le cardinal de Fleuri, qui ménageait l'Angleterre, ne voulut ni avoir la honte d'abandonner entièrement le roi Stanislas, ni hasarder de grandes forces pour le secourir. Il fit partir une escadre avec quinze cents hommes, commandée par un brigadier. Cet officier ne crut pas que sa commission fût sérieuse : il jugea quand il fut près de Dantzick, qu'il sacrifierait sans fruit ses soldats; et il alla relâcher en Danemarck. Le comte de Plélo, ambassadeur de France auprès du roi de Danemarck, vit avec indignation cette retraite qui lui paraissait humiliante. C'était un jeune homme qui joignait à l'étude des belles-lettres et de la philosophie des sentiments héroïques dignes d'une meilleure fortune. Il résolut de soutenir Dantzick contre une armée avec cette petite troupe, ou d'y périr. Il écrivit avant de s'embarquer une lettre à l'un des secrétaires d'état, laquelle finissait par ces mots : « Je suis sûr que je n'en reviendrai pas;

je vous recommande ma femme et mes enfants ». Il arriva à la rade de Dantzick, débarqua et attaqua l'armée russe ; il y périt percé de coups, comme il l'avait prévu. Sa lettre arriva avec la nouvelle de sa mort. Dantzick fut pris; l'ambassadeur de France auprès de la Pologne, qui était dans cette place, fut

prisonnier de guerre, malgré les privileges de son caractere. Le roi Stanislas vit sa tête mise à prix par le général des Russes, le comte de Munick, dans la ville de Dantzick, dans un pays libre, dans sa propre patrie, au milieu de la nation qui l'avait élu suivant toutes les lois. Il fut obligé de se déguiser en matelot, et n'échappa qu'à travers les plus grands dangers. Remarquons ici que ce comte, maréchal de Munick, qui le poursuivait si cruellement, fut quelque temps après relégué en Sibérie, où il vécut vingt ans dans une extrême misere, pour reparaître ensuite avec éclat. Telle est la vicissitude des grandeurs.

A l'égard des quinze cents Français qu'on avait si imprudemment envoyés contre une armée entière de russes, ils firent une capitulation honorable; mais un navire de Russie ayant été pris dans ce tempslà même par un vaisseau du roi de France, les quinze cents hommes furent retenus et transportés auprès de Pétersbourg. Ils pouvaient s'attendre à être inhumainement traités dans un pays qu'on avait regardé comme barbare au commencement du siecle. L'impératrice Anne régnait alors; elle traita les officiers comme des ambassadeurs, et fit donner aux soldats des rafraîchissements et des habits. Cette générosité inouie jusqu'alors était en ce même temps l'effet du prodigieux changement que le czar Pierre avait fait dans la cour de Russie, et une espece de vengeance noble que cette cour voulait prendre des idées désavantageuses sous lesquelles l'ancien préjugé des nations l'envisageait encore.

Le ministere de France eût entièrement perdu

cette réputation nécessaire au maintien de sa grandeur, si elle n'eût tiré vengeance de l'outrage qu'on lui avait fait en Pologne ; mais cette vengeance n'était rien si elle n'était pas utile. L'éloignement des lieux ne permettait pas qu'on se portât sur les Moscovites; et la politique voulait que la vengeance tombât sur l'empereur. On l'exécuta efficacement en Allemagne et en Italie. La France s'unit avec l'Espagne et la Sardaigne: ces trois puissances avaient leurs intérêts divers qui tous concouraient au même but d'affaiblir l'Autriche.

Les ducs de Savoie avaient depuis long-temps accru petit à petit leurs états, tantôt en donnant des secours aux empereurs, tantôt en se déclarant contre eux. Le roi Charles-Emmanuel espérait le Milanais; et il lui fut promis par les ministres de Versailles et de Madrid. Le roi d'Espagne Philippe V, ou plutôt la reine Élisabeth de Parme, son épouse, espérait pour ses enfants de plus grands établissements que Parme et Plaisance. Le roi de France n'envisageait aucun avantage pour lui que sa propre gloire, l'abaissement de ses ennemis, et le succès de ses alliés.

Personne ne prévoyait alors que la Lorraine dût être le fruit de cette guerre: on est presque toujours mené par les évènements, et rarement on les dirige. Jamais négociation ne fut plus promptement terminée que celle qui unissait ces trois monarques.

L'Angleterre et la Hollande, accoutumées depuis long-temps à se déclarer pour l'Autriche contre là France, l'abandonnerent en cette occasion: ce fut lé fruit de cette réputation d'équité et de modéra

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