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fierte et l'avarice les refuserent. Les Anglais se flattaient, non sans vraisemblance, d'être aisément vainqueurs sur les mers de l'Inde comme ailleurs,

et d'anéantir la compagnie de France.

Mahé de la Bourdonnais était, comme les du Quesne, les Bart, les du Gué-Trouin, capable de faire beaucoup avec peu, et aussi intelligent dans le commerce qu'habile dans la marine ; il était gouverneur des isles de Bourbon et de la Maurice, nommé à ces emplois par le roi, et gérant au nom de la compagnie; ces isles étaient devenues florissantes sous son administration: il sort enfin de l'isle de Bourbon avec neuf vaisseaux armés par lui en guerre, chargés d'environ deux mille trois cents blanes et de huit cents noirs, qu'il a disciplinés luimême, et dont il a fait de bons canonniers. Une escadre anglaise sous l'amiral Barnet croisait dans ces mers, défendait Madrass, inquiétait Pondichery, et faisait beaucoup de prises. Il attaque cette escadre, il la disperse, et se hâte d'aller mettre le siege devant Madrass.

Des députés vinrent lui représenter qu'il n'était pas permis d'attaquer les terres du grand-mogol. Ils avaient raison; c'est le comble de la faiblesse asiatique de le souffrir, et de l'audace européane de le tenter. Les Français débarquent sans résistance; leur canon est amené devant les murailles de' la ville mal fortifiée, défendue par une garnison de cinq cents soldats. L'établissement anglais consistait dans le fort Saint-George, où étaient tous les magasins: dans la ville qu'on nomme Blanche, qui n'est habitée que par des Europeans; dans celle

S. DE LOUIS XV. 4.

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qu'on nomme Noire, peuplée de négociants et d'ouvriers de toutes les nations de l'Inde, juifs, banians, arméniens, mahométans, idolâtres , negres de différentes especes, indiens rouges, indiens de couleur bronzée: cette multitude allait à cinquante mille ames. Le gouverneur fut bientôt obligé de se rendre. La cançon de la ville fut évaluée à onze cent mille pagodes, qui valent environ neuf millions de France.

La Bourdonnais avait un ordre exprès du ministère « de ne garder aucune des conquêtes qu'il pour«rait faire dans l'Inde »; ordre peut-être inconsidéré, comme tous ceux qu'on donne de loin sur des objets qu'on n'est pas à portée de connaître. Il exécuta ponctuellement cet ordre, et reçut des otages et des sûretés pour le paiement de cette conquête qu'il ne gardait pas. Jamais on ne sut ni mieux obéir, ni rendre un plus grand service: il eut encore le mérite de mettre l'ordre dans la ville, de calmer les frayeurs des femmes, toutes réfugiées dans des temples et dans des pagodes, de les faire reconduire chez elles avec honneur, et de rendre enfin la nation victorieuse respectable et chere aux vaincus.

Le sort de la France a presque toujours été que ses entreprises, et même ses succès hors de ses frontieres, lui sont devenus funestes. Dupleix, gouverneur de la compagnie des Indes, eut le malheur d'être jaloux de la Bourdounais: il cassa la capitulation s'empara de ses vaisseaux, et voulut même le faire arrêter. Les Anglais et les habitants de Madrass, qui comptaient sur le droit des gens, demeurerent interdits quand on leur annonça la violation du

traité et de la parole d'honneur donnée par la Bourdonnais : mais l'indignation fut extrême quand Dupleix, s'étant rendu maître de la ville Noire, la détruisit de fond en comble. Cette barbarie fit beaucoup de mal aux colons innocents, sans faire aucun bien aux Français: la rançon qu'on devait recueillir fut perdue, et le nom français fut en horreur dans l'Inde.

Au milieu des aigreurs, des reproches, des voies de fait, qu'une telle conduite produisait, Dupleix fit signer par le conseil de Pondichery', et par les principaux citoyens qui étaient à ses ordres, les mémoires les plus outrageants contre son rival: on l'accusait d'avoir exigé de Madrass une rançon trop faible, et d'avoir reçu pour lui des présents trop considérables.

Enfin, pour prix du plus signalé service, le vainqueur de Madrass en arrivant à Paris fut enfermé à la Bastille. Il y resta trois ans et demi, pendant qu'on envoyait chercher des témoins contre lui dans l'Inde la permission de voir sa femme et ses enfants lui fut refusée. Cruellement puni sur le soupçon seul, il contracta dans sa prison une maladie mortelle : mais avant que cette persécution terminât sa vie il fut déclaré innocent par la commission du conseil nommée pour le juger. On douta si dans cet état c'était une consolation ou une douleur de plus d'être justifié si tard et si inutilement. Nulle récompense pour sa famille de la part de la cour tout le public lui en donnait une flatteuse en nommant la Bourdonnais le vengeur de la France, et la victime de l'envie.

Mais bientôt le public pardouna à son ennemi Dupleix quand il défendit Pondichery contre les Anglais, qui l'assiégerent par terre et par mer. L'amiral Boscaven vint l'assiéger avec environ quatre mille soldats anglais ou hollandais et autant d'indiens, renforcés encore de la plupart des matelots de sa flotte, composée de vingt et une voiles. M. Dupleix fut à la fois commandant, ingénieur, artilleur, munitionnaire: ses soins infatigables furent secondés par M. de Bussi, qui repoussa souvent les assiégeants à la tête d'un corps de volontaires. Tous les officiers y signalerent un courage qui méritait la reconnaissance de la patrie. Cette capitale des colonies françaises, qu'on n'avait pas crue en état de résister, fut sauvée- cette fois : ce fut une des opérations qui valurent enfin à M. Dupleix le grand cordon de Saint-Louis, honneur qu'on n'avait jamais fait à aucun homme hors du service militaire. Nous verrons comme il devint le protecteur et le vainqueur des vice-rois de l'Inde, et quelle catastrophe suivit trop de gloire.

CHAPITRE XXX.

Paix d'Aix-la-Chapelle.

DANS ce flux et ce reflux de succès et de pertes

Louis XV

communs à presque toutes les guerres, ne cessait d'être victorieux dans les Pays-Bas. Déja Mastricht était prêt de se rendre au maréchal de Saxe, qui l'assiégeait après la plus savante marche

que jamais général eût faite, et de-là on allait droit à Nimegue. Les Hollandais étaient consternés ; il y avait en France près de trente-cinq mille de leurs soldats prisonniers de guerre. Des désastres plus grands que ceux de l'année 1672 semblaient menacer cette république ; mais ce que la France gagnait d'un côté, elle le perdait de l'autre ; ses colonies étaient exposées, son commerce périssait, elle n'avait plus de vaisseaux de guerre; toutes les nations souffraient, et toutes avaient besoin de la paix, comme dans les guerres précédentes. Près de sept mille vaisseaux marchands, soit de France, soit d'Espagne, ou d'Angleterre, ou de Hollande, avaient été pris dans le cours de ces déprédations réciproques; et de-là on peut conclure que plus de cinquante mille familles avaient fait de grandes pertes. Joignez à ces désastres la multitude des morts, la difficulté des recrues : c'est le sort de toute guerre. La moitié de l'Allemagne et de l'Italie, les Pays-Bas, étaient ravagés; et pour accroître et prolonger tant de malheurs, l'argent de l'Angleterre et de la Hollande faisait venir trente-cinq mille Russes qui étaient déja dans la Franconie: on allait voir vers les frontieres de la France les mêmes troupes qui avaient vaincu les Turcs et les Suédois.

Ce qui caractérisait plus particulièrement cette guerre, c'est qu'à chaque victoire que Louis XV avait remportée, il avait offert la paix, et qu'on ne l'avait jamais acceptée ; mais enfin, quand on vit que Mastricht allait tomber après Berg-op-zoom, et que la Hollande était en danger, les ennemis de

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